Groupement de commandes : peut-on passer un marche dissident ?

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Un TA a annulé un marché « dissident » lancé par un pouvoir adjudicateur pour des besoins déjà couverts par un autre marché passé par un groupement de commandes dont ledit pouvoir adjudicateur est membre. Pour la juridiction, le pouvoir adjudicateur a méconnu les obligations qui pesaient sur lui du fait de son appartenance au groupement de commandes.

Un TA a annulé un marché « dissident » lancé par un pouvoir adjudicateur pour des besoins déjà couverts

Groupement de commandes : peut-on passer un marche dissident ?

Article publié le 11 mai 2015 sur www.achatpublic.info avec interview de Me Malvina Mairesse

Attention, l’appartenance à un groupement de commande fait naître un droit d’exclusivité qui empêche un membre de passer dans son coin et pour une prestation identique un autre marché public. Dans l’affaire en cause, le CHU de Caen, en sa qualité de coordinateur du groupement de commandes du GCS-Uni.HA pour la filière « nouvelles technologies de l’information et de la communication » a, début 2011, lancé un appel d'offres pour la fourniture, l’intégration, la maintenance et l’ingénierie de solutions de réseaux informatiques filaires et sans fil et de leur sécurité associée pour le compte de 33 centres hospitaliers. La société à l’origine du recours qui a donné lieu à la décision commentée, s’est vue attribuer, en juillet 2011, le lot n°1 intitulé « Eléments actifs de réseau pour de nouvelles installations et prestations associées » et le lot n°5 intitulé « Sécurité d’infrastructures réseau, prestations associées et maintenance ». A la même époque, le CH Bretagne Sud, membre adhérent au groupement de commandes, a lancé une procédure en vue de la passation d’un marché alloti ayant pour objet la fourniture et les prestations associées à la mise en place d’une nouvelle architecture de réseau IP, le remplacement de son système de téléphonie et la maintenance de son système de télécommunications. La société requérante, attributaire des deux lots susvisés du marché UniHA, a été évincée de cette procédure. Après un référé précontractuel rejeté, elle a saisi le tribunal administratif d’un recours Tropic.

Une question inédite

« La question centrale dans la présente affaire est celle de savoir si le CHBS, en sa qualité d'adhérent au groupement UNI HA, pouvait légalement s'écarter de son engagement d'appartenir à ce groupement, observe le rapporteur public, Paul Report, dans ses conclusions. Le CHBS estime qu'il s'agit là d'un simple engagement moral, et cette question ne semble pas avoir été réglée de manière topique par la jurisprudence ». Dans une réponse à une question parlementaire de 2006, le ministre de l’économie, a considéré que dans le cadre d'un marché passé par groupement de commandes, « l'acheteur devra respecter le droit d'exclusivité du titulaire. La seule exception à ce droit d'exclusivité réside dans la possibilité, prévue au I de l'article 72 du CMP dans le cadre des marchés à bons de commande, de satisfaire des besoins occasionnels de faible montant auprès d'un prestataire autre que le titulaire du marché ».

« En d'autres termes, lorsque le membre d'un groupement s'engage à  faire partie des acheteurs du marché passé par ce groupement, il doit s'y tenir, exception faite pour satisfaire des besoins résiduels », résume le rapporteur public. Dans ses conclusions, il a donc invité la juridiction à affirmer clairement ce droit d’exclusivité. « Dire le contraire signifierait que le membre du groupement pourrait, d'une manière en quelque sorte incidente, "résilier", de sa propre initiative et unilatéralement, une partie du marché attribué et signé par ce groupement, alors même qu'il n'est pas le pouvoir adjudicateur. Cela ne nous paraît avoir aucun sens, exception faite pour un motif d'intérêt général dûment justifié (voir CAA Nantes, 2 mars 2012, SAS Les Champs Jouault) », explique Paul Report. Et de conclure : « nous estimons que dans notre affaire, la méconnaissance du principe d'exclusivité constitue une grave irrégularité est constitutif d'un vice d'une particulière gravité ». La réclamation de la société requérante a donc été entendue. Par une décision rendue le 26 mars 2015, le TA de Rennes a annulé le lot n°1 du marché du CH Bretagne Sud au motif notamment que « le centre hospitalier Bretagne Sud, en mettant en œuvre la procédure d’attribution d’un marché spécifique, a méconnu les obligations qui pesaient sur lui du fait de son appartenance au groupement de commandes Uni.H.A. ». De plus, il a accordé à la société la somme de 75.000 euros au titre de son manque à gagner.

L’affirmation d’un droit d’exclusivité

Pour la juridiction, il résulte des dispositions combinées des articles 5, 8 et 77 du code des marchés publics « que chaque membre du groupement de commandes est tenu de passer le marché avec l’attributaire désigné par la commission d’appel d’offres, sauf à ce que la procédure soit déclarée sans suite pour un motif d’intérêt général ». En l’espèce, l’appel d’offre lancé par le CHBS était couvert à 98% par le marché UniHA. Pour la juridiction, « dans ces conditions, le centre hospitalier Bretagne Sud, avait l’obligation de respecter le droit d’exclusivité créé par les dispositions précitées au profit des attributaires des différents lots du marché Uni.H.A. ». « Si la solution retenue par le juge semble logique, aucun texte ni aucune jurisprudence ne prenaient réellement position sur la question. Lorsque l’on est membre d’un groupement de commande, on ne peut pas passer de marché dissident, relève maître Malvina Mairesse, avocat de la société requérante. En effet, le groupement définit son besoin pour un nombre de membres. Certains membres ne peuvent pas ensuite décider de ne pas contractualiser avec le prestataire retenu. Sinon on met à mal toute la logique des groupements de commande », estime l’avocat.

Son confrère maître Philippe Boisset, avocat au cabinet Lexcap, s'interroge cependant : «  ce contentieux pose la problématique de la pertinence d’adhérer à un groupementde commandes pour des besoins assez spécifiques, comme c’était le cas en l’espèce. En effet, quand le pouvoir adjudicateur n’est finalement pas en totale adéquation avec la définition du besoin faite par le groupement, il lui est alors difficile de renoncer à son engagement de principe, remarque l’avocat. En l’espèce, le marché passé par le CHBS convenait mieux à ses besoins. Par ailleurs, il est permis de s’interroger sur la condamnation indemnitaire prononcée par le TA. Celui-ci a en effet estimé que la société requérante avait perdu une chance sérieuse de remporter le marché « dissident », compte tenu de la méconnaissance du principe d’exclusivité. Or, peut-on réellement considérer qu’une entreprise a perdu une chance sérieuse de remporter un marché qui, sur le principe même, n’aurait pas dû être lancé eu égard à la préexistence de l’autre marché déjà conclu par le groupement d’achat ? Le Centre hospitalier a ainsi soutenu que si perte de gain il y avait, elle était davantage liée à la non-exécution du marché initial passé par le groupement de commandes. Or, ledit marché était un marché à bons de commandes sans minimum garanti…». Mais cela n’a pas convaincu le juge qui a estimé que le marché était entaché d’irrégularités qui par leur nombre et leur nature, constituaient des vices d'une particulière gravité de nature à justifier son annulation.

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