Les mains sales et la nausée

Publié le Modifié le 20/08/2020 Vu 7 119 fois 0
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L'avocat est tenu au plus strict secret professionnel. Etonnant, non ?

L'avocat est tenu au plus strict secret professionnel. Etonnant, non ?

Les mains sales et la nausée

 

Je suis avocat, pénaliste et ancien dans le métier, c’est dire si dans ma vie j’en ai vu des saloperies, mais des comme ça, jamais.

 

Un candidat à la mairie de Paris vient de se voir contraint de jeter l’éponge, en rase campagne, après que des vidéos à caractère sexuel (j’écris ceci sans les avoir vues et j’entends ne les jamais voir) ont été diffusées via un site au nom improbable : porno-politique.

 

Ainsi que l’a rappelé un de mes éminents confrères, ceci tombe sans la moindre ambiguïté sous le coup de la loi pénale et plus précisément de l’article 226-2-1 du code pénal, je ne saurais rien ajouter qui ne soit paraphrase ou redondance.

 

Un personnage complaisamment qualifié « d’artiste russe », et dont les faits d’arme ont principalement consisté à se clouer (littéralement) le scrotum sur les pavés de la Place Rouge, à se coudre la bouche puis, une fois réfugié en France, à mettre le feu à la Banque de France, est à l’origine de cette publication.

 

Juge, juré et exécuteur des basses œuvres, cet homme a décidé de mettre de l’ordre dans notre vie politique en décidant qui était autorisé, ou non, à briguer les suffrages des parisiens (ce qui, par parenthèse, lui fait un point commun avec ce Poutine qu'il prétend combattre).

 

Benjamin Griveaux n’a pas eu l’heur de lui plaire et notre justicier l’a littéralement crucifié (en ce qui me concerne et avant d’écrire cette diatribe, j’ai réinitialisé mon téléphone).

 

Cette action ne me parait pouvoir inspirer que du dégoût et une grande inquiétude face aux dérives de l’époque : un clown, un bouffon dont la seule dimension artistique semble la recherche de notoriété à n'importe quel prix, a exécuté un homme politique dans des conditions dignes de Black Mirror©.

 

On me permettra de m'étonner naïvement que sa précédente action d'éclat ne lui ait pas valu, en plus des 3 ans de prison dont 2 avec sursis, le retrait de son statut de réfugié politique.

 

Rappelons en effet que « Toute personne bénéficiant de la protection de l'OFPRA a l'obligation de se conformer aux lois et règlements de la République française ainsi qu'aux mesures prises pour le maintien de l'ordre public. », ce qui paraît la moindre des choses quand on a demandé l'asile à un pays.

 

Espérons que son ingérence dans notre démocratie, et la qualification pénale qu'elle revêt, lui vaudront un aller simple vers un pays moins à cheval sur sa souveraineté.

 

Mentionnons aussi, pour mémoire, ce député, premier candidat déclaré à la présidentielle, jusqu’ici irréprochable, un modèle de parlementaire, en tous cas sur Twitter (à l'assemblée on ne sait pas trop), et qui a relayé les vidéos mises en ligne, avec un message parfaitement hypocrite.

 

Comme disait ce pauvre Fred : la connerie à ce point-là, moi j'dis que ça devient gênant.

 

Espérons qu’une suite pénale sera donnée à ce comportement et que cette personne émargera le moins longtemps possible au budget de la République.

 

Je ne pense pas qu'il sera en difficulté puisqu'il est médecin de son état (j'ai lu des informations contradictoires : certains disent qu'il est radiologue mais je crois que sa spécialité est plutôt la proctologie, à moins que ce soit la psychiatrie, mais alors comme patient).

 

Venons-en maintenant à l’intervention, plus étonnante, du conseil de « l’artiste russe ».

 

Il parait que Juan Branco est avocat.

 

J’introduis une nuance de conditionnel dont j'espère qu'on ne me fera pas grief, parce qu’il y a tout juste un an, à un internaute qui avait moqué sa présence au café de Flore, il expliquait sa situation réelle par cette énergique formule : « je suis au RSA blaireau ».

 

Je sais très bien que beaucoup de jeunes avocats souffrent (je m’en suis souvent fait l’écho), mais je ne pensais pas qu’on pût toucher si peu, et même que le RSA fût accessible à un avocat en exercice.

 

Je l'avais d'ailleurs beaucoup plaint de n'avoir pas mieux réussi malgré tous ses atouts, et admiré d'avoir néanmoins persévéré dans ce métier de chien pour un aussi piètre résultat.

 

D’autant plus qu’en l’espèce, il s’agit d’un garçon beaucoup plus connu que moi et qui passe son temps dans les télés, les journaux et les radios : manifestement il ne met pas sa notoriété au service de son cabinet, et cette preuve d’humilité suscite, en même temps qu'un peu d'étonnement, le plus grand respect.

 

Je viens d’éprouver une deuxième vague de doutes en prenant connaissance de ses déclarations au Point :

 

« Il m'a consulté comme avocat. J'ai compris que, pour lui, c'était un acte politique. De la même façon qu'il s'était opposé au régime de Poutine, il était prêt à tout pour s'opposer au régime de Macron, qu'il considère comme tout aussi répressif. »

 

Je comprends très bien que mon confrère, dont la conscience politique est de son âge, et dont ce n'est pas, en tant qu'avocat, le domaine de compétence, ne l'ait pas détrompé.

 

A ma connaissance, si des russes peuvent trouver asile chez nous, il n'existe aucun français, dans le monde entier, qui bénéficie du statut de réfugié pour avoir été persécuté en France, mais passons.

 

En revanche, si un ancien peut se permettre une petite remarque : attention, le seul fait qu’un avocat ait été consulté par une personne, et ce qu'elle lui a dit, sont couverts par le secret professionnel.

 

L'article 2.1 de notre règlement intérieur ne laisse place à aucune interprétation :

 

« L’avocat est le confident nécessaire du client.

Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.

Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. ».

Et mon confrère de poursuivre : « Il dit que c'est la première vidéo d'une série […]. Je suis parti du présupposé qu'il savait ce qu'il faisait. ».

Là encore, au risque de passer pour un donneur de leçons, il est toujours préférable de partir du principe que les profanes, surtout étrangers et peu familiers de notre système juridique, ne savent pas ce qu’ils font.

 

C’est même pour ça qu’ils nous consultent (j’ai un peu honte d’énoncer de telles évidences mais les vieux avocats ont certains devoirs à l'égard des jeunes, c'est ce qu'on appelle la transmission du savoir).

 

Enfin, nous dit-il, son client « ne touche qu'aux personnes qui font le jeu de la peopolisation. Avec ce que Benjamin Griveaux a fait avec Mimi Marchand [explication du Point : la patronne de l'agence de paparazzis Bestimage avait propulsé l'homme politique en une de Paris Match au côté de son épouse], Piotr Pavlenski considère ça comme légitime. »

 

Voila qui confirme ma précédente observation : la légitimité, notion très pratique et d’une remarquable élasticité, n’existe pas en droit, qui ne connaît que la légalité, beaucoup plus contraignante, pour ne pas dire rigide.

 

Certes, on a vu un juge considérer comme légitimes des actes de décrochage du portrait du président de la République, au nom de l'état de nécessité, mais je ne parierais pas que les tribunaux porteraient le même regard sur la diffusion de vidéos montrant un candidat dans une attitude nettement sexuelle.

 

C’est forcément ce que Juan Branco n'a pas manqué de lui dire mais, interrogé sur ce point il n'a pas souhaité répondre, estimant que ses échanges avec son client étaient couverts par le secret professionnel (ah, tout de même) et qu'il ne pouvait « parler à la fois en tant qu'avocat et citoyen », précision bienvenue pour les personnes mal intentionnées qui en douteraient.

 

On supposera, mais évidemment il ne peut pas le dire, qu’il a formellement déconseillé à son client de procéder à une mise en ligne qui serait une infraction caractérisée.

 

Malheureusement, c’est connu, les personnes que nous assistons ne suivent pas toujours nos conseils, même les plus pressants.

 

Les déclarations de Juan Branco à France Info sont encore plus décoiffantes pour un avocat aussi timoré que l'auteur de ces lignes :

 

« Il m'avait consulté pour savoir ce qu'il encourait, s'il devait le faire ou pas, les conséquences que cela pouvait avoir et ainsi de suite. C'est mon rôle en tant que conseil d'être conservateur (?), c’est-à-dire de lui dire "attention, il y a tel et tel risque, ayez bien conscience de ce que vous faites". Après, Piotr Pavlenski est tout de même l'un des plus grands artistes russes contemporains et un activiste politique important, je n'ai pas de leçon à donner sur la conduite qu'il devrait suivre. »

 

Là encore, la violation du secret professionnel me paraît patente.

 

Plus étonnante, la conception du rôle de l'avocat : contrairement à l'instituteur, il ne donne pas de leçons en effet, on appelle ça des conseils, la différence étant l'absence totale de dimension morale au profit de l'aspect purement juridique.

 

La suite est du même tonneau (pourvu que le Bâtonnier ne tombe pas sur ces lignes) :

 

« Mais, je lui ai dit qu'il y avait des conditions pour que je prenne ce dossier et que je le défende éventuellement. Notamment, celle que l'information soit véridique, qu'il y ait des éléments qui soient suffisamment incriminants vis-à-vis de Benjamin Griveaux (!), même s'ils ne les révélaient pas et qu'il ait un propos raisonné qui ne soit pas l'objet de manipulations de qui que ce soit (?). Dès que j'ai eu les éléments en tête, je lui ai dit que j'étais en position de le défendre s'il souhaitait avoir un avocat. »

 

Notons pour conclure que notre artiste s’apprêterait ou menacerait de mettre en ligne d'autres vidéos.

 

S’il consulte de nouveau Maître Juan Branco, je me permets de recommander à mon jeune confrère, au bénéfice de l’ancienneté, d’insister pour que son client ne mette pas son projet à exécution.

 

Naturellement, un avocat ne saurait être mis en cause pour les conseils qu'il a donnés (et dont par construction personne ne peut avoir connaissance, puisque, encore une fois, le secret... mais n'insistons pas) et encore moins si son client a décidé de ne pas les suivre.

 

En revanche, une personne affirme que, dès le 12 février, « l'inénarrable avocat et activiste politique Juan Branco » (c'est pas moi qui le dit) lui aurait envoyé un lien vers les vidéos : attention, la qualité d'avocat, même lorsqu'elle est réelle, n'est pas une armure ou un totem d'immunité, un certain nombre d'entre nous en ont fait l'amère expérience.

 

Conseiller est une chose, participer à la diffusion en est une autre et constitue l'infraction telle que définie par la loi.

 

Les temps sont difficiles en ce moment pour les avocats et des pénalistes autrement chevronnés sont inquiétés, l’un d’eux est même incarcéré (soutien total à notre confrère).

 

Il serait dommage qu’une aussi prometteuse carrière (je pars du principe qu’il ne restera pas toute sa vie au RSA, un peu d’espoir que diable !) soit tuée dans l’œuf pour une simple erreur de débutant et c'est pourquoi je m'autorise les petites recommandations ci-dessus.

 

Je déconne, mais au fond de moi, l’idée qu’un avocat aurait pu prêter la main à une telle opération me déprimerait plus que je ne saurais dire.

 

 

 

 

 

1 https://www.liberation.fr/france/2020/02/14/en-matiere-de-revenge-porn-il-y-a-tout-ce-qu-il-faut-dans-la-loi_1778392

 

2 https://www.huffingtonpost.fr/entry/piotr-pavlenski-revendique-la-diffusion-des-videos-impliquant-benjamin-griveaux_fr_5e465bc8c5b64ba2974d5fe2?utm_hp_ref=fr-homepage

 

3 https://www.huffingtonpost.fr/entry/portrait-joachim-son-forget_fr_5e46717ec5b64433c61483f3

 

4 https://www.lepoint.fr/politique/videos-intimes-de-griveaux-le-role-trouble-de-juan-branco-14-02-2020-2362721_20.php

 

5 https://www.legavox.fr/blog/maitre-loeiz-lemoine/justice-decroche-27431.htm

 

6 https://www.francetvinfo.fr/politique/benjamin-griveaux/retrait-de-griveaux-piotr-pavlenski-est-parfaitement-conscient-et-convaincu-de-la-justesse-de-ce-qu-il-a-fait-declare-son-avocat-juan-branco_3826485.html

 

7 https://www.facebook.com/zoe.sagan.

 

8 https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000033207318

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A propos de l'auteur
Blog de Maitre Loeiz Lemoine

Avocat d'expérience, ancien Secrétaire de la Conférence, titulaire d'un certificat de spécialisation en droit pénal depuis plus de 20 ans, je vous assiste dans tous les domaines du droit pénal, du droit commun au droit des affaires.

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