L'état du droit de la concurrence en période de crise économique et financière

Publié le Modifié le 13/04/2012 Vu 3 421 fois 0
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La crise économique et financière que nous connaissons depuis 2008 est-elle l’occasion d’une profonde mutation des règles de concurrence applicables aux acteurs de marchés ? Le droit commun de la concurrence est-t-il un rempart à la crise actuelle ou contribue-t-il à son développement ? Il s’agit là de questions centrales qui sont apparues assez récemment dans le discours juridique.

La crise économique et financière que nous connaissons depuis 2008 est-elle l’occasion d’une profonde mu

L'état du droit de la concurrence en période de crise économique et financière

Nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour condamner les méfaits de l’économie de marché, comme source de la crise économique, financière et sociale que nous connaissons depuis 2008. Le rejet des thèses libérales se radicalise au fur et à mesure que la crise s’aggrave : trop de concurrence sur les marchés conduit inévitablement à la crise, dira-t-on, et avec elle d’autres sources de tous les maux de la société civile (mondialisation, libre-échange, financiarisation de l’économie, désengagement de l’État, affaiblissement du service public, individualisme, etc..). Le terrain est propice aux surenchères démagogiques, aux équations farfelues et aux promesses irréalisables tenues, durant cette période électorale, par les extrêmes :

- le protectionnisme (puisque la crise est mondiale, elle est donc causée par les étrangers, il faut donc se protéger d’eux par des mesures protectionnistes, dira-t-on) ;

- le nationalisme (puisque les produits nationaux sont concurrencés par de nombreux produits équivalents fabriqués à l’étranger, il faut consommer « made in France », dira-t-on);

- le corporatisme (puisque le droit de la concurrence ne parvient pas à remédier à la crise, il faut lui privilégier la régulation sectorielle, dira-t-on) ;

- ou encore le retour à l’administration de l’économie (puisque que la régulation des marchés concurrentiels par des autorités indépendantes ne fonctionne, il faut revenir au système de l’économie administrée, dira-t-on). 

À l’examen de ces arguments souvent répandus en période de crise, cela revient rien moins qu’à remettre en cause l’existence même du droit de la concurrence qui, selon ses détracteurs, serait un corps de règles rigides qui ne sauraient s’adapter au contexte économique de crise. 

De façon plus nuancée, d’autres opposants à la place centrale du droit de la concurrence dans l’économie appellent de leurs vœux un assouplissement temporaire – le temps de la crise – des règles de concurrence applicables aux marchés défaillants et aux entreprises en difficulté. Ils réclament une généralisation à tous les secteurs de l’économie du régime de faveur fait à la finance, et en particulier des aides d’États accordés aux banques dans le contexte de la crise financière. 

Sur la seule base de ce qui précède, il convient de s’intéresser au sort du droit de la concurrence à l’épreuve de la crise actuelle, en tentant d’apporter des réponses à trois séries d’interrogations majeures :

- L’adaptation des règles du droit de la concurrence au contexte actuel de la crise économique et financière serait-elle inévitable ? (I) ;

- Dans quelles conditions est-il alors acceptable de modifier le droit de la concurrence en période de crise ? (II) ;

- Faut-il plutôt mettre en évidence les possibilités pédagogiques d’un développement du droit de la concurrence ? (III). 

 

I.- L’adaptation des règles du droit de la concurrence au contexte actuel de la crise économique et financière serait-elle inévitable ? 

Ceux qui le pensent mettent en avant toute une série de mesures spécifiques qui méritent d’être soulignées, par exemple :

- la reconnaissance de la possibilité d’exempter une pratique anticoncurrentielle, telle une entente mise une place par des entreprises d’un secteur économique en crise ;

- la prise en compte de la situation financière des entreprises en difficulté, en infraction avec le droit de la concurrence, dans la fixation des amendes ;

- le changement des critères permettant à l’État d’aider les entreprises en difficulté pour une plus grande souplesse ;

- la possibilité de ne pas restituer les aides publiques illégales si la survie de l’entreprise en dépend ;

- la possibilité de ne pas payer les sanctions pécuniaires qui ont conduit l’entreprise à déposer le bilan et donc faire l’objet d’une procédure collective ;

- la possibilité de recourir à l’exception de l’entreprise défaillante dans le cadre du contrôle des concentrations.  

Si ces intentions sont louables, les solutions préconisées nécessitent d’être affinées. Il y a des conditions à poser pour admettre telle ou telle modification du droit de la concurrence selon le contexte et les effets de la crise économique. En effet, il est dans la logique de la concurrence que les entreprises insolvables et liquidées disparaissent du marché. Si l’on sauve ces entreprises, on bouleverse le libre jeu de la concurrence. Le sauvetage de l’entreprise défaillante est un frein aux mutations de l’économie. 

 

II.- Dans quelles conditions est-il alors acceptable de modifier le droit de la concurrence en période de crise ? 

Les conditions à imposer doivent nécessairement être légères, ne serait-ce que parce que la lutte contre la crise économique ne peut pas s’affranchir du droit de la concurrence qui est moins un droit sanctionnateur qu’un droit protecteur des entreprises et des consommateurs. 

Il peut être envisagé d’appliquer de nombreuses conditions à  toute modification des règles de concurrence, en tenant compte du contexte concurrentiel et de la spécificité  de chaque cas en cause. Ainsi, à titre d’illustration, en ce qui concerne les aides au sauvetage et à la restructuration, l’entreprise doit être en difficulté au sens du droit de la concurrence, ce qui implique de bien distinguer deux critères d’appréciation : le bilan concurrentiel et le bilan économique de l’entreprise concernée. 

  • Seules les entreprises présentant un bilan concurrentiel positif pourraient faire l’objet d’un plan de sauvetage, car, dans ces conditions, sauver l’entreprise c’est alors protéger la concurrence. 
  • En revanche, lorsque que les mesures de sauvetage de l’entreprise défaillante sont motivées par un bilan économique (alors que le bilan concurrentiel est négatif), les conditions à imposer doivent être plus strictes. Ainsi, par exemple, la restructuration de l’entreprise défaillante doit pouvoir profiter aux consommateurs, constituer à terme un progrès économique et produire un gain d’efficience contrebalançant les atteintes à la concurrence. 

Les mesures de sauvetage doivent conduire à faire disparaître sur le long terme les difficultés structurelles et financières des entreprises défaillantes. Le sauvetage doit enfin être subordonné à des engagements comportementaux et structurels de l’entreprise bénéficiaire (éviction du management, cession d’actifs, réduction de capacité ou de la présence sur le marché...). 

Toutefois, à notre avis, il peut être possible d’emprunter une voie différente de celle de la modification conditionnelle du droit de la concurrence dans un contexte de crise. 

 

III.- Faut-il plutôt mettre en évidence les possibilités pédagogiques d’un développement du droit de la concurrence ? 

C’est surtout en période de difficulté économique et financière qu’il faut savoir faire preuve de perspicacité et de bon sens. Il serait, selon nous, contreproductif de préconiser une amputation du droit de la concurrence, une remise en cause de son existence ou sa « cancérisation » par un autre droit hégémonique, au nom même des effets destructeurs de la crise économique que le droit de la concurrence ne parvient pas à éradiquer. L’efficacité de la régulation de la concurrence face à la crise requiert plutôt d’adapter le droit de la concurrence à travers son développement en fonction des changements de l’environnement économique. 

Le droit de la concurrence n’est pas un droit figé dans le temps, mais au contrat un droit évolutif qui s’adapte aux réalités économiques du moment. S’il en va ainsi, c’est notamment parce que le législateur a su intervenir quand il le fallait afin de faire évoluer le droit de la concurrence dans son contenu, sa substance et ses finalités. Ainsi, par exemple : 

- La loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001 a introduit les procédures d’engagement, de non-contestation des griefs et de clémence afin de renforcer l’efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ; 

- Le règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 a organisé la décentralisation du droit communautaire de la concurrence et la mise en place du réseau européen de concurrence afin de faciliter la coopération entre les autorités nationales de concurrence et entre celles-ci et la Commission européenne. 

- La loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 a transféré à l’Autorité de la concurrence le contrôle des opérations de concentration. Le bilan concurrentiel des concentrations économiques est désormais réalisé par la seule autorité indépendante de concurrence en sa qualité d’expert de la régulation de la concurrence. 

Le renforcement du droit de la concurrence et son évolution subséquente ont mis en lumière l’analyse économique du droit et son application aux entreprises. La prise en compte de l’approche économique a eu pour effet de créer des passerelles entre le droit de la concurrence et d’autres branches du droit. Deux exemples, pris au hasard tant ils sont nombreux, en offrent une illustration. 

Le premier exemple peut être trouvé dans l’articulation entre le droit de la concurrence et le droit des procédures collectives. Lorsque le bilan concurrentiel de l’entreprise en cessation de paiement est positif, la poursuite de son activité doit être privilégiée à travers la mise en œuvre d’une procédure de sauvegarde ou d’un plan de continuation. Par contre, un bilan concurrentiel négatif devrait entraîner automatiquement la cession de l’entreprise défaillante à un repreneur ou sa liquidation. 

Une autre illustration peut être recherchée dans l’articulation entre le droit de la concurrence et le droit civil des contrats. L’analyse économique des contrats commerciaux à la lumière du droit de la concurrence permet de mieux évaluer leur impact sur le marché. On constate par exemple que les contrats de distribution commerciale (distribution sélective, exclusive, franchise…) ne sont plus seulement appréhendés en eux-mêmes (rechercher s’ils comportent des clauses illicites de concurrence), mais en considération de leurs effets potentiels sur le marché (rechercher si leur mise en œuvre porte atteinte au libre jeu de la concurrence). L’atteinte au fonctionnement concurrentiel du marché fera donc l’objet d’une appréciation globale sur la base d’une analyse macroéconomique (évaluation chiffrée des gains pour le consommateur, de l’importance du dommage à l’économie, du chiffre d’affaires global du marché affecté, des prix pratiqués…) au regard de la concurrence effective sur le marché pertinent. 

Dans tous les cas, aucune convention fût-elle fondée sur d’autres textes réglementaires ou législatifs  ne peut échapper à l’application des règles de concurrence qui sont d’ordres publics.

  

En conclusion, la défense de la libre concurrence conduit naturellement à ces approfondissements. Elle rencontrera toujours comme adversaires tous ceux qui s’opposent à l’économie de marché. Quoi qu’il en soit, le droit de la concurrence est un droit pérenne, non périssable. Il se développe et se renforce au fil du temps. L’objectif est de réaliser en temps réel les adaptations nécessaires suite à la crise économique et financière.

 

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