La valeur contractuelle des documents publicitaires, retour sur l’arrêt rendu par la 1ère chambre civile le 6 mai 2010. (Commentaire)

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La valeur contractuelle des documents publicitaires, retour sur l’arrêt rendu par la 1ère  chambre civile le 6 mai 2010. (Commentaire)

Selon l’arrêt rendu par la 1ère chambre civile, des documents publicitaires ont force contractuelle dès lors que « précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant ».

 

                Sur internet ou par écrit, les documents publicitaires nous inondent, et reflètent rarement les éléments exacts du service ou du bien proposés. La jurisprudence, soucieuse de sanctionner des pratiques peu scrupuleuses s’est prononcée sur leur valeur.

Une mère avait en l’espèce conclue avec un organisme d’enseignement supérieur, un contrat de formation professionnelle au profit de son fils.  Elle refusa de payer les frais de scolarité car les brochures publicitaires et le site internet de l’école mentionnaient que cette dernière avait l’obligation de trouver un employeur à ses élèves, ce qui ne fut pas le cas pour son fils.

Le tribunal d’instance avait confirmé la condamnation de la demanderesse, l’organisme, au paiement, et l’ordonnance d’injonction de payer dont elle avait fait l’objet. Le tribunal retient que les brochures publicitaires ne peuvent cependant pas être considérées comme ayant une nature contractuelle.

La demanderesse forma alors un pourvoi devant la Cour de cassation, faisant valoir que ces brochures ont une force contractuelle, de sorte que la Cour de cassation en sa 1ère Chambre civile, casse le jugement du tribunal d’instance de Paris en retenant au visa de l’article 1134 du Code civil que « les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant ».

L’arrêt du tribunal d’instance est donc censuré pour défaut de base légale au motif qu’il appartenait à celui-ci de rechercher si les brochures publicitaires n’avaient pas par leur précision et leur détail, eu une influence sur le consommateur.

Cet arrêt important et commenté offre aux documents publicitaires une valeur contractuelle sous conditions (I). Il en résulte une extension considérable du champ contractuel (II).

I - La reconnaissance conditionnelle de la valeur contractuelle des documents publicitaires.

                Il convient d’examiner successivement les deux conditions qui soumettent la valeur contractuelle des documents publicitaires, une condition formelle (A) et une condition intellectuelle (B).

A- Une condition formelle, le détail et la précision

                    La décision du tribunal d’instance est cassée au motif qu’il appartenait aux juges de rechercher si les documents publicitaires étaient en premier lieu précis et détaillés.  Cette condition formelle rejoint la caractère juridique de l’offre que la jurisprudence estime devoir être précise et ferme ; c'est-à-dire qu’elle doit contenir les éléments essentiels à la formation du contrat et manifester sans équivoque la volonté de son auteur d’être tenu en cas d’acceptation. Si le caractère de précision est le même en matière d’offre qu’en matière que de documents contractuels, la fermeté et le caractère détaillé des documents publicitaires semblent des critères similaires de nature à qualifier de non-équivoque le consentement de son auteur.

La jurisprudence dans laquelle s’inscrit cet arrêt ne tient pas compte du fait que les documents publicitaires ont pour fonction, non pas de valoir force contractuelle per se, mais d’inciter le destinataire à contracter dans le cadre d’un autre instrumentum.

Pour la Cour de cassation, les brochures publicitaires constituent donc elles-mêmes un instrumentum autonome et générateur d’obligations contractuelles. Ce principe ne doit pas choquer outre mesure puisque la Cour à toujours admis qu’un contrat pouvait être oral, cependant la fonction publicitaire de certains documents est écartée en ce qu’ils ont une force contractuelle autonome au contrat qu’ils incitent à conclure, en cela l’arrêt est critiquable car l’intention du cocontractant prime en matière contractuelle comme le rappelle l’article 1156 du Code civil.

B - Une condition intellectuelle, l’influence sur le consentement

                 L’article 1101 du Code civil postule que le contrat soit formé par un échange réciproque de volontés. L’arrêt reproche au juge du fond de n’avoir pas recherchés si cet échange s’était réalisé dès lors que la mère avait cru à la véracité des documents publicitaires, et à l’obligation pour l’organisme d’enseignement de trouver un employeur à son enfant.

La Cour de cassation veut donc que soit apprécié in concreto, l’influence des documents sur son destinataire. Cette condition se démarque donc avec le droit de la consommation qui en matière de pratiques destinées à tromper le consommateur se réfère à un comportement objectif. De même, la comparaison avec le comportement objectif d’une personne exclut un risque : Le cocontractant ne peut se faire passer pour plus bête qu’il ne l’est réellement, de sorte à vouloir faire produire une valeur contractuelle à des documents qui objectivement semblent fantasmagoriques, (ce qui est malheureusement courant sur internet).

L’article 1134 du Code civil veut en outre que la détermination du contenu contractuel soit issu de la commune intention des parties. La liberté contractuelle permet à chacun de déterminer le contenu du contrat, choisir son cocontractant, et de choisir de conclure ou non. La liberté contractuelle s’oppose ainsi aux effets contractuels d’un engagement unilatéral de volontés. Or l’arrêt en présence ne se réfère pas à l’intention du professionnel ayant édité les brochures publicitaires, ce qui laisse entendre que la jurisprudence, comme par le passé, est tentée de donner force obligatoire à un engagement unilatéral de volonté[1]sous couvert d’analyser cette volonté à travers le détail des brochures et leur caractère non-équivoque.

Cette jurisprudence comporte ainsi un aspect punitif, qui selon la théorie générale du droit civil, ne devrait pas se situer sur le terrain contractuel.

II- L’extension de la force obligatoire du contrat sous un aspect punitif

                Cette extension de la force obligatoire du contrat semble injustifiée (A) au regard de l’aspect punitif de cette jurisprudence (B).

A- Une extension injustifiée de la force obligatoire du contrat.

                La Haute Cour par sa solution  sème le trouble, posant en filigrane  la question de la valeur en droit français de l’engagement unilatéral de volonté. Cette jurisprudence tend à lui faire produire des effets alors que la Cour de cassation par un arrêt de Chambre mixte du 6 septembre 2002[2], admet que les documents publicitaires trompeurs soient sanctionnés sur le fondement de l’article 1371 du Code civil, celui du quasi-contrat nommé par les auteurs « Création d’illusion ».

La 1ère Chambre civile aurait donc pu se détacher du fondement contractuel afin d’asseoir sa décision sur le fondement quasi-contractuel. Un obstacle subsistait néanmoins, puisque le fondement quasi-contractuel est cantonné depuis lors aux promesses de gains par le biais de loteries publicitaires, dès lors que leur engagement est clair.

Le spectre de la prohibition des engagements unilatéraux pouvait être écarté, mais continue de hanter la jurisprudence à travers cet arrêt qui ne s’y réfère cependant pas en admettant directement la valeur contractuelle de documents publicitaires.

B- Une jurisprudence punitive

               L’arrêt du 6 mais 2010 a pour but de sanctionner un comportement malhonnête survenu antérieurement à la conclusion d’un contrat. Le juge est l’instigateur d’une véritable politique par laquelle il entend faire des professionnels de véritables contractants lorsqu’ils promettent l’impossible à travers des brochures publicitaires. Le cas contraire, n’est-il pas entrain de manœuvrer délibérément de sorte à vicier le consentement de son cocontractant ? Une sanction telle que la nullité serait donc envisageable sur le terrain du dol.

 Force est de constater que la nullité ou l’allocation de dommages-intérêts n’y font rien, ni sur le terrain du dol, ni sur le terrain des quasi-contrats. La sanction al plus redoutable, et celle qui est appliquée en l’espèce, est certainement l’exception d’inexécution, pour un contrat qui est inscrit dans la durée. Le cocontractant lésé gardera le bénéfice du contrat (le gain d’une formation professionnelle), sans en subir les obligations. Le cœur de l’arrêt semble résider dans l’aspect punitif de l’exception d’inexécution, et en justifie jusqu’au fondement.

                                                                                                              L.B.V

[1] Civ 1ère 28 mars 1995, T.com de Nanterre, 4 juin 1999.

[2] Chambre mixte 6 septembre 2002, Bull. n° 4 ; BICC n° 564, rapport de M. Gridel et conclusions de M. de Gouttes.

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