La production de documents de la société dans un litige prud’homal et délit de vol ?

Publié le Modifié le 23/08/2011 Vu 9 523 fois 0
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Après avoir appréhendé les fondements de la divergence (1°), nous verrons en quoi la chambre criminelle de la Cour de Cassation a rendu une position plus cohérente avec celle de la chambre sociale (2°) et enfin, quels sont les apports de l’arrêt du 16 juin 2011 (3°).

Après avoir appréhendé les fondements de la divergence (1°), nous verrons en quoi la chambre criminelle de

La production de documents de la société dans un litige prud’homal et délit de vol ?

1° Les fondements de la divergence :

La recevabilité de documents de l’entreprise apportés par le salarié dans le cadre d’une instance prud’homale soulève le problème de la licéité de ces éléments de preuve, à la fois devant le juge prud’homale mais aussi devant le juge pénal puisque toute appropriation par le salarié, contre le gré de son employeur, de documents appartenant à l’entreprise, constitue une « soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », soit un vol au sens de l’article 311-1 du Code pénal.

Aussi, la chambre criminelle, guidée par le principe de liberté de la preuve de l’article 427 du Code de procédure pénale, a été amené pendant longtemps à considérer que cette production constituait un vol (crim. 8/01/1979 n°77-93.038).

Toutefois, la doctrine a critiqué cette position en ce qu’elle revenait à sanctionner pénalement l’exercice, par le salariés, de ses droits de la défense.

D’autant que qu’en à elle, la chambre sociale de la Haute juridiction bien que soumise à l’article 9 du Code de Procédure Civile qui dispose qu’ « il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de ses prétentions », celle-ci fait preuve depuis longtemps de compréhension vis-à-vis du salarié. En effet, selon elle, il est légitime pour un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à l’employeur, qu’il puisse produire des documents dont il a eut connaissance à l’occasion de ses fonctions (soc. 2/12/1998 n°96-44.258 et soc. 30/06/2004 n°02-41.720).

2° L’alignement des jurisprudences :

Privilégiant les droits de la défense du salarié sur le droit de propriété de l’employeur, la chambre criminelle a opéré un revirement de jurisprudence par deux arrêts du 11 mai 2004 (crim, 11/05/2004 n°03-80.254 et n°03-85.521), dans lesquels elle s’est ralliée à la position de la chambre sociale, en admettant que l’exercice des droits de la défense pouvait justifier une telle pratique. A condition, précise-t-elle à son tour, que le salarié ait eu connaissance des documents litigieux à l’occasion de ses fonctions et que ces documents soient indispensables à la défense prud’homale du salarié.

Il convient à cet égard de souligner que ce revirement de jurisprudence ne s’applique exclusivement au litige prud’homal. En effet, le vol de documents produits par le salarié dans le cadre d’un litige pénal contre son employeur ne fait pas l’objet, de la part des juges répressifs, de la même compréhension (crim, 9/06/2009 n°08-86.843).

Par conséquent, la production de documents appartenant à l’entreprise devant les prud’hommes par le salarié n’est plus condamnée pour vol à la double condition :

-          Qu’il les ait obtenus dans l’exercice de ses fonctions,

-          Que leur production devant les juges soit strictement nécessaire pour sa défense.

La condition d’obtention dans l’exercice des fonctions semble de toute évidence ne pas concerner de façon égale toutes les catégories de salariés. En outre, elle intéresse surtout les cadres qui, du fait de leurs fonctions et de leur proximité avec la direction de l’entreprise, auront plus de chances d’avoir accès aux documents et aux preuves utiles. A titre de rappel, tous les documents de l’entreprise (et non les documents de travail personnels appartenant aux collègues), et ce quel que soient leur support (papier, informatique, sonore…), y compris ceux en principe couverts par une obligation de discrétion ou par le secret professionnel sont susceptible d’être produit  par le salarié(crim., 6/04/1994).

La seconde condition concernant des documents dont la production est strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense semble évoquée l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme sur le procès équitable. Le salarié ne doit donc pas être animé par une autre finalité (acte de concurrence ou nuire à l’entreprise). A titre d’exemple, est déclaré coupable de vol à l’égard de l’employeur, le salarié démissionnaire qui emporte avec lui des dossiers sansibles portant sur des opérations réalisées par sa société durant plusieurs années, et présentant un intérêt commercial évident pour l’entreprise concurrente intégrée par le salarié juste après sa démission (crim. 21/06/2011 n°10-87.671).

3° L’apport de l’arrêt de la chambre criminelle du 16 juin 2011 : (crim., 16/06/2011 n°10-85.079)

Dans cette affaire, M.X, directeur général de la société Y., avisé du projet de son employeur de rompre son contrat de travail, a appréhendé des documents dont il avait eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions en les transférant sur sa messagerie personnelle. Une information des chefs de vol et abus de confiance a alors été ouverte à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de la société Y à son encontre. Pour la Haute juridiction, il ressort que les documents appréhendés par M. X dont il eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions étaient strictement nécessaires à l’exercice de sa défense dans la procédure prud’homale qu’il a engagée peu après. La chambre criminelle rejette donc le pourvoi formé par la société Y contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 7 mai 2010. Ainsi, dès qu’ils sont avisés du projet de leur employeur de les licencier, les salariés peuvent se constituer des preuves à partir des documents de l’entreprise.

Deux apports peuvent être tirés de cet arrêt.

D’une part, il apporte des précisions sur le moment de l’appropriation. Selon la société Y, « le fait justificatif fondé sur les droits de la défense du salarié suppose un litige prud’homal existant au moment de l’appropriation par le salarié des documents appartenant à l’employeur ». Le fait était qu’au moment où le salarié a transféré les documents sur sa messagerie personnelle, aucune procédure de licenciement n’était engagée à son encontre et donc aucun litige prud’homal n’était en cours. Toutefois, le présent arrêt, fort de protéger le salarié et de lui permettre une anticipation, rappelle qu’il n’est pas nécessaire qu’un litige prud’homal soit en cours, il ne peut être simplement qu’imminent.

D’autre part, la chambre criminelle adopte une position selon laquelle le mode d’appropriation des documents n’a pas d’incidence (photocopie ou, comme en l’espèce, le transfert de document sur mail personnel).

 

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