Nous avons récemment eu l’occasion (1) de nous pencher sur la décision du tribunal correctionnel de Paris à l’égard d’Alain SORAL et surtout de son conseil.
Faute d’avoir pu lire le jugement, il n’y a rien de neuf à dire sur la condamnation du second, qui porte sur des mots écrits ou prononcés à l’occasion de la défense d’un prévenu.
Nous y reviendrons certainement car cette question de l’immunité de la défense vaut qu’on s’y attarde.
En ce qui concerne SORAL, rappelons qu’il a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement ferme, condamnation dont il a fait appel, et que le tribunal avait assortie d’un mandat d’arrêt, en son absence à l’audience.
L’effet de ce mandat d’arrêt revient à une sorte d’exécution provisoire, c’est-à-dire que le jugement est censé s’exécuter immédiatement, avant que la décision soit définitive.
Le principe en la matière, énoncé par l’article 506 du code de procédure pénale (2), est que « Pendant les délais d'appel et durant l'instance d'appel, il est sursis à l'exécution du jugement […]. »
Dans l’ordre judiciaire (par opposition à l’ordre administratif), à quelques exceptions près, le principe est bien que l’appel revêt un effet suspensif et aucun juriste n’a jamais considéré qu’il en découlait un scandale.
Des mécanismes sont là qui permettent, en cas de nécessité, d’y déroger pour pallier certaines difficultés.
Le tribunal, en décernant mandat d’arrêt, a utilisé un de ces mécanismes qui revient à priver l’appel de son effet suspensif.
Or, la possibilité (technique, nous ne parlons pas de l’opportunité d’une telle décision) d’un mandat d’arrêt en la circonstance est discutable compte tenu de la nature de l’infraction.
L’article 465 du code de procédure pénale dispose en effet que « s'il s'agit d'un délit de droit commun ou d'un délit d'ordre militaire […] et si la peine prononcée est au moins d'une année d'emprisonnement sans sursis, le tribunal peut, par décision spéciale et motivée, lorsque les éléments de l'espèce justifient une mesure particulière de sûreté, décerner mandat de dépôt ou d'arrêt (3) contre le prévenu ».
C’est dans ces conditions que le parquet, qui a la charge d’exécuter les décisions de justice et singulièrement les mandats d’arrêt, a fait appel de ce point précis du jugement et s’est refusé à faire interpeller Alain SORAL. (4)
Tout ceci est simplement du droit, encore du droit, toujours du droit.
En effet, Alain SORAL, DIEUDONNE, FAURISSON, tous sont exposés à la même rigueur, mais bénéficient de la même protection, de la loi, que n’importe quel justiciable lambda.
Or cette décision (pas celle, critiquable, du tribunal, mais celle, défendable, du Parquet) soulève une inattendue (pour moi) levée de boucliers et une vive tribune a été publiée dans l’ancien Nouvel Observateur (5).
En écho à la formule selon laquelle la France était un pays désirable où les Juifs seraient heureux « Wie Gott in Frankreich » (comme Dieu en France), la tribune s’intitule « Heureux comme un antisémite en France ».
Ce titre, assez bien trouvé je le reconnais, suggère une complaisance française à l’égard de l’antisémitisme et de ses manifestations, et en l’espèce une complaisance du Parquet.
Les signataires de cette tribune, ou en tous cas ses rédacteurs, n’y vont pas avec le dos de la plume.
Le Parquet, selon eux, se livrerait à « une voie de fait » et n’aurait pas honte de « servir desupplétif aux avocats de la défense », ce qui est à la fois une insulte et un oxymore.
Ce faisant, il tomberait « dans le piège des professionnels de la haine : faire accroire l’idée (sic) que le racisme et l’antisémitisme seraient des délits politiques et des délits d’opinion ».
Ce serait, selon eux, un « Münich judiciaire » puisque, « Alors que l’antisémitisme assassine de nouveau en plein Paris, le parquet de la République bataille pour faire relâcher les antisémites » ; « Croyant protéger le droit, on finit par protéger les racistes et les antisémites de toute sanction effective et par organiser leur impunité ».
Si j’avais mauvais esprit, je relèverais que le traitement des antisémitismes n’est pas toujours le même selon qu’il revêt les habits de l’extrême droite ou le déguisement de l’antisionisme, mais pour le coup cette considération n’est pas juridique.
SORAL, de ce point de vue, est l’antisémite rassurant, attendu, sans surprise, celui qui fait l’unanimité et qu’on aime détester, mais en vérité ce n’est pas du tout cet antisémitisme-là qui tue dans les rues de Paris.
Les signataires de la tribune sont tous gens éminents, respectables et, j’en ai peur, bien intentionnés, du moins sur la question de l’antisémitisme.
Paradoxe, ils sont presque tous sont proches de la LICRA, du MRAP et de SOS RACISME, qui jadis (6) se déshonorèrent en se constituant parties civiles, aux côtés du sinistre CCIF, contre Georges BENSOUSSAN qui dénonçait, justement, un certain antisémitisme.
Rappelons que le Parquet, à l’époque, était à leurs côtés dans la poursuite, dans son réquisitoire, dans l’appel du jugement de relaxe, et dans le réquisitoire devant la cour, qui heureusement confirma la décision.
Mais dans cette nouvelle affaire tout est oublié et les termes de la tribune sont, disons-le tout net, aussi injustes qu’insultants.
Il nous semble pourtant que le parquet ne fait que son devoir en défendant le droit et surtout son application identique à tous les justiciables.
Le texte cité plus haut précise bien que le mandat d’arrêt est possible « pour les délits de droit commun », et il est avéré que l’infraction de contestation de crime contre l’humanité est prévue et réprimée par l’article 24 bis de la fameuse loi sur la presse du 29 juillet 1881 (7).
Juridiquement donc, la position du parquet n’est pas totalement inepte et celle du tribunal, qui a prononcé le mandat d’arrêt, pas exempte de critique.
L’honneur de ceux qui ont la charge de faire appliquer les règles, au siège comme au parquet, c’est de ne pas tenir compte du fait qu’elles peuvent donner des résultats qui leur déplaisent.
Ceci pour le droit.
Par ailleurs, il est étonnant que les signataires de la tribune ne voient pas que faire exécuter un mandat d’arrêt discutable (je laisse la question ouverte), apporterait de l’eau au moulin de la victimisation des négationnistes et révisionnistes de tous poils.
Faire arrêter et incarcérer SORAL serait lui faire un magnifique cadeau, qui ne manquerait pas d’être exploité et mis en scène au profit de son exposition médiatique et de son lucratif business.
Et si en effet, par la suite, le mandat d’arrêt venait à être jugé illégal, quelle apothéose pour ce martyr qui aurait donc été injustement incarcéré… encore un coup des Juifs, pas de doute !
Au contraire, le droit appliqué rigoureusement, méthodiquement, en restant indifférent à celui à qui il s’applique, rend indiscutables la décision de justice et la façon dont elle est exécutée.
Comme le disait Péguy à propos de la vérité (8) : il faut appliquer le droit, tout le droit, rien que le droit, appliquer bêtement le droit bête, ennuyeusement le droit ennuyeux, tristement le droit triste. Mais comme disait Coluche : ça sera pas facile.
1. https://www.legavox.fr/blog/maitre-loeiz-lemoine/alain-soral-prison-avocat-condamne-26732.htm
3 – Mandat de dépôt lorsque la personne condamnée est présente, ce qui revient à une arrestation à la barre, et d’arrêt si elle est absente.