Etendue de la liberté d'expression de l'avocat

Publié le 09/04/2013 Vu 14 115 fois 3
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

La liberté de parole de l'avocat dans le prétoire et en dehors : quand plaider responsable.

La liberté de parole de l'avocat dans le prétoire et en dehors : quand plaider responsable.

Etendue de la liberté d'expression de l'avocat

  L’article 41 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse se veut garant de ce que l’on appelle par commodité « l’immunité de robe» et dispose :

« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qu’il appartiendra à des dommages-intérêts.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers ».

La protection offerte par cet article a été pendant longtemps imparfaite. Elle sera renforcée par la suppression des délits d’audience et la loi du 15 juin 1982 suite à l’affaire « Choucq » en 1980.

L’avocat de ce nom faisait remarquer l’absence d’une des personnes arrêtées aux côtés des prévenus au tribunal correctionnel de Quimper « Je ne veux pas croire que le lien de parenté du jeune M. Le Bras avec un représentant du Parquet ait eu une influence quelconque sur le fait qu’il ait été relâché. ».Ces mêmes juges le condamnèrent sur le champ à 10 jours de suspension.

Ces délits sanctionnés immédiatement et disciplinairement à l’audience au cours desquels ils étaient commis, bien que très rarement sanctionnés, portaient une atteinte évidente tant à la liberté d’expression de l’avocat qu’à l’impartialité de la justice.

« Les juges offensés deviennent les juges de l’offense. Voilà déjà qui contrevient grandement aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme, selon lesquels tout accusé, sauf l’avocat, semble-t-il, a droit à un procès juste devant un tribunal indépendant et impartial [1]».

La fronde des avocats puis la loi du 15 juin 1982 mirent fin aux délits d’audience laissant le soin au Conseil constitutionnel, lors de son examen, d’ériger la liberté de parole et d’argumentation des avocats au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la république[2].

Immunité désormais pleine au sens de la loi de 1881, elle n’en sera pour autant jamais absolue, comme tout droit susceptible de dégénérer en abus.

L’immunité conférée aux avocats n’est pas remise en cause, chacun est convaincu de sa nécessité parfois rappelée : « Dans ce face à face démesuré d’un homme et d’une société, l’avocat se heurte à la peur, à l’émotivité populaire, aux juges, aux lois[3] », il revient donc à ce qu’il puisse n’avoir aucune crainte révérencielle, du moins face à cette même société, émotivité populaire, aux juges et lois.

La liberté d’expression de l’avocat est en conséquence largement étendue pendant le procès, dans la mesure où elle s’exerce dans l’intérêt de son client (I).

En revanche soumis au droit commun, il se doit en dehors du prétoire d’avoir plus que les autres une certaine réserve à l’égard de l’institution judiciaire dont il est un auxiliaire et prendre garde à maîtriser ses passions, notamment lorsque la couverture médiatique lui est offerte  (II).

 

I- L’étendue de l’immunité judiciaire quant aux propos tenus ou communiqués à l’audience.

 

L’immunité ne saurait placer l’avocat au-dessus des lois et reste enserrée dans des conditions d’applications strictes (A) se rapportant exclusivement à l’intérêt de la défense. Le plaideur qui en bénéficie, ne saurait pour autant déroger au respect des principes essentiels de la profession (B).

 

A- Une immunité aux conditions d’application strictes.

 

L’article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 confère une immunité judiciaire quant aux discours prononcés ou écris produits par l’avocat devant les tribunaux, qui ne peuvent donner lieu à son encontre aux actions en diffamation, pour injure ou outrage.

La Cour européenne des droits de l’homme ne reconnaît pas une immunité absolue aux avocats lors de l’audience (en l’absence de consensus européen en la matière, elle se réfère à la marge d’appréciation des états), mais lui confère une liberté d’expression élargie de nature à garantir le libre exercice de sa profession et le droit de son client à un procès équitable sur le fondement des articles 6 et 10 de la Convention.

Elle juge ainsi que les restrictions à la liberté d’expression de l’avocat doivent rester « exceptionnelles »  et traite avec rigueur les sanctions prononcées à l’encontre des avocats qui doivent répondre d’abord à un besoin social impérieux, puis à un juste équilibre entre la nécessaire protection du pouvoir judiciaire d’une part et sa liberté d’expression confortée par le principe du droit au procès équitable d’autre part[4].

En droit interne, l’imperméabilité de l’avocat aux infractions de presse, est souvent perçue comme une liberté d’expression absolue de l’avocat dans le cadre du débat judiciaire. Or comme l’a rappelé la Cour de cassation dès 1933, les abus justifiés de la liberté d’expression de l’avocat doivent avoir pour objet le fond même du procès sans excéder les limites des droits de la défense[5].

Les abus de langage trouveront d’abord une justification quant à l’objet des propos tenus ou communiqués sous forme écrite à l’audience et doivent en accord avec la conception de la Cour de cassation et de la Cour européenne rester attachés aux droits de la défense.

L’article 41 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 dispose à cet effet que « pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers ».

Ne sont pas protégés les faits étrangers à la cause comme le rappel de condamnations encourues par un adversaire, sans utilité pour le procès[6], ou le rappel de condamnations passés amnistiées et circonstances les entourant[7].

L’appréciation de ce qui est relatif à la cause est largement entendu, il suffit en réalité que les propos soient formulés dans l’intérêt de la défense :

-       le fait pour un avocat de reprocher à un magistrat sa partialité, à raison d’une appartenance à une alliance secrète entre personnes de mêmes idées et de mêmes intérêts s'entraidant au sein d'un réseau occulte afin d'obtenir des avantages[8] n’a pas été considéré comme étranger à la cause.

 

-       le fait dans une affaire de faux en écriture, pour un bâtonnier en exercice, de dire qu’ « un procès qui n'aura jamais lieu, c'est celui de notre grand chef à tous, madame Rachida Dati, qui utilise un faux, un MBA. » a bénéficié de l’immunité de parole[9].

 

-       les juges admettent que cette immunité permet à l’avocat de critiquer le fonctionnement de la justice telle qu’elle leur est ou sera rendue, dans le cadre d’une plaidoirie : Le fait pour un avocat d’employer les termes « justice honteuse » bénéficie de l’immunité et n’est pas considéré comme outrageant, mais la conclusion impuissante d’un raisonnement constatant l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’avocat de faire entendre une cause dont il était fondé à penser qu’elle était juste[10].

 

-       affaire médiatisée, 3 avocats du barreau de Bobigny restent poursuivis pour avoir tenus les propos suivants envers les magistrats de la CNDA[11], « vous vous prenez pour Marine Le Pen ? »,  avoir qualifié l’un de « négationniste » ou lui avoir dit qu’il « n’était pas digne de ses fonctions ».La Chambre correctionnelle du TGI de Bobigny leur faisait bénéficier de l’immunité et déclarait la citation irrecevable[12], appel a été interjeté à ce jour.

Les propos ou écrit ne seront ensuite immunisés que dans une stricte circonscription géographique, limitée à l’enceinte de la juridiction.

En effet la protection ne s’applique pas aux propos tenus en dehors de la salle d’audience ou des juridictions, tant en ce qui concerne des propos écrits que des paroles à destination de la presse à la sortie de l’audience[13].

Le bâtonnier de l’Ordre n’étant pas une juridiction, le courrier qui le menace de poursuites pour avoir soustrait des pièces d’un dossier n’est pas couvert par l’immunité[14].

En revanche, elle peut être invoquée devant toute autre instance autre qu’ « étatique » dès lors qu’elle obéit à une procédure contradictoire ce qui est le cas des chambres arbitrales[15] et plus largement devant toutes les juridictions devant lesquelles les droits de la défense peuvent s’exercer, notamment la juridiction d’instruction[16], ou encore le juge des tutelles[17].

Les écrits ne suivent pas toujours la parole de l’avocat dans le prétoire, ce qui a conduit la jurisprudence à préciser lesquels sont concernés par le privilège de l’article 41.

La Cour de cassation a apporté une précision double quant à la nature de ces écrits : Ils doivent être produits devant la juridiction saisie et ce dans l’intérêt des parties ; ce qui n’est pas le cas d’une plainte avec constitution de partie civile produite devant la juridiction d’instruction puis diffusée sur internet[18].En revanche les propos contenus par un dire à expert son protégés[19].

 

B- Une immunité qui ne s’étend pas à la faute disciplinaire.

 

L’avocat est tenu de respecter en toutes circonstances les principes essentiels qui guident la profession d’avocat définis par l’article 1er du règlement intérieur national[20], dont les principes de dignité, d’honneur, de délicatesse, de modération et de courtoisie, ainsi que le secret professionnel rappelé en son article 2.

Des propos outrageux, injurieux ou diffamatoires prononcés ou écrits par l’avocat peuvent bénéficier de l’immunité de l’article 41 et faire concomitamment l’objet de poursuites disciplinaires fondées sur la violation de ces principes essentiels.

La jurisprudence est constante en la matière, les dispositions de l’article 41 de la loi de 1881 ne sont pas applicables en matière disciplinaire[21].

Ainsi la Cour de cassation a-t-elle eu l’occasion de rappeler encore récemment que les propos qui manquent à l’honneur ou à la délicatesse ne peuvent bénéficier de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et doivent être sanctionnés[22]

Elle sanctionne les propos tenus ad hominem comportant une animosité personnelle, qui ne traduisent pas une idée, une opinion ou une information susceptible d’alimenter une réflexion ou un débat d’intérêt général[23].

La Cour européenne des droits de l’homme considère de façon similaire que les propos violents tenus ad hominem qui portent une atteinte excessive à autrui ou au pouvoir judiciaire sans être, par ailleurs, soutenus par un objectif informatif ou par l’expression d’une idée ou réflexion générale, ne sont pas protégés par la liberté d’expression de l’avocat[24]. Elle se révèle plus protectrice lorsque les propos incriminés visent une partie à la procédure ou le parquet plutôt qu’un magistrat ou le tribunal[25].

Ont constitués une faute disciplinaire à l’égard d’un magistrat :

- La déconsidération d’un juge entendu comme témoin, par des allégations gratuites laissant entendre qu’il a commis de graves erreurs dans le cadre d’une autre affaire particulièrement médiatisée[26];

- le fait d’accuser les magistrats de favoriser et encourager la torture, d’en être  les complices[27] ;

- de dire à un conseiller, « Je ne vous supporte plus… j'en ai assez de vous voir. Vous me gonflez avec votre sourire en coin. Vous serez responsable de ce gâchis. Ce que vous avez fait est dégueulasse. Je regrette de ne pas avoir, lorsque vous étiez à Lille, déposé plainte contre vous »[28] ;

- le fait d’outrager un juge d'instruction dans l'exercice de ses fonctions en affirmant que l'attitude de ce magistrat qui avait modifié un horaire de convocation « s'apparentait à celle d'un chiite amal » et que violant ainsi « les droits de la défense », il « serait très bien comme juge au Chili ou en Iran »[29].

En revanche, n’a pas été considéré comme manquant à la délicatesse le fait pour un avocat de dénoncer une collusion entre l’avocat adverse appartenant au Cabinet FIDAL dont un collègue s’était exprimé dans la revue locale du MEDEF et les magistrats employeurs du Conseil de Prud’hommes, dès lors qu’il sollicitait l’annulation d’un jugement en contestant l’impartialité de la juridiction l’ayant rendue[30].

Certain avocats voient comme illogique la sanction ordinale de propos qui ne peuvent faire l’objet de sanctions civiles où pénale et considèrent que cette sanction est emprunte de subjectif donc d’arbitraire.

A ce constat, il faut ajouter que cette responsabilité ambivalente révèle un espace juridique étonnant où le respect de normes règlementaires prime le respect de la loi elle-même. Est-il plus légitime pour une profession de juger ce que la société absout ?

En sens contraire, la sanction disciplinaire est une des garanties apportée par le législateur et la loi en tant que contrepartie de l’immunité, certain y voyant au demeurant le signe d’une justice privilégiée.

Sur l’étendue de la liberté de parole de l’avocat à l’audience, le débat, poussé par des affaires récurrentes est loin d’être clos.

 

II- Liberté d’expression de l’avocat en dehors du prétoire.

 

Les restrictions apportées à la liberté d’expression de l’avocat en dehors du prétoire sont plus grande lorsqu’il s’agit de critiquer les institutions judiciaires (A).

Néanmoins, la CEDH estime que cette réserve ainsi que le secret professionnel de l’avocat, pouvaient trouver une dérogation particulière dans le cadre d’une affaire publique médiatisée (B).

 

A- Un devoir important de prudence et de modération inhérent au rôle d’auxiliaire de justice.

 

Sitôt passé les portes de la salle d’audience, l’avocat redevient pleinement responsable de ses paroles et de ses écrits et ne bénéficie plus de l’immunité de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881.

L’avocat s’expose volontairement ou involontairement à une médiatisation qui ne se limite plus à la typique déclaration de sortie d’audience, mais constituant aujourd’hui parfois une  étape du procès. Pour certains, on ne sait plus où commence l’égo, l’intérêt de l’avocat et ou fini celui du client.

Le danger de la sur-médiatisation de l’avocat est d’abord l’influence de celle-ci sur l’image de l’institution judiciaire et de la profession, il est donc important que l’avocat soit à nouveau soumis sur le palier de la juridiction à des règles strictes limitant sa liberté d’expression.

L’avocat est responsable de tous les éléments qu’il communique à la presse, qu’il s’agisse d’un communiqué de presse de protestation contre les conditions dans lesquelles se tenait le procès de ses clients comparant les méthodes policières en matière de lutte contre le terrorisme à celles de la Gestapo[31], ou d’une déclaration devant les caméras photographies à l’appui.

En contraste avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation, une décision[32], ou plutôt une affaire n’a pas manqué de faire jazzer,  la passe d’armes « feu Me Metzner contre Me Kiejman ». On se souvient que le premier avait été publiquement accusé par le deuxième d’avoir commandité les enregistrements de Liliane Bettencourt par son majordome. Assigné en diffamation, Me Kiejman vit son adversaire débouté par un jugement qualifié par les auteurs d’ovni juridique.

Certes, l’immunité avait été immédiatement écartée par le tribunal. En revanche on peut y lire que les propos émanaient « d’un avocat passionné qui consacre toute son énergie à la défense de sa cliente et qui ne saurait restreindre sa liberté d’expression au seul motif qu’il évoque sa cause devant les journalistes au lieu de s’adresser à des magistrats », soit l’inverse de tous nos développements précédents.

Rendue dans un contexte très particulier, cette décision ne manquait pas d’incohérences, admettant que la « passion » est un critère composant la bonne foi en matière de diffamation, critère conspué par certain auteurs[33].

La CEDH, quant à elle, approuve les restrictions apportées à la liberté d’expression de l’avocat lorsqu’elles sont nécessaires à garantir l’impartialité et l’autorité du pouvoir judiciaire ou protègent la dignité de la profession d’avocat.

Par l’arrêt Schöpfer c/ Suisse[34], elle dit n’y avoir violation de l’article 10 par l’autorité de surveillance des avocats de Suisse qui avait infligée une amende de 500F à un avocat pour s’être livré à différents communiqués de presse dénonçant une violation récurrente des droits de l’homme et des lois du canton à la préfecture de Hochdorf.

Elle retiendra que les avocats doivent contribuer au bon fonctionnement de la justice et, ainsi, à la confiance du public en celle-ci, condamnant ainsi fermement la pratique des conférences de presse des avocats sur les procédures pendantes, en appréciant la gravité de leur propos et le ton utilisé.

Un arrêt très récent[35] montre que la CEDH, tout en laissant une marge d’appréciation aux états, exerce ce contrôle de proportionnalité sur les restrictions apportées au regard de leur nécessité dans un pays démocratique. Un avocat accusé de diffamation avait fait état devant la presse d’une corruption du procureur et du juge d’instruction. La Cour relève que faute de base factuelle suffisante, un jugement de valeur peut se révéler excessif, et déboute le requérant, les mesures ayant été prises contre lui n’étant pas disproportionnées.

La Cour de cassation reprend la position de la CEDH. Elle a jugé que Me Szpiner avait manqué au principe essentiel de délicatesse en qualifiant un magistrat, Philippe Bilger, de « traitre génétique » via un hebdomadaire, en référence à son ascendant condamné pour collaboration après la libération[36]. Elle rappelle à cette occasion que la liberté d’expression de l’avocat n’est pas absolue et est sujette aux restrictions qu’impliquent la protection de la réputation et la garantie de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire et écarte le jeu de l’article 10 de la CESDH.

Ainsi l’avocat est-il tenu, plus que tout un autre, d’un devoir de délicatesse lorsqu’il critique les institutions judiciaires et autorités.

 

B- Un élargissement de la liberté d’expression des avocats dans les médias au cours d’une affaire médiatisée.

 

La liberté d’expression de l’avocat a subi, sous l’influence de la CEDH, un élargissement dans le cadre de l’affaire judiciaire et sanitaire concernant le vaccin contre l’hépatite B[37].

Une avocate avait divulgué dans la presse des informations et commentaires sur un rapport d’expertise remis à un juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour homicide involontaire mettant en cause les maladies provoquées par le vaccin. Elle faisait en outre état de pressions exercées sur l’expert Des extraits du rapport avaient été reproduits par la suite dans différents papiers. Elle fut attaquée pour violation du secret de l’instruction et du secret professionnel.

Condamnée par les juridictions françaises à un euros de dommages-intérêts au civil et à une dispense de peine au pénal, elle formait, en raison notamment du caractère infamant de ces condamnations, une requête devant la CEDH.

La Cour européenne des droits de l’homme condamnera la France, tout en écartant l’application de l’article 10 relevant différentes circonstances juridiques au nom desquelles il est possible à l’avocat de déroger au secret professionnel et au secret de l’instruction.

La Cour relève que la requérante avait divulgué des informations couvertes par le secret de l’instruction lors d’une interview avec des journalistes à l’occasion d’une information en cours, mais que la presse était déjà en possession du rapport d’expertise. Elle estime que ses déclarations s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général intéressant l’opinion publique en matière de santé publique et que « dans un contexte médiatique, la divulgation d’informations peut répondre au droit du public de recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires ».

Elle estime enfin que la protection des informations confidentielles ne pouvait constituer un motif suffisant pour déclarer l’avocate coupable de violation du secret professionnel. En particulier, elle considère que la protection de la liberté d’expression d’un avocat doit prendre en compte l’exception qui prévoit que l’exercice des droits de la défense peut rendre nécessaire la violation du secret professionnel.

Les restrictions apportées à la liberté d’expression de l’avocat n’étaient donc pas proportionnée car « un juste équilibre n’a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit de la requérante au respect de sa liberté d’expression et celle de préserver le secret de l’instruction, les droits des personnes mises en cause, et de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Cet arrêt est remarquable, en ce qu’il permet d’abord une progression de la liberté de l’avocat qui s’exprime dans les médias dans l’intérêt de la défense. Il apparait que dans ces conditions, il peut violer son secret professionnel, si toutefois la violation est minorée puisque les éléments sur lesquels il s’exprime sont déjà divulgués, et lorsque la cause s’inscrit dans un débat d’intérêt général.

Cet arrêt est pourtant paradoxal puisqu’il exonère l’avocat pour des propos litigieux déjà  relayés dans la presse,  une sanction s’avérant disproportionnée puisque le secret de l’instruction est déjà violé. N’est-ce pas néanmoins inciter à communiquer un élément du dossier à la presse afin de pouvoir le médiatiser et le commenter publiquement ? Cette jurisprudence conforte sans doute aussi le jeu existant entre certain professionnels judiciaires et autres médias à cet effet.

                                                                                                                      L B V

***

 



[1] JO Ass. nat, séance du 22 avril 1982, Mme Gisèle Halimi, rapporteur, p.1265.

[2] DC n°80-127 du 20 janvier 1981.

[3] JO Ass. nat, séance du 22 avril 1982, Mme Gisèle Halimi, rapporteur, p.1265.

[4] CEDH, Nikula c/Finlande, 21 mars 2002, Req. n°31611/96 et CEDH, Kyprianou c/ Chypre, 15 déc. 2005, Req. n°73797/01 ; V. not. Lyn François, « La liberté d’expression de l’avocat en droit européen », Gaz. Pal. 21 juin 2007, n° 172 P.2.

[5] Cass. crim, 13 mai 1933, DP 1933, 1, 172, note G.Leloir.

[6] CA Aix-en-Provence, 3 déc.1864, DP 1865, 1, 407.

[7] Civ. 1ère , 30 juin 1970, n°68-14013.

[8] Cass. crim., 11 octobre 2005 no 05-80.545.

[9] TC de la réunion, 3 oct 2008.

[10] CA Dijon , 15 déc. 1998, n°98-00779.

[11] Cour Nationale du Droit d’Asile.

[12] TGI de Bobigny, 5 oct. 2012.

[13] Cass. crim. 27 fév. 2001, n°00-83.315.

[14] Cass. 1re civ. 25 mai 2005, no 03.17.514 Z.

[15] TGI Paris, 9 mai 2001 :  Gaz. Pal. 2002. 1. 632.

[16] Crim. 13 mai 1933 : Bull. crim. n° 391.

[17] Cass. civ. 2ème , 27 mai 1998.

[18] Cass. crim., 26 mars 2008, n°07-86.406, F-P+F,R, Com. Comm. Elec. n°6, Juin 2008, comm.82.

[19] Cass, 2ème Civ., 1er mars 2001.

[20] Article 1er du RIN tel qu’issu du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005.

[21] Cass. civ. 1ère., 16 déc. 2003, n°03-13-353, D.2004, p.977, note B. Beigner.

[22] Cass. civ. 1ère., 14 Oct. 2010, n°09-16.495, n°09-69-266.

[23] Cass. civ. 1ère., 28 mars 2008, n°05-18.598.

[24] CEDH, 20 mai 1998, Schöpfer c/ Suisse.

[25] CEDH, 21 mars 2002, Nikula c/ France.

[26] Cass. civ., 11 juill. 1972, Gaz. Pal. 1973, 1, 80, note J.H.

[27] Cass. civ. 1ère, 14 oct. 2010, n°09-16495 et 16-69495.

[28] Cass. civ. 1ère, 28 mars 2008, n°05-18598.

[29] CA Paris, 1ère Ch. 22 fév. 1995.

[30] Cass. civ. 1ère, 3 juil. 2008, n°07-15493.

[31] Cass. crim., 3 dec. 2002, n°01-85.466.

[32] TGI Paris, 17ème ch., 20 oct. 2010, Françoise Bettencourt et Olivier Metzner c/ Georges Kiejman, n°10-10.543.

[33] Théo HASSLER, professeur à l’Université de Strasbourg et au CEIPI « Affaire Bettencourt et dégâts périphériques : diffamation, abus ou non de la liberté d’expression entre ténors du Barreau de Paris  (Plaidoyer pour une appréciation objective de la bonne foi) », RLDI Activités de l’immatériel n°201066.

[34] CEDH, 20 mai 1998.

[35] CEDH, Karpetas C/ Grèce, 30 octobre 2012, n°6086/10

[36] Cass.1ère civ., 4 mai 2012, n°11-30.193.

[37] CEDH, 5e sect., 15 déc. 2011, n° 28198/09, Mor c/ France

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

1 Publié par infojuriste
16/10/2013 16:34

Merci pour cet article très bien fait et utile pour les révisions du grand oral.
Cordialement.

2 Publié par Visiteur
16/02/2014 09:56

Merci de ces explications, toutefois peut on se procurer les notes d'audiences dans lesquelles apparaissent les propos diffamatoires et déposer une plainte en diffamation contre la partie civile ?
merci

3 Publié par Visiteur
15/03/2014 19:46

CHER AMI
FELICITATIONS POUR VOTRE ETUDE QUI M A PERMIS AUSSI DE RETROUVER UN ANCIEN ETUDIANT EN FAISANT UNE RECHERCHE SUR L'INCLUSION DE L'INFRACTION DE L'ARTICLE 434-8 DU C. PENAL (INTIMIDATION D'UN MAGISTRAT LORS LA PLAIDOIRIE)DANS LE DOMAINE DE L'IMMUNITE DE L'ARTICLE 41 DE LA LOI DE 1881.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.