La position surélevée du Ministère Public à l'audience est-elle contraire au principe du procès équitable? CA Paris, 4 avr. 2001 et Sénat 16 avr. 1997

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La position surélevée du Ministère Public à l'audience est-elle contraire au principe du procès équitable? CA Paris, 4 avr. 2001 et Sénat 16 avr. 1997

Le Ministère Public désigne le magistrat qui représente, à l'audience, la société, l'intérêt général. L'article 32 du Code de procédure pénale précise qu'il est représenté auprès de chaque juridiction répressive, qu'il assiste aux débats et au prononcé des décisions, et qu'il assure l'exécution des décisions de justice.

Le Ministère Public est appelé Parquet, car à l'origine le magistrat prononçait ses réquisitions debout sur le parquet de la salle d'audience. Il se différencie des juges de jugement, qu'on appelle juges du Siège, parce qu'ils sont assis.

Progressivement, le Ministère Public s'est retrouvé surélevé par rapport aux parties privées, au même niveau que les juges du Siège. Les avocats soutenaient qu'il s'agissait d'une erreur du menuisier.

Or, cette position surélevée par rapport aux parties peut être en contradiction avec les principes du procès équitable. En effet, le procès équitable, qui a comme corollaire le principe de l'égalité des armes, impose que chaque partie dispose du même traitement. Cette règle vise à l'égalité juridique. Ce principe est consacré par l'article préliminaire du Code de procédure pénale et l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 4 avril 2001 (11ème ch. A: D. 2001. IR. 1773) a eu à connaître de problème de droit. Un avocat astucieux (il y en a beaucoup) a eu l'idée de soulever ce problème. La Cour affirme, avec une subtilité de rigueur, que la Convention Européenne n'empêche pas une différence entre les parties, tant qu'il n'y a pas de déséquilibre dans le traitement qui leur est fait.

La solution est parfaitement compréhensible. Une réponse contraire aurait entraîné la multiplication des recours, et la modification des agencements de Tribunaux, ce qui aurait un coût extrêmement élevé.

Je ne résiste pas à vous livrer, en guise de conclusion, un extrait des débats qui ont eu lieu au Sénat, le 16 avril 1997 sur cette question.

« M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous savons que, dans le très beau texte qui est lu aux jurés, sont évoqués les intérêts de la société qui accuse et ceux de l'accusé. Le Sénat a d'ailleurs modifié cette formule en ajoutant les intérêts de la victime.
Il est donc tout à fait normal que les uns et les autres soient traités à égalité, le ministère public ne doit pas être mieux entendu par le jury et par la cour que la défense ou la partie civile.
Vous savez, mes chers collègues, que Me Moro-Giafferi prétendait que c'était en raison d'une erreur du menuisier que le parquet se trouvait surélevé, si l'on peut dire, par rapport aux autres parties.
Il est temps, nous semble-t-il, de couper le cordon ombilical, comme disait je ne sais plus qui, non pas entre le Gouvernement et le ministère public, parce que ce cordon-là existe toujours, mais entre ceux qui ont à juger et le ministère public, qui dépend, jusqu'à preuve du contraire, du Gouvernement.
Voilà pourquoi, par notre amendement n° 258 rectifié, nous demandons qu'enfin l'on décide le contraire de ce qui, en fait, n'a jamais été décidé. En effet, aucun texte n'a jamais prévu que le ministère public devait être dans une position surélevée par rapport aux autres parties dans la salle d'audience. Puisque cela continue à se pratiquer, il convient que le législateur intervienne pour dire que ce qui se fait ne doit pas se faire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Instant tragique ! (Sourires.) Mes chers collègues, il s'agit pratiquement du seul amendement sur lequel la commission des lois n'a pas émis d'avis ! En effet, les voix se sont partagées également, le rapporteur que je suis n'ayant pas réussi à convaincre ses collègues d'émettre un avis défavorable sur cet amendement généreusement proposé par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne crois pas à l'erreur du menuisier, monsieur Dreyfus-Schmidt. En tout cas, je ne crois pas qu'elle ait influencé ou gêné le cours de la justice criminelle depuis deux cents ans.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Ça, c'est une question !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Si un représentant de la commission des finances du Sénat siégeait au banc, il pourrait d'ailleurs évoquer l'article 40, car ce sont des millions de francs qui sont en jeu.
On vient de construire, à Caen, une superbe cour d'assises - je peux en témoigner. Il faudrait, si l'on suivait M. Dreyfus-Schmidt, la reconstruire en partie !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Absolument !
Au surplus, cette question ne relève-t-elle pas plus du domaine réglementaire plus que du domaine des principes ?
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. C'est surtout cela !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Alors, j'exprime mon avis : la commission n'en a pas, mais le Sénat en a sûrement un ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je pourrais en effet parfaitement opposer à l'amendement n° 258, rectifié l'article 40 de la Constitution compte tenu des travaux, et donc des dépenses, que son adoption induirait.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Girault pourrait le faire aussi !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Mais je préfère de beaucoup utiliser des arguments de fond, lesquels sont simplement les suivants.
D'abord, l'accusé lui-même est placé à la même hauteur que le parquet. C'est son avocat qui est placé plus bas que le parquet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ça dépend des salles ! (Sourires.)
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ensuite, permettez-moi de dire que le client de l'avocat général, c'est la République, et que celle-ci mérite d'être au-dessus de tous et de tout. C'est essentiellement pour cette raison que je souhaite que l'amendement n° 258 rectifié ne soit pas adopté. »


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Pierre Lebriquir
Avocat au barreau de Paris
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