En 2011, plus de soixante salariés, éprouvés par la lenteur de la justice prud’homale, ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris d’une action en responsabilité à l’encontre de l’Etat en raison du délai déraisonnable constaté entre la saisine du conseil de prud'hommes et la notification du jugement de première instance.
De très nombreux jugements condamnant l’Etat pour déni de justice ont été rendus le 18 janvier 2012 dans le cadre de cette action collective initiée par des avocats du Syndicat des Avocats de France.
Le Tribunal a jugé qu'il " relève du devoir de l’État de mettre à la disposition des juridictions les moyens nécessaires à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables et ce délai résulte manifestement du manque de moyens alloués à la juridiction prud’homale. Le déni de justice invoqué par le demandeur est caractérisé.(...)"
le Tribunal a considéré que le déni de justice était caractérisé tant il apparaissait que l’Etat avait manqué à « son devoir de protection juridique de l’individu et notamment du justiciable en droit de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable » conformément à l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH).
Ainsi, chacun des seize salariés s’est vu octroyer entre 1 500 € et 8 500 €, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral causé par l’ « attente » et l’ « incertitude » du résultat de la procédure en justice qu’ils avaient engagée. Jugements du TGI de PARIS du 18 janvier 2012, n°11/02506 et autres
♦ Disposition légale : un mois pour rejuger l'affaire devant le juge départiteur.
Il convient de rappeler que premier alinéa de l'article R. 1454-29 du Code du travail précise que : « en cas de partage des voix, l'affaire est renvoyée à une audience ultérieure du bureau de conciliation ou du bureau de jugement. Cette audience, présidée par le juge départiteur, est tenue dans le mois du renvoi ».
Toutefois, ce délai imparti par le législateur n'est pas prescrit à peine de nullité (Cass. soc., 6 oct. 1977, no 76-40.783), ce qui, dans les faits, conduit le conseil de prud'hommes à tenir l'audience selon ses propres possibilités et celles du juge d'instance. En pratique, il n'est pas rare que l'audience de départage en bureau de jugement soit fixée sous un délai de plusieurs mois.
Ainsi sur Bordeaux, ce délai de renvoi en départage devant un magistrat professionnel peut durer jusqu'à 18 mois compte tenu de l'importance des dossiers renvoyés en départage et le manque de magistrats mobilisables .
♦ Le Non-respect par les juridictions du délai de renvoi de un mois en pratique.
L'écart entre le délai d'un mois, fixé par le premier alinéa de l'article R. 1454-29 du Code du travail, et les très nombreux mois observés dans la réalité, constitue aux yeux des juridictions civiles un déni de justice au sens de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire.
Ainsi, dans un jugement de première instance, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a octroyé au salarié demandeur 5 000 € de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral (TGI Bordeaux, 1re ch. civ., 12 déc. 2006, no 3168/2006).
En l'espèce, le délai de renvoi était plus que déraisonnable puisque le conseil de prud'hommes de bordeaux avait été saisi le 14 octobre 2002, la conciliation était intervenue le 22 novembre 2002, le bureau du jugement s'était tenu le 30 septembre 2003.
Or,le 17 novembre 2003, le conseil se déclarait en partage de voix et l'audience de départage n'était fixée au 28 mars 2006, soit 28 mois plus tard, un cas extreme cependant.
À l'appui de sa décision, le TGI de Bordeaux a constaté que l'attitude du salarié ne pouvait être mise en cause et qu'il ne disposait d'aucun moyen procédural pour accélérer la procédure.
Le délai qui lui était imposé constituait bien un déni de justice au sens de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire.
Le non-respect du délai de renvoi en audience de départage n'est pas prescrit à peine de nullité, mais la violation de la règle peut faire l'objet d'un recours en dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance.
Les décisions s'appuient, pour condamner l'État, sur le droit pour toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.( artticle 6.1 de la CEDH)
Pour une autre affaire dans laquelle la Cour d'appel d'Amiens a condamné l'État à verser 8 000 € de dommages et intérêts à un salarié, (voir CA Amiens, 7 déc. 2004, RPDS 2006, p. 369)
LES MESURES EVOQUEES POUR RÉDUIRE LES DÉLAIS DE PROCÉDURE DEVANT LE CONSEIL DE PRUD'HOMMES
Pour répondre à l’urgence de la situation des conseils de prud’hommes et améliorer les délais de procédure, devenus intenables, le rapport de M. Lacabarats, président de chambre à la Cour de cassation préconise l’adoption de « mesures provisoires ».
• Le renforcement de l’efficacité de la phase de conciliation
La phase de conciliation pourrait être menée par « des conseillers spécialement formés. Les parties ou leurs représentants doivent y assister et y communiquer leurs pièces sous peine que la procédure soit immédiatement transmise au bureau de jugement qui peut statuer sur les seuls éléments présentés lors de cette tentative de conciliation».
La question de la suppression de la conciliation s’est posée, compte tenu de son faible taux, aujourd’hui inférieur à 7 %.
Elle constitue pourtant la première mission du juge prud’homal. Pour qu’elle soit pleinement efficace, les rôles d’audience doivent être désencombrés.
Or, aucune précision n’est par ailleurs apportée quant au rôle du juge en matière d’instruction et de mise en état des dossiers. Les sanctions qui pourraient être prononcées à l’encontre des parties non diligentes ne sont par ailleurs pas évoquées.
- L’amélioration du suivi de la procédure
Le rapport propose egalement de renforcer le suivi de la procédure en cas d’échec de la tentative de conciliation, et hors cas de défaillance d’une partie à cette occasion. Un « calendrier de procédure » pourrait être élaboré par le greffier.
Le greffier serait donc compétent pour « vérifier l’échange des pièces et des écritures, [fixer] les délais pour qu’il y soit procédé et fixer la date de l’audience de jugement Aucune pièce ni aucune écriture ne pourraient être communiquées passé un délai d’un mois précédant la date de l’audience de jugement. ».
Enfin, lors de l’audience du bureau de conciliation ou du bureau de jugement, le conseiller qui préside l’audience aurait voix prépondérante pour statuer sur le suivi de la procédure (audition des parties, renvoi ou radiation).
Maître JALAIN, avocat en Droit du Travail
Barreau de Bordeaux
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Jugements consultables sur le site du SAF ;
cf.http://www.lesaf.org/blog-document-du-saf.html