Du PMU aux haras de Normandie, des poneys du parc du Luxembourg aux coureurs du Prix de Diane, « la plus noble conquête de l’homme que l’homme ait jamais faite » (1) est une passion et fierté française.
Si la France est un pays équestre aux 250 hippodromes et compterait un million de chevaux et 650 000 cavaliers licenciés, elle est également celle des niches et complexités fiscales. Dans l’attente des prochains records de ventes aux enchères, la fiscalité de cet actif atypique doué de sensibilité peut-elle être une source d’opportunités pour les particuliers ?
CE, 7 mai 1980, no 18035 ; BOI-BNC-SECT-60-10-20-140430. CE, 4 avr. 2005, no 255600 BOI-CF-IOR-60-20-10-30, nos 180 à 230
Au-delà d’une activité sportive et de loisirs, le cheval, animal de compagnie, de rente et de consommation est au cœur d’une filière économique des plus actives, dont on a pu constater la mobilisation lors du combat contre l’équitaxe. Sur le million de chevaux existant, 700 000 sont détenus par des entreprises ou des associations (élevages, centres équestres, écuries...), les autres appartenant à des particuliers dont une majorité n’a pas le statut d’éleveur. Le secteur des courses est ainsi des plus porteurs : on compte en France environ 6,5 millions de parieurs qui misent au total plus de 10 Mds€ chaque année. Plus de 17 000 courses, dont un peu plus de 10 000 pour le trot et 6 800 pour le galop, sont organisées dans les hippodromes en activité par plus de 200 sociétés de courses réunies au sein d’une fédération nationale. Rappelons également que la France accueillera cet été les Jeux Mondiaux Équestres en Normandie et est aujourd’hui le quatrième exportateur mondial de chevaux.
La détention d’un cheval peut aussi répondre pour des particuliers à des pures finalités d’investissement. Quel propriétaire non professionnel ne rêve pas de dénicher un jour dans un foal grassouillet et fainéant un futur Ourasi, quadruple vainqueur du Prix d’Amérique, trotteur du siècle ? Quel investisseur ne rêverait pas de réaliser, comme tel ancien ministre, une plus-value de 4,9 M€, de surcroît taxée selon un régime des plus favorables, voire exonérée ?
Dans le contexte actuel de morosité financière et de réduction des niches fiscales, on comprend bien les récentes incursions du législateur dans la fiscalité équine. Encore faut-il au préalable appréhender cet actif atypique, pour apprécier à sa juste valeur les louables efforts du Code général des impôts pour retenir une base taxable, ainsi que les opportunités patrimoniales existantes.
→ Un actif évolutif des plus réglementés
Le cheval est un bien et un actif atypique en considérant que :
- sa valeur est par définition évolutive et non prédéterminée, le bien pouvant être tour à tour produit et outil de production, stock et immobilisation... et sujet aux plus folles espérances et déceptions. Ainsi, un cheval de course « déclassé » peut devenir un cheval de selle limité aux seules activités de loisirs et interdit pour la reproduction, voire affecté à l’équarrissage. De même, le trotteur du siècle, Ourasi, s’avéra décevant comme reproducteur. Le parallèle avec le capital-risque est ici frappant ;
- sa durée d’investissement est par essence différente d’un bien immobilier par exemple, en considération d’une courte espérance de vie et donc d’exploitation, obérée par des frais d’entretien importants ainsi qu’une fragilité de « l’investissement » dont témoigne le détail des polices d’assurance. Le record de longévité d’Ourasi (30 ans) reste ainsi exceptionnel ;
- son exploitation peut relever des loisirs, du sport, de l’agriculture ou même du domaine thérapeutique.
Nos équidés bien aimés sont en pratique régis par de multiples règles issues du Code civil, du Code rural et de la pêche maritime, du Code des courses...
Sur le plan civil, la distinction repose sur la summa divisio depuis 1804 entre biens meubles et immeubles
À cet égard, le cheval de selle ou de course est un bien meuble corporel au sens de l’ article 524 du Code civil , dans l’attente du nouvel article 515-14 du même code qui prévoit que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ». D’ici la parution du texte, de nombreuses interrogations subsistent : les animaux constitueront-ils une catégorie sui generis ?
Sur le plan règlementaire, les instances nationales sont des plus présentes
C’est à un arrêté du ministère de l’Agriculture et de la Pêche que revient la classification et nomenclature des « équidés » en race équine, asine et hybride. L’appellation d’un équidé enregistré résulte de la dénomination de la race du livre généalogique auquel il est inscrit (article 2), la liste des races étant déterminée par les registres d’élevage (stud-book) tenus par les haras nationaux (article 3) et les chevaux de sang regroupant les races de chevaux de courses et de selle (article 4). Observons que la définition de chevaux de « sport » n’est ici pas définie, même si elle est souvent reprise dans les débats parlementaires ou la doctrine fiscale.
L’inscription dans l’un des 52 stud-books est donc déterminante pour la qualification et la valorisation actuelle et future du cheval : n’est pas cheval de sang qui veut.
Une première distinction s’opère donc naturellement entre les chevaux de trait à usage agricole (70 000), les chevaux de selle réservés aux seuls loisirs (720 000) et les chevaux de course (110 000), objets de toutes les convoitises.
On retrouve dans cette catégorie une terminologie digne d’un assureur ou du private equity : galopeurs, trotteurs, sprinter, miler, pur-sang anglais, arabes purs, anglo-arabes, Autre Que Pur Sang (AQPS) anglo-arabes de complément, sans compter les distinctions en fonction des races... De même, les termes diffèrent selon l’âge du cheval : un poulain de moins d’un an sera dit la plupart du temps « foal », tandis qu’un « yearling » sera un poulain de 12 à 24 mois ayant achevé sa période d’élevage et prêt à commencer sa période d’entraînement, par opposition aux « deux ans pré-entrainés » ou « prêt à courir ».
À pur-sang reconnu, propriétaire également distingué : les propriétaires de chevaux de course font l’objet d’un agrément préalable selon le Code des courses. Un particulier peut ainsi accéder à la propriété de diverses manières : la pleine propriété, la location, la qualité de locataire-dirigeant, la qualité d’associé-dirigeant, une part d’intérêt dans un syndicat, un mandat spécial d’une société agréée en qualité de propriétaire. En raison du prix nécessaire pour l’investissement (voir supra), il est en effet courant de constituer une indivision ou une forme sociétaire collective d’investissement. Observons qu’il peut donc également s’agir d’une personne morale comme une société de personnes ou une société de capitaux, mais que le texte exclut de facto toute détention en démembrement.
Des conditions de ressources nettes sont également exigées pour l’obtention de l’agrément : de 30 € à 75 000 € pour un propriétaire, de 38 000 € à 15 000 € pour un associé et de 18 000 € pour un porteur de parts, la charge mensuelle d’un cheval pour la seule pension et entraînement étant estimée à 2 000 € environ. On comprend bien naturellement dans cet esprit l’intérêt d’assurer son investissement, les pur-sang étant de par leur nature des plus sensibles aux maladies et accidents.
QUEL COÛT POUR UN CHEVAL DE COURSE ?Acheter un cheval dans un but uniquement spéculatif suppose une mise de fond minimale de plusieurs milliers d’euros, du « foal » au « yearling », sujet de toutes les espérances lors de ventes de Deauville et dont les prix peuvent varier de 5 000 € à plusieurs millions... La libéralisation des ventes permet également d’acquérir des parts dans un équidé par internet. Le prix dépendra naturellement de l’origine du cheval, de son lieu de naissance, de la réputation de l’éleveur, de ses qualités athlétiques... De même, l’acquisition d’un « deux ans pré-entrainé » pourra parfois induire un prix supérieur à celui d’un « yearling », le cheval ayant démontré ses qualités, la prise de risque étant ici potentiellement plus faible. Enfin, le cheval de course « prêt à courir » est celui qui a déjà fait ses preuves et qui s’acquiert en vente publique, pour des montants réservés aux plus fortunés.
Le cheval est-il un investissement toujours aussi attractif ? Si l’on en croit les informations recueillies sur les marchés (essentiellement en ventes publiques), les situations sont diverses : meilleur chiffre d’affaires depuis plusieurs années pour les pur-sang, légère baisse pour les trotteurs chez lesquels le prix moyen et la proportion de chevaux vendus augmentent. Dans les ventes aux enchères de chevaux de sport, les prix des « trois ans » se sont maintenus.
→ Une valeur taxable devant prendre en compte de multiples facteurs
Rappelons qu’un cheval dispose d’une carte d’immatriculation, tout comme une automobile, indiquant son propriétaire, et est le plus souvent « pucé » ou enregistré au SIRE, système d’information relatif aux équidés, fichier tenu par l’Institut français du cheval et de l’équitation. À cet égard, la détention d’un cheval ne peut donc échapper à l’administration fiscale, à la différence de bijoux ou objets d’art ou autre actifs atypiques moins aisément repérables.
La disposition d’un cheval de course, tout comme celle d’un yacht, est d’ailleurs un élément du train de vie imposant l’obligation de souscrire une déclaration d’ensemble des revenus, quel que soit leur montant, mais pour les seules personnes relevant de l’impôt sur le revenu.
C’est d’ailleurs dans le cadre de la taxation forfaitaire que le Code général des impôts (CGI) distingue le cheval de course du cheval de selle. Les chevaux de course sont ceux remplissant les conditions suivantes :
- être âgés d’au moins 2 ans au sens de la réglementation concernant les courses ;
- être inscrits au stud-book ;
- être entraînés par une personne munie d’une autorisation d’entraîner ;
- avoir pris part, au cours de l’année d’imposition, à une ou plusieurs courses publiques dont le gagnant s’est vu attribuer, en France ou hors de France, un prix d’une valeur nominale supérieure à 152 € ou à une course exclusivement réservée à certains chevaux et notamment aux chevaux de pur-sang, quelle que soit la valeur du prix.
Les chevaux de selle sont tous les chevaux, quelle que soit leur race :
- dont le contribuable a la disposition à des fins autres que le trait ou le travail ;
- et qui, par ailleurs, ne remplissent pas les conditions exigées pour être classés dans la catégorie des chevaux de course.
Dans le cadre de la taxation forfaitaire, remarquons avec intérêt que la base forfaitaire d’imposition afférente aux chevaux de course est de :
- 4 600 € par cheval de pur-sang ;
- 2 700 € par cheval autre que pur-sang et par trotteur.
Au-delà de ces règles spécifiques, pour les droits d’enregistrement (mutation à titre onéreux, donations, successions, ISF), le cheval, meuble corporel, mais non meuble meublant, ou objet de collection, relève classiquement, pour la détermination de sa base taxable, des principes des articles 758 et 764 du CGI :
- par le prix exprimé dans les actes de vente, lorsqu’elle a lieu publiquement dans un délai de 2 ans ;
- à défaut d’acte de vente, par l’estimation contenue dans les inventaires et autres actes s’il en est passé dans un délai de 5 ans ;
- à défaut, par la déclaration détaillée et estimative des parties.
Pour le particulier qui s’interrogerait dans la solitude de sa déclaration sur la valeur à porter, rappellons qu’il n’y a pas véritablement d’« argus » du cheval, même si les haras nationaux disposent de fiches indicatives sur les gammes de prix, reposant entre autres sur des indices de génétique (blup), de performance et des activités retenues. Certains éléments pourront être jugés déterminants : ainsi, dans un célèbre contentieux successoral portant sur des œuvres d’art et une écurie, avaient tout particulièrement été mentionnés les qualités reproductives du cheval pour en déterminer sa valeur ainsi que son palmarès sportif.
Observons, pour les droits d’enregistrement, qu’on pourrait légitiment s’interoger sur l’incidence d’une détention collective (société, syndicat) ou de toute forme d’indivision pour l’application d’une décote, admise par ailleurs pour d’autres biens « meubles » ou « immeubles »...
→ Une source d’opportunités fiscales et patrimoniales
Si la nature multiple du cheval témoigne déjà d’une certaine originalité pour la détermination de sa valeur vénale, c’est surtout pour l’imposition des revenus et gains issus de son exploitation que le régime est des plus favorables. Sans oublier qu’il constitue une exceptionnelle opportunité de présent d’usage.
IMPOSITION DES PRODUITS ET GAINS
Ceux-ci seront principalement issus des gains réalisés lors d’une compétition, très relatifs sauf Grands Prix Nationaux ou Internationaux, de la reproduction, qui n’a d’intérêt économique que lorsque le cheval a déjà fait ses preuves et naturellement de la plus-value à la revente.
Le Code général des impôts opère ici une subtile distinction, associant l’homme et le cheval, pour déterminer le régime d’imposition applicable voir le propriétaire et l’entraîneur. Un particulier pourra ainsi être principalement qualifié de « propriétaire d’un cheval de course, non intervenant » ou « d’intervenant non professionnel ».
Dans le premier cas, qui sera en pratique le plus fréquent, le propriétaire, confie son cheval à un entraîneur sans intervenir directement dans l’exploitation. À l’image de la holding « passive » de détention de titres, le propriétaire ne prend sur ses actifs aucune initiative, diligence ou réalise d’acte d’animation et de contrôle selon les termes d’une jurisprudence de principe.
Un tel propriétaire n’exerce donc pas d’activité lucrative, relevant de l’ article 92 du CGI , mais la seule gestion d’un patrimoine privé, ce qui induit un exceptionnel régime de faveur :
- une exonération de facto des gains et primes issus des courses tant pour l’impôt sur le revenu que, pour l’instant, des prélèvements sociaux. Dans le contexte actuel, cette « niche fiscale et sociale » n’a toujours pas fait l’objet d’un coup de rabot ;
- lors de la revente, une imposition selon le régime des plus-values privées, relevant de l’imposition hétéroclite pour les biens atypiques de l’ article 150 UA du CGI . Après application d’un abattement de 5 % par année de détention au-delà de la deuxième, la plus-value sera imposée au taux de 19 % et sera définitivement exonérée au terme d’un délai de 22 ans, mais non des prélèvements sociaux qui restent dus. On aura donc tout intérêt à bichonner son étalon ou sa jument à des fins de longévité accrue et forte rentabilité après 22 ans de détention.
A contrario, si le propriétaire est qualifié d’intervenant non professionnel :
- les gains issus de courses relèvent des bénéfices non commerciaux ;
- l’activité ne présentant pas un caractère professionnel, le déficit ne peut s’imputer sur le revenu global mais sur les seuls revenus de même nature ;
- lors de la revente, sera appliqué le régime des plus-values à court et à long terme, le cheval étant alors considéré comme une immobilisation.
UNE EXCEPTIONNELLE OPPORTUNITÉ POUR LE PRÉSENT D’USAGE
Les mécanismes traditionnels de donation présentent déjà de nombreux avantages pour le propriétaire d’un cheval de course :
- la transmission à titre gratuit « purge », la plus-value latente tant pour l’impôt sur le revenu que sur les prélèvements sociaux et bénéficie des abattements et barèmes applicables selon le degré de parenté ;
- si l’acquisition a été réalisée par un financement bancaire, l’assiette de la donation pourra être minorée de la charge selon les conditions de l’ article 776 bis du CGI , les stocks-options n’étant pas les seuls actifs pour lesquels ce dispositif est réservé.
Enfin, il paraît nécessaire de rappeler les possibilités toujours insuffisamment exploitées du présent ou cadeau d’usage au sens de l’ article 852 du Code civil . Rappelons que notre droit civil est empreint de droit canon : les présents d’usage, réalisés à l’occasion d’un événement social, familial ou religieux ne sont pas considérés comme des libéralités et échappent donc à toute taxation fiscale et aux règles du rapport civil sous certaines conditions.
Sacha Guitry a illustré cette opportunité pour les bijoux lors de l’un de ses nombreux mariages. Pour les œuvres d’art, le présent d’aquarelles de Redouté par un père lors du mariage de sa fille a conduit le législateur à intégrer la règle du principe de son estimation lors de sa remise. Pour une illustration équine, le feuilleton de la succession Wildenstein s’impose tout naturellement.
Dans cette affaire, rappelons que la jurisprudence a été amenée à se prononcer, entre autres biens d’exception, sur la qualification au titre de présents d’usage de 10 chevaux offerts par un époux à sa femme pendant leurs 23 années de mariage... Figurait également dans l’écurie familiale le célèbre Kotkijet.
L’Administration renonçant désormais à toute règle pour l’appréciation du quantum, pourquoi ne pas réfléchir avec ses conseils à cette opportunité ainsi que toutes les autres existantes ?
COMMENTAIRELe contrat d’assurance, essentiel en soi pour la préservation d’un bien de cette nature, peut s’avérer un complément utile dans la détermination d’une valeur économique, chaque cheval étant unique par définition !
La détermination des conditions tarifaires pour assurer un cheval ne relève en fait pas de la seule application stricto sensu d’un taux sur une valeur (achat ou agréée). Il n’y a pas vraiment d’« argus » ni de vétusté pour déterminer la valeur d’assurance d’un cheval. Juste une lignée, des performances personnelles ou « parentales », une belle mécanique vivante et considérée comme telle, quand bien même, en termes d’assurance il s’agit de garantir un dommage « matériel ».
La négociation des taux applicables à la valeur du cheval est ici essentielle, ces taux dépendant très étroitement de l’usage du cheval. Entre deux chevaux de courses, celui qui aura, à valeur équivalente, la prime la plus élevée sera naturellement le cheval d’obstacle (haies, steeple). Plus de risque de casse !
L’âge du cheval est également un paramètre de tarification ainsi que les garanties choisies. En effet, si l’on ajoute à la garantie mortalité pure des frais vétérinaires ou de chirurgie en cas d’accident ou de maladie (pour les chevaux de sport uniquement), des primes complémentaires sont appliquées.