Une cagnotte pour Christophe Castaner

Publié le Modifié le 20/06/2020 Vu 1 501 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

Comment rendre responsables des conséquences d’une manifestation tous ceux qui y ont participé ? C’est la tentation de l’actuel Ministre de l’Intérieur mais le droit positif ne le permet pas.

Comment rendre responsables des conséquences d’une manifestation tous ceux qui y ont participé ? C’est l

Une cagnotte pour Christophe Castaner

Nous avons déjà eu l’occasion (en tous cas l’intention y était) de payer des cours de droit à Madame SCHIAPPA, et notre mission civilisatrice, vulgarisatrice et d’expansion de l’état de droit doit pouvoir profiter également aux autres membres du gouvernement affligés de carences en la matière.

 Naturellement, l’histoire a montré qu’on peut être un excellent Ministre de l’Intérieur en n’ayant avec le droit que des rapports distants ou élastiques, et certains estiment même que s’en émanciper totalement est une qualité pour occuper ce poste.

 Les gilets jaunes, ou en tous cas des gens portant des gilets jaunes, ont commis de nombreuses dégradations et exactions lors des dernières manifestations et en particulier celle du samedi 16 mars 2019 (je précise le millésime pour les gens qui liront cet article en 2050. Je me suis bien reporté, pour l’écrire, à un article du Monde de 1981).

 Notre actuel Ministre de l’Intérieur, qui n’est peut-être pas tout à fait exempt de reproches sur ce coup-là (les images montrent que le terrain leur a été presque totalement abandonné), a contre attaqué en déclarant ceci, à l’intention de deux gilets jaunes emblématiques : « je souhaite non seulement qu'il y ait des poursuites pénales, mais il faut aussi qu'ils assument financièrement la casse (...) il faut qu'ils remboursent ».

 Malheureusement, Monsieur le Ministre, il existe des règles de droit et elles sont (je suis le premier à le reconnaitre) incroyablement contraignantes, pour ne pas dire contrariantes.

 Ainsi, il est bien établi en droit français qu’on n’est responsable que de son propre fait.

 L’ancien article 1382 du code civil, dont la rédaction demeure inchangée depuis 1804 et le code Napoléon, énonce un principe fondamental de responsabilité lorsqu’une faute a été commise, qu’un préjudice est advenu, et qu’il existe, entre les deux, un lien de causalité direct et certain.

 S’il a été renuméroté dans le nouveau code civil (article 1240) sa formulation est identique.

 Ce texte est considéré comme un modèle de rédaction de la loi (auquel, entre nous, l’actuel Législateur ferait bien de se référer parfois), par sa simplicité, son exactitude et sa portée : chaque mot compte, tous sont nécessaires et aucun ne manque.

 Intelligenti pauca, le ratio entre la brièveté du texte et l’ampleur de ses conséquences pratiques n’avait pas été égalé depuis « tu ne tueras point », qui n’est pas mal non plus dans son genre.

Il existe un précédent fameux dans l’histoire, qui illustre cette volonté de faire payer, littéralement, un responsable ou supposé tel.

 L’affaire remonte à l’époque de la Commune de Paris ou plutôt de ses suites, et concerne Gustave Courbet, immense peintre dont tous connaissent, au moins, la fameuse Origine du monde et le saisissant Autoportrait.

 Courbet avait appelé, avant la Commune, au « déboulonnement » de la colonne Vendôme, et il a été élu au Conseil de la Commune, mais après que ledit Conseil eut voté son abattage.

 

Il semble donc qu’il n’ait pris aucune part personnelle à la décision ni à la réalisation de cette destruction.

 

Pourtant, après l’intervention des versaillais, il en fut déclaré responsable et condamné à payer l’intégralité des frais de relèvement de la colonne Vendôme, ultérieurement chiffrés à 323.091,68 francs, somme absolument colossale pour l’époque.

 

Beaucoup considèrent qu’il s’agit d’une décision d’opportunité qui d’une part avait une valeur symbolique et d’autre part visait Courbet parce qu’on pouvait le croire suffisamment solvable pour répondre de ces sommes ou en tous cas d’une part significative.

 

D’ailleurs ses biens furent confisquées et son atelier dispersé aux quatre vents des enchères publiques, comme ne disait pas encore Alphonse Allais, qui n’avait que 21 ans.

 

Certainement cette condamnation a frappé les esprits, comme c’était sans doute le but, et certains ont dû trouver excellent que quelqu’un paye les dégâts.

 

Peut-être en attendait-on aussi une forme d’exemplarité et même d’avertissement : attention, si vous vous en prenez à des monuments publics, vous vous exposez à une saisie sur salaire pendant les 225 prochaines années.

 

Plus récemment, la loi dite « anti-casseurs » de 1970 instituait une responsabilité pénale et pécuniaire, non seulement des auteurs de dégradations (c’est bien le moins), mais aussi d’individus ayant seulement eu le mauvais goût ou l’imprudence de participer aux manifestations, ce qui revenait à instaurer un principe de responsabilité collective auquel naturellement répugne le juriste.

 

On sent bien que c’est ce qui titille Monsieur CASTANER et qu’il vit mal la frustration et le sentiment d’impuissance engendrés par l’impunité des casseurs et l’impossibilité, la plupart du temps, d’identifier les vrais responsables.

 

C’est ce qui fait qu’on voit arriver en comparution immédiate, non pas des militants revendiquant des actes graves au nom de l’anarchie, de la révolution ou de l’anticapitalisme, mais des minus qui ont ramassé des vêtements de luxe ou lancé une bouteille (vide, parce que manifester, ça donne soif) sur les forces de l’ordre, et qui balbutient de vagues regrets et de molles excuses.

 

Comme aiment à le répéter les policiers : on n’attrape pas les plus coupables, mais ceux qui courent le moins vite.

 

On comprend bien l’agacement du Ministre d’autant qu’il risque sa place, le Patron lui ayant clairement exprimé son vif mécontentement.

 

Cependant, comme toujours il faut savoir à quoi on tient le plus en une époque donnée : la justice et le respect des droits, ou l’efficacité de la répression, car on ne peut jamais avoir les deux, intégralement et en même temps.

 

 

 

 

1. https://www.legavox.fr/blog/maitre-loeiz-lemoine/cagnotte-pour-marlene-schiappa-26001.htm

 

2. https://www.huffingtonpost.fr/2019/03/18/castaner-veut-des-poursuites-contre-drouet-et-nicolle-ce-dernier-lui-repond_a_23695258/?ncid=fcbklnkfrhpmg00000001&fbclid=IwAR2BINrRgHsPD-aCbbMsnVfMlW3-yj6qpkZh-dytyYae_jWte91Qc3d3e4o

 

3. http://mafr.fr/fr/article/1382/

 

4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_locutions_latines_commen%C3%A7ant_par_I

 

5. https://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-courbet.php#lorigine

 

6. https://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-courbet.php#auto

 

7. https://books.google.fr/books?id=6kWqWkUu_84C&pg=PA150&lpg=PA150&dq=cour+d%27appel+de+la+seine+7+ao%C3%BBt+1875+gustave+courbet&source=bl&ots=zYPD1TO7OX&sig=ACfU3U3zFGJP8TLG6RYj13HfIsgvwBjrOA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiXyai6yY7hAhWJy4UKHRcDB_kQ6AEwAnoECAkQAQ#v=onepage&q=cour%20d'appel%20de%20la%20seine%207%20ao%C3%BBt%201875%20gustave%20courbet&f=false

 

8. https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/11/26/l-agonie-de-la-loi-anti-casseurs_2728160_1819218.html

 

9. https://www.nouvelobs.com/justice/20190318.OBS1994/juges-pour-les-violences-sur-les-champs-j-etais-en-noir-car-c-etait-le-dress-code-de-la-manif.html

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.

A propos de l'auteur
Blog de Maitre Loeiz Lemoine

Avocat d'expérience, ancien Secrétaire de la Conférence, titulaire d'un certificat de spécialisation en droit pénal depuis plus de 20 ans, je vous assiste dans tous les domaines du droit pénal, du droit commun au droit des affaires.

Victime ou personne poursuivie, j'interviens devant toutes les juridictions.

Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et sur nos applications mobiles