Comment faire un argumentaire pour défendre les propriétés de sûretés?

Publié le 25/03/2020 Vu 1221 fois 0 Par
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25/03/2020 18:49

Droit des sûretés : propriété-sûreté

En vous inspirant notamment des documents suivants, vous bâtirez un argumentaire afin, à votre choix, soit de défendre les propriétés-sûretés soit au contraire de les contester.

Documents n°1 : RIFFARD JF, Propriété et garanties : faut-il destituer la reine des sûretés ? in

Repenser le droit des sûretés mobilières, Bibliothèque de l’Institut Tunc, Panthéon Sorbonne I, LGDJ 2005.

INTRODUCTION

Vers un nouveau 13 octobre 1793 ? - Faudra-t-il guillotiner cette nouvelle Reine – une de plus ! des sûretés réelles que serait la propriété sûreté ? La question peut sembler iconoclaste. Elle se doit pourtant d’être posée à l’heure où est envisagée une réforme en profondeur de notre droit des sûretés réelles mobilières, que cela à travers les travaux de la commission dite Grimaldi mise récemment en place par la Chancellerie ou par le biais de projets internationaux menés sous l’égide des Nations Unies.

Certes, il ne s’agit pas ici de revenir sur la question de la légitimité de cette forme de sûreté. Le débat semble aujourd’hui apaisé puisqu’il est généralement reconnu que le droit de propriété puisse constituer ou tout du moins être utilisé à des fins de sûretés, que cela soit à travers les clauses de réserve de propriété où les transferts fiduciaires.

Cette légitimité étant admise, il s’agit d’envisager la place et le sort que l’on doit réserver à la propriétésûreté dans le cadre d’une réforme du droit des sûretés réelles mobilières. C’est là une question importante et délicate. Pour preuve, elle anime, et c’est là un doux euphémisme, régulièrement les sessions du Groupe de travail VI de la Commission des Nations Unies pour le Droit du Commerce International (CNUDCI) en charge de l’élaboration du projet de guide législatif sur les opérations garanties.

Si la plupart des délégations des états membres sont, à cette heure, favorables à l’inclusion de la propriété sûretés dans le projet, il n’en demeure pas moins que le Groupe de travail n’a toujours pas entériné cette inclusion notamment à cause du refus très ferme marqué par la délégation allemande.

Pourtant, à la réflexion, il semble que le débat et son enjeu doivent être pacifiés. Comme l’a démontré le Professeur Ulrich Drobnig dans une remarquable intervention lors du colloque de Clermont, cette propriété sûreté n’est pas et ne doit pas devenir un casus belli. Aussi, c’est dans un climat dépassionné

- Le titre de reines des sûretés est en effet un titre fort disputé puisque tour à tour l’hypothèque, le cautionnement et la clause de réserve de propriété ont pu être couronnées. A CERLES, La propriété, nouvelle reine des sûretés, Mélanges

- P. CROCQ, Propriété et garantie, th Paris II, 1992, ronéo, LGDJ collection Bibliothèque de Droit privé, tome 248, préface M. Gobert, 1995. Adde J. GHESTIN, Réflexions d’un civiliste sur la clause de réserve de propriété, D. 1981, Chron. 1 ; Ch. MOULY, Procédures collectives : assainir le régime des sûretés, Et. Roblot, LGDJ, 1984, p. 529-564 ; Ph.

THERY, Sûretés et publicité foncières, PUF Coll. Droit fondamental 1998, n° 329.



- Sur ce projet : voir notamment, L’apport du Guide législatif de la CNUDCI à la réforme du droit des sûretés,

Acte du colloque de Clermont-Ferrand, Banque et Droit, n° 97 sept. Oct. 2004 n°1s. Les documents cités sont disponibles

sur le site de la CNUDCI à l’adresse internet suivante : www.uncitral.org

- U. DROBNIG, Le projet de guide législatif face à la propriété-sûreté : un casus belli ? in L’apport du Guide législatif de la CNUDCI à la réforme du droit des sûretés, op. cit., p. 46. que je souhaiterai envisager ici, concrètement, les options à défaut de solutions, qui peuvent s’offrir au législateur soucieux de réformer son droit des sûretés. Car si le principe d’une réforme ne saurait être contesté, la forme et les contours de celle-ci restent encore à définir. Plus, précisément ce n’est pas tant le principe de l’inclusion de la propriété sûretés dans le champ d’application du futur guide législatif de la CNUDCI qui fait débat, que la forme de celle-ci.

Cette difficulté est parfaitement illustrée par l’exemple du droit français. Notre législateur risque fort en effet de se trouver confronter à la bipolarisation du droit actuel lequel peut se présenter schématiquement sous la forme de deux blocs compacts, autonomes voire antinomiques, la propriété-sûreté d’un côté, et le droit classique du gage de l’autre.

Peut-on concilier ces deux blocs, ces deux approches des sûretés qui ne procèdent pas de la même philosophie ? Doit-on maintenir cette bipolarisation ou profiter de la volonté de réforme qui semble se manifester pour tenter une réunification, une rationalisation du droit des sûretés réelles mobilières ?

Afin de tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces interrogations, il conviendra dans un premier temps de revenir sur ces deux blocs qui semblent s’affronter (I), avant d’envisager les contours et les limites d’une réunification qui nous semble dans une certaine mesure souhaitable (II).

I – LA BIPOLARISATION DU DROIT DES SURETES REELLES MOBILIÈRES

Depuis plus de vingt ans, la pratique n’a eu de cesse de développer des techniques de garantie fondées sur l’utilisation de la propriété (A). Toutefois, l’essor et le succès de ces techniques ne sauraient remettre en cause le principe de la réforme fondée sur l’utilisation généralisée du gage sans dépossession telle que préconisée par la CNUDCI (B).

A – L’essor de la propriété sûreté

Du créancier vendeur … - Depuis 1980, la propriété sûreté a prospéré sur les ruines du droit des sûretés réelles mobilières classique, ruines tout aussi romantiques que celles peintes par Hubert Robert. Son essor est d’ailleurs tel qu’aujourd’hui, il est difficilement concevable qu’on ait pu se passer d’elle pendant si longtemps. Car la propriété sûreté n’est pas une nouveauté ; elle est plutôt une redécouverte, le droit romain ayant connu la fiducia cum creditore avant de l’abandonner au profit de mécanismes plus élaborés tels que l’hypothèque ou le gage. Mais le droit des sûretés réelles étant soumis, plus que tout autre, aux mouvements de balancier, on sait que le déclin des sûretés réelles mobilières fut l’occasion pour les créanciers de remettre ou de tenter de remettre au goût du jour des techniques plus ou moins frustres. Ce furent dans un premier temps, les créanciers vendeurs qui amorcèrent le mouvement avec la remise au goût du jour de la clause de réserve de propriété.

Mais l’on sait que jusqu’en 1980, cette technique était de peu d’intérêt dès lors que la Cour de cassation déclarait la clause inopposable à la masse des créanciers. Encore faut-il envisager ici une distinction qui sera fondamentale pour la suite de notre propos, à savoir celle qui existe entre la clause de réserve de propriété et les transferts fiduciaires à titre de garantie. La loi Dubanchet du 12 mai 1980 allait porter la clause de réserve de propriété sur les fonts baptismaux et changer la donne en permettant l’essor considérable de cette forme de sûreté qui ne manque par d’attraits : elle est en effet à la fois simple puisque le formalisme et la publicité sont réduits au minimum, et efficace, le propriétaire pouvant agir soit en revendication soit en restitution, échappant ainsi dans une très large mesure aux procédures collectives pouvant affecter son débiteur.

… au créancier dispensateur de crédit ? – Si le développement de la clause de réserve de propriété s’est fait naturellement et avec la bénédiction du législateur, la reconnaissance des transferts fiduciaires à titre de garantie a été plus insidieuse. Certes, l’abandon du projet de loi qui aurait dû consacrer la fiducie-sûreté en matière d’immeubles ou de meubles corporels rend a priori toujours impossibles de tels transferts en droit positif. Toutefois, la pratique a très tôt tenté de contourner cette diffic ulté et de mettre en place des mécanismes visant à parvenir par des voies plus ou moins détournées aux mêmes résultats. Si la plupart de ces tentatives ont échoué, il est un domaine, nous le verrons, dans lequel l’objectif a été atteint et la reconnaissance des transferts fiduciaires admise.

Dans un premier temps donc, la pratique a succombé à l’idée simple de tenter de transformer un banquier dispensateur de crédit en un créancier vendeur, afin de lui faire bénéficier des clauses de réserve de propriété. Elle a ainsi eu recours à des mécanismes aussi variés que les doubles ventes avec réserve de propriété, la vente à réméré, le lease back ou enfin et surtout le crédit bail. Mais à l’exception de ces deux derniers exemples, le recours à ces mécanismes n’eut pas l’effet escompté. Outre le fait qu’ils étaient peu adaptés à l’usage qu’on voulait en faire, la jurisprudence ne s’est pas laissée abuser et a choisi le plus souvent de requalifier ces opérations en gage sans dépossession avant de les invalider pour violation de l’article 2076 du Code civil.

En revanche, dans le secteur des instruments financiers, les transferts fiduciaires ont pu tout à fait valablement prospérer. Outre le cas particulier et encore discuté du gage-espèces, il faut citer la cession de créance à titre de garantie qui a été expressément consacrée par l’article L 313-24 du Code Monétaire et Financier (CMF). De même, l’on peut citer rapidement, les articles L 432-6 s. du même code sur le prêt de titres ainsi que les articles L. 432-12 CMF sur les opérations de pensions de titres.

Ces développements des transferts fiduciaires à titre de garantie en matière d’instruments financier se sont trouvés largement confortés par l’adoption de la directive communautaire 2002/47 de 6 juin 2002 consacrée aux contrats de garantie financière.

Ces quelques exemples tendent à démontrer que la propriété-sûreté aurait acquis ses lettres de noblesse. Est-elle alors l’avenir de notre droit des sûretés réelles mobilières ?

Pour une généralisation de la propriété-sûreté ? – Compte tenu de cet essor, il n’est guère étonnant que certaines voix se soient élevées pour appeler de leurs vœux une réforme centrée justement sur l’utilisation élargie et généralisée de la propriété sûreté, à travers d’un côté la généralisation des transferts fiduciaires qui porteraient à la fois sur les biens corporels et incorporels, et d’un autre côté, la clause de réserve de propriété dans sa version étendue. Pour ce faire, il s’agirait d’admettre en premier lieu, à l’instar du droit allemand, la clause de réserve de propriété dite élargie en vertu d’une clause de cession de créance future par laquelle l’acheteur est autorisé à revendre dans le cours normal de ses affaires, les biens grevés tout en s’engageant immédiatement à céder au vendeur toutes les créances futures égales au montant de la revente. En second lieu, serait consacrée la clause de réserve de propriété dite prolongée en vertu d’une clause de transformation permettant au vendeur en cas de transformation ou d’incorporation du bien vendu à d’autres biens de détenir la copropriété du nouveau produit à concurrence de la valeur facturée par rapport à la valeur du nouveau produit au moment de la transformation.

Cette généralisation permettrait ainsi de reconstruire un nouveau droit des sûretés réelles entièrement centré sur la seule utilisation du droit de propriété ; un nouveau droit suffisamment complet pour satisfaire les besoins tant des créanciers dispensateurs de crédit que des créanciers vendeurs.

Malgré les nombreux attraits de la propriété sûreté, une telle généralisation ne nous semble ni légitime ni souhaitable, ne serait-ce que du fait des conséquences qu’un tel système engendrerait au niveau du droit des procédures collectives. On a eu l’occasion de stigmatiser les effets pervers et paradoxaux d’une sûreté trop sûre. Rappelons simplement ici que ce serait vider de toute sa substance le droit de l’insolvabilité, que d’admettre pour une entreprise de n’avoir aucun actif, ses biens de production faisant l’objet d’un crédit-bail, ses créances présentes et futures étant cédées à titre de garantie et ses matières premières ayant été achetées sous réserve de propriété, laquelle couvrirait aussi, dès lors qu’elle serait prolongée, les stocks de produits manufacturés etc …

Cette réticence vis-à-vis d’une généralisation de la propriété sûretés est confortée par le fait que loin d’être moribond, le droit classique des sûretés réelles mobilières fondé sur le nantissement, semble être appelé à connaître une nouvelle jeunesse. La CNUDCI a en effet décidé d’en faire le point central de son projet de guide législatif sur les opérations garanties.

B – Renouveau et modernisation du nantissement

Le projet CNUDCI – Dès 1967, il est apparu nécessaire à la CNUDCI d’envisager un travail d’harmonisation dans le domaine des garanties réelles du crédit, compte tenu de leur importance pratique qui n’est plus à démontrer. Mais ce, n’est qu’en 2001 que la CNUDCI, suivant en cela le mandat qui lui a été confié, a chargé l’un de ses groupes de travail d’élaborer un guide législatif sur les opérations garanties. Il n’est pas de notre propos de revenir ici en détail sur le contenu de ce projet qui est toujours en discussion. Nous nous bornerons à rappeler que le Guide préconise fondamentalement une session de la Commission, A/56/17 § 351-359, Yearbook XXXI (2001).

- Le choix du Guide législatif, outils plus souple et moins contraignant que la loi modèle où la convention a été rendu nécessaire par la diversité des droits afférents aux sûretés réelles mobilières et au caractère complexe de la matière.

Cf. J-F RIFFARD, Le Guide législatif de la CNUDCI, un projet actuel et nécessaire, in L’apport du Guide Législatif de la CNUDCI à la réforme du droit des sûretés, op. cit. p. 9 s. Mais il n’est pas exclu, en cas de succès et de bon accueil par la pratique, que le Guide évolue vers une loi modèle.

Ce nouveau gage qui pourrait porter sur n’importe quels biens appartenant au débiteur en garantie de n’importe quelle créance, constituerait la seule sûreté réelle mobilière conventionnelle offerte aux parties. Pour ce faire, le projet préconise en premier lieu une approche globale et téléologique de la notion de sûreté, avant de définir un certain nombre d’objectifs fondamentaux que ce nouveau droit des opérations garanties doit atteindre.

La philosophie du projet : l’approche fonctionnelle et téléologique des sûretés - L’une des préconisations majeures du projet est en effet, la mise en place d’une sûreté uniforme (integrated comprehensive security).

A cet égard, il peut être très tentant de faire un rapprochement entre la

démarche ainsi entreprise et celle qui avait conduit les pères de l’Uniform Commercial Code à l’adoption

de son Article 9



. Mais loin d’être la marque d’une influence directe, cette démarche est le fruit d’une

constatation largement admise. L’idée principale repose donc sur l’intégration de toutes les formes de

sûretés réelles sectorielles ayant existé, existant ou à venir, au sein d’un seul et même régime. Cette

intégration, qui réunirait en un seul corps les sûretés réelles classiques , mais aussi les propriétés sûretés

ou tout mécanisme à finalité première de garantie, se justifie parfaitement si l’on admet que l’ensemble

de ces instruments, qu’ils soient d’ailleurs avec ou sans dépossession, obéit à un ensemble de principes

et règles communes. Une telle démarche, qui revient à faire prévaloir le fond sur la forme, permet

incontestablement de favoriser l’objectif de maximisation de l’offre de crédit. La sécurité juridique s’en

trouverait en effet accrue dans la mesure où un régime unique permet de mettre en place des règles de

priorité simples et cohérentes entre les différents créanciers, et dès lors de favoriser la transparence.

Les principes directeurs d’un régime de sûreté efficace - Une fois cette philosophie dégagée, le Guide

dégage un certain nombre d’objectifs clés et de principes généraux que se doit d’atteindre le régime

préconisé afin de promouvoir l’offre de crédit. Sans en faire une liste exhaustive, qu’il nous soit permis

d’en citer ici les principaux :


Le nouveau régime se doit de permettre au constituant d’engager n’importe lequel de ses

biens présents et futurs (biens en stocks, biens d’équipement, créances) en garantie de n’importe quelle

créance


Le nouveau régime doit consacrer à côté du gage classique, d’une manière générale, les

sûretés sans dépossession du constituant en recourant à un système généralisé de publicité.


Le nouveau régime doit, en laissant une large place à l’autonomie contractuelle, permettre

la simplification des règles de constitution de la sûreté.


Le nouveau régime doit veiller à consacrer un traitement égalitaire des créanciers garantis,

qu’ils soient professionnels du crédit ou non, nationaux ou étrangers...


Le nouveau régime se doit d’établir des règles de concours et de priorité simples et

prévisibles. En ce sens, les privilèges ou autres sûretés légales ou judiciaires doivent être réduits au

maximum tant qu’en nombre qu’en montant.


Le nouveau régime doit faciliter la réalisation de la sûreté par le créancier en cas de

défaillance, tout en veillant à sa maximisation.

66

- Le gage classique n’est pas pour autant banni du Guide, la dépossession étant l’un des modes alternatifs de

publicité préconisé, à côté du contrôle et surtout de l’enregistrement.

67

- A/CN.9/WG.VI/ WP 9 add.2 § 43

68

- Sur ce point : A.M MORGAN de RIVERY GUILLAUD, Le Droit nord-américain des sûretés mobilières, Coll.

Droit des Affaires, LGDJ 1990, J-F RIFFARD, thèse précité.,

49

Mais la consécration d’une approche fonctionnelle selon laquelle tous les mécanismes remplissant une

fonction de sûreté sont visés par le Guide, conduit immédiatement à se poser la question de l’intégration

de la propriété sûreté (sous toutes ses formes) dans ce schéma. Celle-ci se laissera-t-elle attiré dans le

champ d’application du Guide ? Est-elle soluble dans le régime uniforme préconisé ou au contraire

réfractaire à toute tentative d’assimilation ?

II – LA RÉUNIFICATION DU DROIT DES SURETES REELLES MOBILIÈRES

Le projet de Guide et sa démarche généralisante peuvent être l’occasion pour le législateur français de

s’interroger voire de revenir sur la bipolarisation de notre droit actuel. A cet égard, plusieurs alternatives

s’offrent à lui allant du statu quo au bannissement de la propriété sûreté en passant par la solution

médiane que serait l’assimilation (A). Il semble toutefois que la solution réside dans une voie médiane,

à savoir celle de l’assimilation. Mais il conviendra alors de prendre en considération alors les spécificités

des propriétés-sûretés et notamment des mécanismes de financement des acquisitions (B).

A – LES DIVERSES ALTERNATIVES OFFERTES

Le choix - A partir de la situation de bipolarisation que nous avons exposée précédemment, trois

positions peuvent être schématiquement défendues quant au sort à réserver à la propriété-sûreté.

1° - La prohibition de la propriété sûreté - Peut-on purement et simplement rayer d’un trait de plume

la propriété sûreté, et fixer comme règle qu’il ne pourra y avoir d’autres sûretés réelles mobilières

conventionnelles que celle consacrée par la réforme, à savoir le gage avec ou sans dépossession ? Une

telle mesure radicale est à l’évidence peu envisageable pour ne pas dire imp ossible. Certes, en matière

de transferts fiduciaires, on pourrait faire remarquer que cette prohibition existe déjà pour les biens

meubles corporels. Il suffirait de l’étendre aux biens incorporels. De plus, une telle interdiction a

d’ailleurs été mise en œuvre aux Pays bas dans le cadre du nouveau Code civil de 1992

69

.

Pourtant, une telle issue doit être rejetée. D’une part, il semble difficile d’interdire aujourd’hui les

transferts fiduciaires en matière de biens meubles incorporels compte tenu de la directive communautaire

que nous avons évoquée précédemment. D’autre part et surtout, il est impossible de proscrire

radicalement la réserve de propriété dès lors que celle-ci n’est fondamentalement qu’une modalité

contractuelle et que là encore elle a été consacrée à l’article 4 de la directive communautaire 35 de 2000

sur les retards de paiement. Enfin, et de manière plus générale, l’expérience démontre que la prohibition

n’est guère réaliste, l’imagination des praticiens étant, on le sait sans limite lorsqu’il s’agit de contourner

- légalement - l’obstacle.

2° - La cohabitation – Une autre solution, à l’inverse, serait de se contenter d’une certaine forme de

statu quo. La réforme serait limitée aux sûretés mobilières classiques et traditionnelles, et laisserait

subsister à côté, intact, le régime de la propriété sûreté. Une telle approche pourrait se justifier si l’on fait

le pari de voir les praticiens se détourner de la propriété sûreté, dès lors qu’on leur offrira grâce à la

réforme, un régime tout aussi simple et efficace. Il s’agirait alors de compter sur la propension naturelle

ou supposée des créanciers à préférer les mécanismes classiques à tous autres succédanés ou palliatifs.

69

- U. Drobnig, op. cit. ; Code civil néerlandais, Art.3.84 al. 3: Un acte juridique ayant pour but de transférer un

bien à titre de sûreté, ou qui n'a pas pour effet de faire entrer par le transfert le bien dans la fortune de celui qui le reçoit,

n'est pas un titre de transfert valable. traduit par Alfred E. von Overbeck dans son article “La ratification de la Convention

de la Haye sur le trust par les Pays-Bas : un exemple pour la Suisse?”, in Collisio Legum, Etudes de droit international privé

pour Gerardo Broggini, éd. Giuffrè, Milan 1997, p. 367 et s., spéc. p. 373.

50

Mais, ce serait faire preuve à notre sens d’un trop grand optimisme. D’une part, ce pari dépend en grande

partie, non pas tant de la réforme du droit des sûretés, que de celle des procédures collectives. Tant que

les droits des créanciers seront sacrifiés dans le cadre des procédures collectives, et tant que la propriété

sûretés continuera à leur permettre d’éviter un tel sacrifice, il est certain que ceux -ci n’auront guère

d’envie de s’en détourner, quelle que soit la qualité de la réforme des sûretés mobilières proposée.

D’autre part, serait-il cohérent de laisser subsister à côté d’un régime fondé sur l’information et la

publicité, un régime de sûretés totalement occulte ? A l’évidence, la réponse est négative.

D’où ; une troisième solution de compromis.

3° - L’assimilation – Cette approche repose sur une idée simple : il s’agit, tout en la conservant, de

soumettre fondamentalement la propriété-sûreté au même régime et aux mêmes règles que le gage

réformé.

Cette approche est, dans son esprit, celle qui est recommandée par le Guide Législatif dans la mesure où

elle seule est compatible avec une approche fonctionnelle des sûretés

70

. Mais si le principe de

l’assimilation est largement admis au sein du Groupe de travail de la CNUDCI, ses modalités font l’objet

d’âpres discussions. En effet, comme le notent les rédacteurs du projet, une législation globale sur les

opérations garanties peut aboutir aux résultats escomptés soit en procédant au remplacement de toutes

les sûretés préexistantes par une sûreté mobilière uniforme, soit au contraire en les conservant avec leurs

diverses dénominations, mais en soumettant alors leur création et leurs effets aux mêmes règles

applicables aux autres sûretés réelles mobilières. En d’autres termes, l’assimilation peut se faire de deux

manières :

− soit par le biais d’une intégration complète, qui aboutit en fait à une disparition de facto de la

propriété sûreté : on pourrait alors parler d’assimilation-fusion. Une telle approche est celle qui a été

choisie par les rédacteurs du UCC article 9 qui ont fondu en une sûreté unique, le security interest, toutes

les formes de sûretés existantes, tout en les maintenant officiellement. On peut cependant dénoncer

l’hypocrisie de cette approche qui repose sur l’idée selon laquelle, détournant la célèbre réplique de Henri

Ford

71

, « tout créancier reste libre de choisir n’importe quelle forme de sûreté, pourvu que cela soit un

security interest » !

− soit par le maintien des deux blocs, lesquels seront, dans toute la mesure du possible, soumis

à des règles similaires et parallèles : on parlera alors d’assimilation-harmonisation. Un exemple de cette

forme d’assimilation peut être trouvée dans le Code civil du Québec qui a conservé la réserve de propriété

tout en la soumettant dans de larges mesures

72

au régime de la sûreté de droit commun : l’hypothèque

mobilière

73

.

Entre ces deux méthodes, le projet de Guide Législatif préconise dans sa version initiale très clairement

la première. La possibilité d’exclure les propriétés sûretés de la définition du terme « sûretés réelles

mobilières » tout en leur appliquant un régime parallèle foncièrement identique, n’était aux yeux du

Guide qu’un pis aller, seulement destiné aux pays disposant d’un régime de propriété développé et qui

pourraient être réticents voire opposés à toute idée de fusion radicale.

Une assimilation souhaitable - Sur le plan des principes, l’idée d’une intégration, quelle que soit sa

modalité, est séduisante, et ce pour trois raisons majeures.

70

- A/CN.9/WG.VI/WP.17/Add.1 n°1

71

- Henri Ford (1863-1947): « le client ne peut choisir que la couleur de sa Ford T... à condition qu'elle soit noire.»

72

- en matière de publicité principalement

73

- Jean Michel DESCHAMPS, in in L’apport du Guide Législatif de la CNUDCI à la réforme du droit des sûretés,


cit. p. 43 s.

51

En premier lieu, seule l’assimilation par le biais d’une approche téléologique permet, nous l’avons

dit, de conférer au système uniforme de sûretés son homogénéité, et d’éviter que la pratique par de

nouveaux instruments ne puisse remettre en cause la cohérence du système

74

.

En second lieu, cette intégration est tout à fait justifiée, notamment en ce qui concerne les transferts

fiduciaires, notamment sur biens corporels. A cet égard, il convient de rappeler que dans de nombreux

pays étrangers notamment germanophones, ces transferts sont déjà traités purement et simplement

comme des droits de sûretés classiques et ordinaires

75

. En revanche, la question est une nouvelle fois

beaucoup plus aiguë en ce qui concerne la réserve de propriété en raison de son importance économique

et du poids des fournisseurs de marchandises et de matériel. Le principe d’une telle assimilation en

matière de clause de réserve de propriété a été et est toujours toutefois discuté. A cet égard, certaines

délégations, au premier rang desquelles se trouve la délégation allemande, ont pu faire valoir que la

clause de réserve de propriété est le reflet d’une politique économique destinée à protéger les petites et

moyennes entreprises, vendeurs à crédit, face aux puissantes institutions de crédit tentées d’abuser de

leur position dominante sur le marché de la distribution du crédit. Les acquéreurs pourraient ainsi tirer

pleinement parti de la concurrence entre crédit fournisseur et crédits bancaires dès lors que seuls les

fournisseurs peuvent obtenir directement une réserve de propriété. Enfin, il a pu être soutenu que le coût

du crédit interentreprise était minime, dans la mesure où le fournisseur ne charge pas d’intérêts, ce qui

constitue un avantage pour le consommateur.

Ces arguments n’ont pas convaincu le Groupe de travail. D’une part, il a pu être avancé qu’il n’était

nullement démontré que le crédit interentreprise soit indolore pour le consommateur dans la mesure où

le fournisseur doit lui-même se refinancer ce qui entraîne des coûts qui seront répercutés nécessairement

sur le prix de vente. D’autre part, le projet de Guide note qu’un Etat qui souhaite promouvoir la

fabrication et la distribution de biens ne doit pas nécessairement privilégier les fournisseurs par rapport

aux parties qui en financent l’acquisition. Une plus grande concurrence entre les fournisseurs de crédit

permettrait à l’acquéreur non seulement d’obtenir des crédits à faible taux, mais aussi d’accéder à

d’autres sources de crédit grâce auxquelles elles peuvent payer le vendeur

76

.

En troisième et dernier lieu, l’assimilation de la propriété sûreté est d’autant plus cohérente qu’elle

est dans la droite ligne de ce qui a été opéré dans le cadre d’autres projets internationaux parmi lesquels

on peut citer :

- la Convention d’UNIDROIT relative aux garanties internationales portant sur des matériels

d’équipement mobiles (Le Cap, 2001)

77

qui prévoit l’inscription sur le registre international, de toutes

74

- L’inclusion de la propriété sûreté dans un tel système est d’autant plus justifiée que la qualification de sûreté de ces

mécanismes n’est plus aujourd’hui discutée. C’est ainsi en droit français, que la Cour de cassation a consacré cette qualification

dans un arrêt de sa chambre commerciale du 9 mai 1995 (RTDCiv 1996, p. 441), même si elle se refuse encore d’en déduire

toutes les conséquences logiques. C’est ainsi qu’elle n’impose pas au vendeur de mentionner l’existence de la réserve de

propriété dans sa déclaration de créance, ni même de déclarer ladite créance.

75

- Comme le rappeler le rappeler le Professeur Drobnig, (op. cit. p. 47) : « L’assimilation est presque complète en

Autriche. Elle est partielle en Allemagne, essentiellement à la position du créancier propriétaire en cas de redressement

judiciaire du débiteur. En Suisse, le transfert de propriété à des fins de sûreté n’a pas d’effet vis-à-vis des tiers si les parties

ont l’intention d’éluder les règles sur le gage avec dépossession. »

76

- A/CN.9/WG.VI/WP.17

77

- Sur cette convention voir notamment : www.unidroit.org, CUMING, R.C.C. – The draft UNIDROIT

Convention on International Interests in Mobile Equipment, in: Uniform Commercial Code Law Journal, 30 (Spring 1998),

365-398 ; CUMING, R.C.C. – The draft UNIDROIT Convention on International Interests in Mobile Equipment, in:

Uniform Commercial Code Law Journal, 30 (Spring 1998), 365-398 ; FOËX, B. – La réserve de propriété dans l’avantprojet de Convention d’UNIDROIT: un point de vue suisse, in: Uniform Law Review, (1999), 409-424 ; GOODE, R. The

UNIDROIT draft mobile equipment Convention: confluence of legal concepts and philosophies, in: Mélanges en l’honneur

de Denis Tallon. D’ici, d’ailleurs: harmonisation et dynamique du droit, 69-82. Paris, Société de législation comparée,

1999 ; STOUFFLET, J. L’avant-projet de Convention d’UNIDROIT: réflexions sur son insertion dans le système juridique

français, in: Uniform Law Review / Revue de droit uniforme, (1999), 361-370.

52

les sûretés fondées sur la propriété grevant les biens objets de la convention. Toutefois, il s’agit là d’une

tentative incomplète d’assimilation-harmonisation, ou d’intégration sous la forme parallèle, ce qui fait

dire à certains que la convention a cherché à préserver au contraire la propriété sûreté comme un système

autonome et distinct

78

.

- la Convention des Nations Unies sur les cessions de créances

79

qui assimile dans son article 2

les gages sur créances et les cessions à titre de garantie, refusant ainsi de distinguer et de traiter

différemment ces deux mécanismes au motif que cela serait source de confusion et de litiges.

- De même la loi type de la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement

(BERD) sur les transactions garanties achevée en 1994

80

, l’étude sur la réforme des lois relatives aux

opérations garanties en Asie réalisée en 2000 par la Banque Asiatique de développement

81

, ainsi que le

modèle de loi interaméricaine de l’Organisation des Etats Américains (OEA) sur les opérations garanties

82

sont autant de projets ayant consacré peu ou prou cette voie.

Le choix des modalités d’assimilation - Comme nous l’avons dit précédemment, le Guide semblait

dans un premier temps préconiser la voie de l’assimilation-fusion. Toutefois, ce choix n’a pas été entériné

par le Groupe de travail qui a décidé de maintenir l’option offerte entre les deux modalités, le législateur

étant invité à choisir celle qui correspond le mieux à ses attentes et surtout à son environnement juridique

et économique. Ainsi, dans une perspective purement française, il apparaît que la voie de l’assimilation

par voie de règles séparées, mais en grande partie identiques doit être privilégiée. Toutefois, elle n’est

pas sans danger. En effet, comme l’a fait remarquer avec justesse un auteur

83

, l’alignement du régime

de la propriété-sûreté sur celui des sûretés classiques, risque de consacrer un nouveau démembrement de

propriété, la propriété sûreté étant alors « un droit de propriété structurellement réduit à raison de sa

finalité », démembrement dont il faudra alors tirer toutes les conséquences.

Nonobstant cette réserve, la voie de l’assimilation-harmonisation nous semble plus en adéquation avec

notre tradition juridique. Il est à noter d’ailleurs que cette voie a été prônée par la plupart des délégations

des pays de droit civil. Elle permet en outre d’éviter les incohérences qu’engendre une assimilationfusion. Celle-ci ne se justifie en effet pleinement que si la propriété sûreté pouvait se dissoudre

complètement dans le nouveau régime. Or, tel n’est manifestement pas le cas.

B – LES LIMITES A L’ASSIMILATION

La spécificité des sûretés en garantie du financement de l’acquisition - Après avoir préconisé

l’approche de l’assimilation-fusion, le Guide est dans l’obligation de reconnaître immédiatement les

limites d’une telle méthode. Il s’avère en effet que l’ensemble des systèmes ayant opté pour cette solution

a dû prévoir des règles dérogatoires en faveur des vendeurs ou des établissements de crédit finançant

l’acquisition

84

. Tous ont été conscients de la nécessité de veiller à ce que, par le biais de l’assimilati onfusion, les créanciers ayant financé l’acquisition d’un bien ou d’un ensemble de biens, conservent un

78

- Ulrich Drobnig, op. cit. p. 49.

79

- Convention des Nations Unies sur la cession de créances dans le commerce international, 2001.

80

- http://www.ebrd.com/

81

- http://www.adb.org/Documents/Others/Law_ADB/lpr_2000_2.asp?p=lawdevt

82

- http://www.oas.org/dil/CIDIP-VI-securedtransactions_Eng.htm

83

- P. CROCQ, Dix ans après, l’évolution récente des propriétés-garanties, in Rupture, mouvements et

continuité du Droit, Autour de M. GOBERT, Economica 2004 p. 347 s.

84

- A/CN.9/WG.VI.WP.9/add.3 n°29 : Cette approche est justifiée par la nécessité de promouvoir la concurrence

entre fournisseurs vendant à crédit et les organismes de crédit en raison de l’effet bénéfique de cette concurrence sur l’offre

et le coût du crédit.

53

certain nombre des avantages que leur procurait la réserve de propriété. Or, les règles générales relevant

du régime préconisé par le Guide risquent à cet égard de se révéler sur ce point trop lourdes ou

handicapantes. D’où l’idée d’accorder une sorte de statut particulier à ces sûretés, statut particulier que

le droit américain connaît et désigne sous la terminologie de Purchase Money Security Interest (PMSI)

85

. La nécessité de prévoir un tel régime spécial est de nature à réduire considérablement les avantages

d’une approche intégrée, et milite a contrario pour la voie de l’assimilation harmonisation. Il peut en

effet apparaître quelque peu artificiel de fusionner pour ensuite immédiatement distinguer.

L’assimilation-harmonisation permettrait en revanche d’aboutir sensiblement aux mêmes résultats de

manière plus cohérente. Cela est d’autant plus vrai que ces règles parfois totalement dérogatoires ou le

plus souvent simplement aménagées se rencontrent à tous les niveaux du régime de la sûreté, de sa

constitution à sa réalisation.

Au stade de la création : Le Guide recommande certes que la sûreté donnée en garantie du prix d’achat

soit constatée par un écrit à l’instar de toute autre, mais il précise que cet écrit peut prendre n’importe

quelle forme

86

: factures, conditions générales voire courriel…. Quant à la question de l’acceptation, le

Guide n’exige pas de signature et se contente en l’état d’une acceptation tacite. Cette position n’est pas

de nature à troubler un juriste français puisqu’elle rejoint nos solutions actuelles en matière de réserve

de propriété.

Au stade de la publicité : S’il est une question qui a cristallisé l’opposition qui existe sur ce point, c’est

bien celle de la publicité. Certains y sont hostiles par principe, mais cette position est minoritaire et

totalement incompatible avec la lutte contre les sûretés occultes qui est un des objectifs majeurs du Guide.

Cette obligation de publicité se justifie d’autant plus que l’objection tenant aux coûts et délais n’est pas

dirimante dans le cadre d’une publicité informatisée en ligne à l’instar du nouveau système

d’enregistrement mis récemment en place en Nouvelle-Zélande

87

. De même, cette obligation de publicité

n’altérera pas les droits du créancier vendeur dans la mesure où le projet préconise que lui soit octroyée

une période de grâce pour effectuer son enregistrement. Si le vendeur ou au bailleur de fonds enregistre

sa sûreté durant cette période – dont la durée dont être aussi courte que possible

88

-, sa sûreté sera

considérée comme opposable aux tiers ab initio et comme bénéficiant d’une sorte de super priorité

89

lui

permettant de primer toutes les sûretés enregistrées antérieurement.

Il est à noter toutefois que si les biens grevés sont des stocks, le guide impose au créancier en sus de la

publicité, de notifier sa sûreté aux créanciers antérieurs ayant une sûreté globale sur les stocks présents

et futurs du débiteur. Une telle notification, une fois faite serait néanmoins valable pour une durée de

cinq ans et pour toutes les opérations de vente à crédit réalisées par les parties durant cette période. Il

s’agit là d’éviter le double financement par un débiteur peu scrupuleux. On peut toutefois douter de la

pertinence d’une telle exigence supplémentaire.

Si le principe de la publicité de la sûreté en garantie du prix d’achat est acquis, le Guide n’en prévoit pas

moins une exception. Ainsi, il est prévu qu’une telle sûreté n’a pas besoin d’être publiée lorsqu’elle

porte sur des biens de consommation, c'est-à-dire lorsqu’elle porte sur des biens acquis par des

particuliers pour leurs besoins personnels, familiaux ou domestiques, à condition toutefois que ces biens

85

- Le Groupe de travail a préféré traduire cette expression par “sûretés en garantie du financement de

l’acquisition » plutôt que par « sûreté en garantie du prix d’achat » qui est apparue trop limitée.

86

- A/CN.9/WG.VI/WP.17/add.1 n°2

87

- JF RIFFARD, Guide législatif de la CNUDCI, un projet actuel et nécessaire, op. cit. On peut consulter le site

officiel du registre à l’adresse suivante : http://www.ppsr.govt.nz/pls/web/dbssiten.main

88

- Une période de 20 à 30 jours est généralement préconisée, mais l’adoption d’un système entièrement informatisé

est de nature à permettre la réduction sensible de ces délais.

89

- cf infra

54

ne soient pas des biens de grande valeur soumis à immatriculation

90

. En revanche, le Groupe a écarté

les exceptions portant sur les opérations de faible montant ou à court terme pour laquelle l’obligation

contractée par le constituant est acquittée dans un bref délai.

91

, ces exceptions étant jugées

d’interprétation et d’application trop floues. De plus, il a pu être fait valoir que l’exception relative aux

opérations d’achat de biens de consommation était suffisante pour exclure les opérations de faible valeur,

et que l’octroi d’un délai de grâce pouvait suffire à exclure quant à lui, les opérations à court terme

92

.

Au stade des règles de priorité : On vient de voir qu’une fois les formalités de publicité requises

réalisées, le créancier sur prix d’achat bénéficie de ce que l’on peut appeler une superpriorité et primer

toutes les sûretés sur des biens futurs autres que des stocks, ne garantissant pas le financement

d’acquisition et inscrites antérieurement. Cette superpriorité sera octroyée si la partie finançant

l’acquisition reste en possession effective des biens ou si elle inscrit, le cas échéant, son avis dans le délai

de grâce spécifié après avoir remis les biens à l’acheteur. Si le principe d’un tel avantage n’est guère

contesté, il demeure néanmoins une question : celle de savoir si cette superpriorité doit s’étendre aux

produits de la vente du bien grevé, étant précisé que cette question ne se posera en pratique qu’en matière

de vente de stocks. Or, sur ce point, le Guide adopte une position assez restrictive. Il préconise en effet

que la priorité du créancier sur prix d’achat ne porte que sur les biens grevés et non sur les produits. Les

raisons d’une telle position sont essentiellement pratiques puisque tenant notamment aux risques de

conflits et aux difficultés alors d’identifier les créances de sommes d’argent qui sont le produit de stocks

de celles que finance le créancier garanti antérieur

93

.

Au stade de la réalisation : C’est là un point crucial dans la mesure où l’on sait que c’est l’efficacité de

la propriété-sûreté qui en fait tout son attrait. Pour l’heure, le Guide n’a pas pris position puisqu’il offre

une option entre deux alternatives pour le moins fondamentalement opposées. Il prévoit en effet qu’en

cas de défaillance de l’acquéreur, le vendeur a le pouvoir de reprendre possession des biens grevés et

d’en disposer, soit en sa qualité de propriétaire, soit en sa qualité de créancier garanti

94

. Offrir un tel

choix dans la perspective d’une assimilation fusion peut sembler incohérent voire contradictoire. Aussi

faut-il considérer, à la vérité, que ces deux alternatives ne sont pas offertes dans le cadre de la seule

assimilation fusion, mais correspondent en fait aux deux types d’approches fusion et harmonisation, le

choix dépendant de celle voulue par le législateur. Si celui-ci adopte une réforme fondée sur une

assimilation-fusion, il n’existe pas d’obstacle majeur à considérer que le créancier ne pourra prendre

possession ou disposer des biens qu’en vertu des seules règles s’appliquant aux sûretés de manière

générale. En revanche, la solution sera plus délicate au cas où le législateur opterait pour une approche

d’assimilation-harmonisation. Il s’agira alors de concilier les prérogatives du créancier découlant de sa

qualité de propriétaire avec les solutions prônées par le Guide en matière de sûretés en général. En

d’autres termes, il se pourra que le législateur soit amené à limiter dans une certaine mesure les

prérogatives issues du droit de propriété. A titre d’exemple, citons le sort des acomptes versés par

l’acquéreur défaillant. L’objectif d’harmonisation impose à l’évidence une telle restitution - sous

déduction toutefois d’éventuelles indemnités pouvant être mises à la charge du débiteur - à la fois pour

le bénéfice du débiteur et celui des autres créanciers garantis. Mais sur quelle base alors justifier une telle

restitution ? De même, si le créancier choisit, non pas de conserver le bien, mais de le vendre,

qu’adviendra-t-il de l’éventuel et hypothétique surplus pouvant être généré par la vente ? A l’inverse,

90

- Automobiles, bateaux de plaisance, aéronefs de loisir, etc...

91

- A/CN.9/WG.VI/WP.17/add.1 n°4

92

- A/CN.9/WG.VI.VII.CRP1/Add 3.

93

- A/CN.9/WG.VI/WP.17 n°38

94

- A/CN.9/WG.VI/WP.17 n°39

55

en cas de déficit, le créancier perd-il tout droit à exiger du constituant un quelconque paiement

complémentaire au-delà d’éventuels dommages et intérêts comme semble le préconiser le Guide ? Ce

sont là des questions épineuses puisque se trouvant au confluent à la fois du droit des sûretés, du droit

des biens et du droit des contrats. Aussi, le Guide ne pourra apporter de réponses claires et définitives,

celles-ci devant être laissées à la discrétion de chaque législateur, en fonction notamment de ses traditions

juridiques.

Propriété-sûreté et insolvabilité - Enfin le guide évoque la question délicate du sort de la propriété

sûretés dans le cadre des procédures d’insolvabilité. Inclure la propriété sûreté dans le champ du Guide

conduit à les inclure inévitablement dans la masse de l’insolvabilité. Or, l’on sait qu’actuellement, quand

bien même sont-ils qualifiés de sûretés, ces mécanismes permettent au créancier d’échapper au naufrage

que constitue généralement la faillite de leur débiteur. Les biens grevés ne faisant pas encore ou plus

partie du patrimoine du débiteur, ils ne sont nullement affectés par les mesures issues de la procédure

collective touchant le débiteur telles que l’arrêt des poursuites individuelles…. L’inclusion entraîne la

perte par le créancier de ses prérogatives exorbitantes, le soumettant aux mêmes règles de la faillite que

celles applicables aux autres créanciers garantis. C’est pourtant cette solution qui semble avoir la

préférence du projet. Celui-ci préconise en effet qu’en cas de procédure d’insolvabilité frappant

l’acheteur, le créancier ayant financé l’acquisition doit être traité comme n’importe quel autre créancier

garanti ou tout du moins être soumis à un ensemble de règles différent, mais équivalent. A cet égard, il

a été prévu que le Guide sur les opérations garanties devrait examiner quelles recommandations du Guide

sur l’insolvabilité, à savoir celles traitant des sûretés (approche fusion) ou celles sur les actifs appartenant

à des tiers (approche harmonisation) devraient s’appliquer aux mécanismes de financement d’acquisition

95

, étant précisé que dans les deux cas, l’objectif reste l’identité de traitement.

L’alignement du régime applicable au créancier garanti pour financement d’acquisition sur celui des

autres créanciers garantis n’est toutefois pas incohérent dans la mesure où le Groupe V sur l’insolvabilité

a posé le principe que la masse de l’insolvabilité comprend l’ensemble des biens grevés de propriété

sûreté, quelle que soit la qualification de cette dernière retenue par le Groupe VI. Cette position a été

entérinée par les deux groupes lors d’une session conjointe qui s’est tenue à Vienne en septembre 2003,

et ne semble pas devoir ni même pouvoir être remise en cause.

QUELQUES MOTS EN GUISE DE CONCLUSION

Pour ou contre l’inclusion : beaucoup de bruit pour rien ? A l’issue de ce bref exposé, nous ne

pouvons qu’avoir un sentiment mitigé, ne serait-ce qu’en raison de l’état d’avancement du projet de la

CNUDCI sur ce point et en l’absence de réponse précise et complète. Toutefois, ces premières

discussions présentent l’indéniable avantage d’attirer notre attention et celle du législateur sur des

questions fondamentales, et de prendre la pleine conscience de l’ampleur du débat. D’une part, elles

démontrent si besoin était, que le sort de la propriété sûreté n’est pas seulement une question technique,

mais doit être coordonné avec le droit de l’insolvabilité, la propriété sûretés tirant sa force sinon sa raison

d’être du traitement qui est réservé au créancier dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. D’autre

part, elles soulignent le fait que la question du sort de la propriété-sûreté relève aussi de décisions plus

politiques voire économiques, notamment quant à savoir quelle forme de distribution du crédit veut-on

privilégier : crédit acheteur ou crédit vendeur ?

Enfin, l’inclusion de la propriété sûreté pose la question de la définition du contour de cette notion. Nous

avons parlé jusqu’à présent par commodité des seuls transferts fiduciaires et des clauses de réserve de

propriété. Mais on sait qu’à la marge, se retrouvent des mécanismes qui se présentent sous la forme de

95

- A/CN.9/WG.VI.VII.CRP1/Add 4. n°9

56

simples arrangements contractuels dont on ne sait pas toujours précisément s’ils ont ou non une finalité

de garantie. L’exemple des locations de longue durée en est la parfaite illustration.

Mais cette discussion a aussi permis de mettre en exergue la spécificité aussi bien technique

qu’économique des clauses de réserve de propriété qui les rend réfractaires à toute fusion pure et simple.

Cette constatation est donc, semble-t-il, de nature à limiter quelque peu l’ambition affichée par le Guide

et la voie qu’il recommande. La montagne accouchera-t-elle alors d’une souris ? Nul doute que les

prochains travaux du Groupe de travail ne manqueront pas de nous apporter des éléments de réponse.

Affaire à suivre donc…

Document n°2 : Philippe DUPICHOT, Propriété et garantie au lendemain de l’ordonnance relative

aux sûretés, in Revue Le Lamy Droit civil, Nº 29, 1er juillet 2006

Christian Mouly suggérait d’assainir le régime des sûretés en alignant le régime des propriétésgaranties sur celui des sûretés réelles traditionnelles (Mouly Ch., Procédures collectives : assainir

le régime des sûretés, Études Roblot R., LGDJ, 1984, p. 529). Alors que l’occasion semblait se

présenter quelque vingt-deux années plus tard, le droit français ne s’est pourtant pas engagé dans

cette voie... Pourquoi le rejet d’un tel « assainissement » ? D’abord parce que l’exclusivisme donné

au créancier par l’utilisation de la propriété en tant que garantie tend à être considéré par ce dernier

comme un droit acquis le faisant peu ou prou échapper à l’impérialisme du droit des procédures

collectives (sur l’utilisation du droit de propriété à des fins de garantie, v. notamment, parmi une

bibliographie particulièrement abondante : Witz C., La fiducie en droit privé français, préf.

Schmidt D., Economica, 1981 ; Mouly Ch., Procédures collectives : assainir le régime des sûretés,


cit. ; Stoufflet J., L’usage de la propriété à des fins de garantie, in Les sûretés, Colloque

Bruxelles, 20-21 oct. 1983, FEDUCI, 1984, p. 319 ; Kormann A., Propriété et procédures

collectives ; vers un succédané des sûretés, RJ com. 1991, p. 64 ; Delebecque Ph., La propriété en

tant que sûreté dans les procédures collectives, RJ com. 1994, p. 385 ; Crocq P., Propriété et

garantie, préf. Gobert M., LGDJ, t. 248, 1995 ; Crocq P., Lamy Droit des sûretés, nº 293 ; Blanluet

G., Essai sur la notion de propriété économique en droit privé français, Recherches aux confluents

du droit fiscal et du droit civil, t. 313, préf. Catala P. et Cozian M., LGDJ, 1999 ; Blanluet G.,

Brèves réflexions sur la propriété économique, Dr. & patr. 2003, nº 113, p. 80 ; Crocq P., Dix ans

après : l’évolution des propriétés-garanties, Mél. Gobert M., Economica, 2004 ; Grimaldi M.,

Réflexions sur les sûretés propriétés (À propos de la réserve de propriété), Études Dupichot J.,

Bruylant, 2004, p. 169 ; Dupichot Ph., Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés,

préf. Grimaldi M., éd. Panthéon-Assas, 2005, n

os

918 et s. ; Legeais D., Les nouvelles fonctions de

la propriété, Travaux de l’Association Henri Capitant, La propriété, t. LIII, éd. SLC, 2006, à

paraître). Une proposition qui eût suggéré de « raboter » la situation d’exclusivité conférée par le

droit de propriété eût été certainement vouée à l’échec. Ensuite parce qu’une compétition accrue

entre les systèmes juridiques favorise l’essor de la propriété-sûreté. Indéniablement, elle apparaît

comme un atout pour l’attractivité économique des systèmes qui la reconnaissent et l’apprivoisent.

Et c’est un des paradoxes bien connus de la propriété-sûreté que d’être tout à la fois antique et

moderne, techniquement frustre mais d’une grande actualité. L’exclusivisme rassure le créancier

57

en le mettant à l’abri du concours et bien peu lui importe d’ailleurs qu’il s’agisse là d’une tendance

régressive du droit contemporain (Oppetit B., Les tendances régressives dans l’évolution du droit

contemporain, Mél. Holleaux D., Litec, 1990, p. 323).

Ces quelques raisons expliquent largement pourquoi la propriété-sûreté conserve sa place – on

n’ose dire son rang ! – en droit positif, voire gagne inéluctablement du terrain.

C’est d’abord vrai en droit communautaire : la directive collateral(Dir. Cons. CE nº 2002/47, 6

juin 2002) concernant les contrats de garantie financière, transposée par l’ordonnance nº 2005-171

du 24 février 2005, en est un exemple topique. Sa ratio legis consiste en effet en la préservation de

l’efficacité de contrats de garantie financière reposant sur le transfert en pleine propriété d’espèces

ou d’instruments financiers remis à titre de garantie, et ce, notamment contre d’éventuels risques

de requalification en autant de nantissements avec pactes commissoires prohibés.

C’est ensuite vrai en droit comparé : nombre de nos voisins ont su céder aux mérites de la propriété

utilisée comme sûreté et il devient difficile d’invoquer ici une quelconque exception française ! On

songe ici notamment à la réserve de propriété élargie et à la Sicherungsübereignung allemandes

(la Sicherungsübereignung est une aliénation de biens mobiliers corporels à titre de garantie,

pendant des cessions de créances à titre de garantie connues en droit allemand (cessions de créances

déterminées, cession-cadre ou Mantelzession et enfin cession globale ou Globalzession) : v. par

exemple, Teston B., Les sûretés réelles mobilières anglo-saxonnes, Dr. & patr. 2001, nº 94, p. 69),

au trust anglais (v. notamment, Barrière F., La réception du trust au travers de la fiducie, Litec,

2004, préf. Grimaldi M. ; Trust et droit français, les frères ennemis ?, RLDC 2006/25, n

os

1054 et

s., p. 57 et s.) ou encore aux fiducies québécoises (Code civil du Québec, art. 1260 et s., spéc. art.

1263) et luxembourgeoises (le Luxembourg a même élargi le champ d’application de sa législation

sur la fiducie par une loi publiée le 3 septembre 2003).

Et c’est enfin vrai au lendemain de la réforme du droit français menée tambour battant par

l’ordonnance du 23 mars 2006.

Certes, cette ordonnance ne s’accompagne en apparence d’aucun bouleversement. Consacrant pour

l’essentiel des solutions connues, elle innove infiniment moins que ne le suggérait le Groupe

Grimaldi qui avait réfléchi tant à la propriété retenue à titre de garantie, crédit-bail excepté, qu’à

celle cédée à titre de garantie. Et ce Groupe avait même songé à reconnaître un principe plus

général de fiducie-sûreté avant d’être « dessaisi » de cette question au profit d’une « Commission

fiducie » ad hoc(v. sur ce point Crocq P., La réserve de propriété, in Rapport « Grimaldi » : pour

une réforme globale des sûretés, Dr. & patr. 2005, nº 140, p. 75). Partant, l’ordonnance pourrait à

première vue décevoir : le gouvernement pouvait-il d’ailleurs faire autrement, lui qui devait tenir

compte des termes restrictifs d’une habilitation ne l’autorisant qu’à « insérer à droit constant, dans

le code civil, les dispositions relatives à la clause de réserve de propriété »(L. nº 2005-842, 26

juill. 2005, pour la confiance et la modernisation de l’économie, art. 24-3) ? Sans doute pas.

Malgré tout, l’apport de l’ordonnance est loin d’être nul sur le thème « Propriété et garantie ».

Car la codification des dispositions « nouvelles » dans un Chapitre IV « De la propriété retenue à

titre de garantie », du Sous-titre II « Des sûretés sur les meubles », du nouveau Livre IV du Code

58

civil consacré aux sûretés, conforte d’abord l’analyse suivant laquelle la propriété réservée revêt

aujourd’hui la nature d’une véritable sûreté réelle (Crocq P., La réserve de propriété, JCP G 2006,

suppl., nº 20, p. 23), ne serait-ce parce que, à la différence de la propriété ordinaire ou plena in re

potestas, la réserve de propriété n’est pas en elle-même source de richesse (en ce sens, Grimaldi

M., Réflexions sur les sûretés propriétés (À propos de la réserve de propriété), op. cit. ; comp.

Crocq P., Propriété et garantie, t. 248, préf. Gobert M., LGDJ, 1995).

Ensuite, parce que, même insérées à droit quasi constant, ces nouvelles dispositions rendent le droit

français plus lisible, plus accessible, en un mot plus exportable.

Surtout, parce que née comme une convention dérogatoire au transfert solo consensu des articles

1138 et 1583 du Code civil, puis saisie par le droit des procédures collectives qui en consacra, à

certaines conditions, l’opposabilité à la faillite (c’était l’objet de la fameuse loi Dubanchet du 12

mai 1980), la clause de réserve de propriété revient au Code civil. Et ce retour mérite d’être salué

: ce code se ressource sous l’influence des autres branches du droit (le mouvement est certes connu

d’enrichissement des règles générales à partir des règles de droit spécial : du droit de la

consommation ou des sociétés vers le droit civil ; v. par exemple Calais-Auloy J., L’influence du

droit de la consommation sur le droit civil des contrats, RTD civ. 1993, p. 1 ; Sauphanor N.,

L’influence du droit de la consommation sur le système juridique, t. 326, préf. Ghestin J., LGDJ,

2000 ; Lécuyer H., Apports de la théorie des nullités en droit des sociétés à la théorie générale des

nullités, Annales Facultés de Droit de Tunis, à paraître). Ce qui apporte un démenti flagrant à ceux

qui continuent de faire l’amalgame entre droits codifiés et droits rigides, d’un côté, et droits

prétoriens et droits flexibles, de l’autre : le Code civil sait évoluer, le contenant sait survivre à la

modernisation de son contenu (Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique

Française, Les droits de tradition civiliste en question, À propos des Rapports Doing Business de

la Banque mondiale, vol. 1, éd. SLC, 2006, spéc., n

os

74 et s. et 85 et s., en ligne sur

www.henricapitant.org).

Il convient de dresser à présent le rapide panorama du droit des propriétés-garanties au lendemain

de la réforme du droit des sûretés.

À cet effet, on reprendra la summa divisio des propriétés retenues à titre de garantie, seules visées

par l’ordonnance et celle des propriétés cédées à titre de garantie, pour l’heure restées à l’écart :

aussi, envisagera-t-on, en premier lieu, la propriété retenue à titre de garantie en droit positif (I)

puis, en second lieu, la propriété cédée à titre de garantie en droits positif et prospectif (II).

I - LA PROPRIÉTÉ RETENUE À TITRE DE GARANTIE EN DROIT POSITIF

L’ordonnance opère une consolidation de solutions classiques gouvernant la clause de réserve de

propriété mobilière (v. sur ce thème Crocq P., La réserve de propriété, op. cit.) (A). Mais le plus

remarquable réside sans doute dans sa consécration de la clause de réserve de propriété

immobilière (B).

59

A - Consolidation de la clause de réserve de propriété mobilière

L’analyse de la nature (1) puis du régime juridique (2) de la clause de réserve de propriété mobilière

permettra de se convaincre que l’ordonnance procède, pour l’essentiel, à une simple consolidation

de règles préexistantes.

1 - La nature juridique

Cette nature juridique de la clause de réserve de propriété est un perpétuel sujet de controverse :

s’agit-il d’un terme (Cass. com., 9 janv. 1996, nº 93-20.109, D. 1996, jur., p. 184, note Derrida F.,

RTD civ. 1996, p. 436, obs. Crocq P., se référant au « terme contractuellement prévu pour le

transfert de propriété »), d’une condition (v. déjà Cass. com., 1

er

oct. 1985, nº 84-12.015, Bull. civ.

I, nº 222, D. 1986, jur., p. 246, note Cabrillac M. : le paiement du prix constitue une « condition

suspensive » du transfert de la propriété) ou d’un mécanisme original (v. par exemple, Pérochon

F., La réserve de propriété dans la vente de meubles corporels, t. 21, préf. Mousseron J.-M., Litec,

1988 : la qualification serait susceptible de varier suivant l’intention des parties ; Legeais D.,

Sûretés et garanties du crédit, LGDJ, 3

e

éd., 2002, nº 658, insistant sur le caractère original et

irréductible de la réserve de propriété en un simple terme – l’événement n’est pas certain par

hypothèse – ou en une condition – impliquant que le complet paiement du prix soit considéré

comme une modalité de l’exécution d’une obligation de transférer la propriété dont l’existence

reste pour le moins controversée en droit français ; adde, Ghozi A., Nature juridique et

transmissibilité de la clause de réserve de propriété, D. 1986, chr., p. 317) ?

Et est-ce une modalité suspensive ou résolutoire ?

Le législateur apporte sa pierre à l’édifice lorsqu’il énonce à l’article 2367 que « la propriété d’un

bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend

l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la

contrepartie ». Car si cette disposition ne prend pas parti sur la nature certaine ou incertaine de

l’événement envisagé (terme ou condition ?), elle consacre une analyse suspensive et non

résolutoire de cette stipulation. Et l’honneur de définir la clause de réserve de propriété est

dorénavant l’attribut du seul Code civil auquel le Code de commerce renvoie désormais

implicitement : l’article L. 624-16 du Code de commerce, siège de la matière, est en effet modifié

en conséquence lui qui décrivait – plus qu’il ne définissait d’ailleurs – la clause de réserve de

propriété comme celle « subordonnant le transfert de propriété au paiement intégral du prix »(C.

com., art. L. 624-16, al. 2, ancien).

Quant à l’alinéa second de l’article 2367, il vient consacrer une jurisprudence constante en

qualifiant cette clause expressément d’accessoire de la créance : il y est dorénavant affirmé que «

la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement » : et on se

souvient que la Chambre commerciale avait déjà statué en ce sens dès 1988 (Cass. com., 15 mars

1988, nº 85-18.623, Bull. civ. IV, nº 106, Defrénois 1988, p. 1190, note Aynès L., RTD civ. 1988,


791, obs. Bandrac M. ; adde, Cass. com., 11 juill. 1988, nº 87-10.834, Bull. civ. IV, nº 241). Or,

les accessoires d’une créance sont les droits ou actions dont la finalité exclusive est d’en renforcer

la valeur ou d’en favoriser le recouvrement et qui n’ont d’utilité que pour le titulaire actuel ou futur

60

de cette dernière (Cabrillac M., Les accessoires de la créance, Mél. Weill A., Dalloz-Litec, 1983,


107 et s., spéc. n

os

19 et s.). Partant, voici confirmée solennellement dans le Code civil cette

inféodation du père de tous les droits réels au service d’un simple droit personnel que le d roit de

propriété est appelé à suivre comme son ombre...

On ne peut toutefois techniquement inférer de cette seule qualification d’accessoire celle

d’authentique sûreté réelle de la réserve de propriété : car si toute sûreté est en principe (la garantie

autonome exceptée : C. civ., art. 2321, al. 4) un accessoire de la créance, l’inverse n’est pas vrai

(la notion d’accessoire de la créance est plus large que celle de sûreté (et même de garantie)

puisqu’elle inclut notamment clauses d’indexation, clauses pénales, etc., qui ne sont en aucune

manière des sûretés). Mais plus directement, la réserve de propriété est désormais qualifiée sans

détour de sûreté réelle sur les meubles, notamment à l’article 2329 du Code civil (C. civ., art. 2329

: « Les sûretés sur les meubles sont : 1º Les privilèges mobiliers ; 2º Le gage de meubles corporels

; 3º Le nantissement de meubles incorporels ; 4º La propriété retenue à titre de garantie » ; v. déjà,

Cass. com., 9 mai 1995, nº 92-20.811, RTD civ. 1996, p. 441, obs. Crocq P., précisant que le «

prêteur de deniers n’est subrogé que dans la sûreté que constitue la propriété réservée » ; Cass.

com., 23 janv. 2001, nº 97-21.660, Bull. civ. IV, nº 23, D. 2001, AJ, p. 702, obs. Lienhard A., RTD

civ. 2001, p. 398, obs. Crocq P. ; il reste toutefois que cette qualification de sûreté réelle mobilière

s’accommode mal de la règle suivant laquelle l’action en revendication n’est pas éteinte par suite

de l’ancienne extinction par accessoire de la créance principale pour défaut de déclaration : Cass.

com., 9 janv. 1996, nº 93-20.109, D. 1996, jur, p. 184, note Derrida F., RTD civ. 1996, p. 437, obs.

Crocq P.). Et l’on pourra au passage s’émouvoir que rétention de la propriété (réserve de propriété)

et rétention de la détention d’une chose (droit de rétention de l’article 2286 du Code civil) soient

aujourd’hui les principales garanties inexpugnables en cas de procédures collectives... Heureux

donc les créanciers rétenteurs !

Une compétition accrue entre les systèmes juridiques favorise l’essor de la propriété-sûreté.

Indéniablement, elle apparaît comme un atout pour l’attractivité économique des systèmes qui la

reconnaissent et l’apprivoisent.

2 - Le régime juridique

L’impératif de codification à droit constant se ressent sur le régime juridique de la réserve de

propriété, et ce, légèrement s’agissant de ses règles de constitution, plus lourde ment quant à ses

effets.

Si « la réserve de propriété est convenue par écrit » aux termes de l’article 2368, elle n’est pas

devenue pour autant un contrat solennel : la proposition du Groupe Grimaldi d’un écrit ad

validitatem (art. 2381 de l’avant-projet : « À peine de nullité, la réserve de propriété est convenue

par écrit ») n’a pas été reprise ; et l’exigence préexistante d’un écrit (C. com., art. L. 624-16, ancien

: « doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit ») était considérée comme une simple

condition d’opposabilité à la procédure collective ce qui reste semble-t-il le cas. Comme par le

passé, cet écrit sera établi au plus tard au jour de la livraison et il pourra régir un ensemble

d’opérations commerciales convenues entre les parties (C. com., art. L. 624-16, al. 2, nouveau). La

publicité de la clause reste également facultative (D. nº 85-1388, 28 déc. 2005, art. 117 ; cette

61

publicité facultative présentera donc toujours le double intérêt de dispenser le créancier de

l’obligation de revendiquer dans les trois mois (en lui permettant de demander une restitution de

son bien affranchie de ce bref délai) et de lui garantir un avertissement à personne d’avoir à déclarer

sa créance : C. com., art. L. 622-24, al. 1

er

) : l’exigence d’une publicité calquée sur celle des gages

sans dépossession – à partir d’un certain montant et conditionnant l’efficacité du droit de suite du

créancier – a également été rejetée (art. 2382 de l’avant-projet).

La principale innovation se trouve dans l’abrogation de la règle malheureuse, insérée à la faveur

de la loi du 1

er

juillet 1996, et qui permettait que la réserve soit stipulée unilatéralement par le

vendeur sans que l’acheteur puisse s’y opposer (L. nº 96-588, 1

er

juill. 1996 : « Nonobstant toute

clause contraire, la clause de réserve de propriété est opposable à l’acheteur et aux autres

créanciers, à moins que les parties n’aient convenu par écrit de l’écarter ou de la modifier ») ; par

un retour salutaire au droit commun, cette clause devra dorénavant faire l’objet d’un accord de

volontés puisqu’elle déroge au principe supplétif du transfert solo consensu de la propriété (et des

risques). Et la jurisprudence antérieure à la loi de 1996, qui validait à certaines conditions

l’acceptation tacite de l’acheteur, retrouvera sur ce point tout son intérêt (v., sur cette jurisprudence,

Aynès L. et Crocq P., Sûretés, Publicité foncière, Defrénois, 1

re

éd., 2004, nº 754).

En outre, pas plus que celle d’hier, la réserve de propriété de demain ne pourra se voir étendue, «

élargie » à d’autres dettes de l’acheteur, comme ce peut être le cas en droit allemand (v. sur cette

question Campana M.-J., Variations sur la clause de réserve de propriété, Mél. Fargat G., FrisonRoche, 1999, p. 53). C’est le paiement de la seule obligation constituant la « contrepartie » du

transfert de propriété qui est initialement garanti. Et cette référence implicite à la cause objective

– cause contrepartie – masque à peine un strict principe de spécialité de la créance garantie.

Au contraire, la réserve de propriété pourra être stipulée quelle que soit la nature juridique du

contrat concerné, l’article 2367 se référant à l’effet translatif d’« un contrat » sans autre exigence.

Car, au terme d’une évolution remarquable, il avait été progressivement admis que tout contrat

pouvait désormais faire l’objet d’une clause de réserve de propriété et spécialement un contrat

d’entreprise : la règle n’allait pourtant nullement de soi puisque seuls les « biens vendus avec une

clause de réserve de propriété » étaient visés au Code de commerce (la Chambre commerciale

avait ainsi solennellement affirmé le 19 novembre 2003 que « l’action en revendication des biens

dont la propriété est réservée en application d’une clause contractuelle peut être exercée quelle

que soit la nature juridique du contrat dans lequel elle figure » : Cass. com., 19 nov. 2003, nº 01-01.137, D. 2004, AJ, p. 3049, obs. Lienhard A., RD bancaire et fin. 2004, nº 70, obs. Legeais D. ;

l’article L. 624-16, alinéa 2, du Code de commerce ne traite pourtant que des « biens vendus avec

une clause de réserve de propriété », tandis que le contrat d’entreprise n’implique pas, suivant

l’analyse traditionnelle, de mécanisme translatif de propriété même si les idées évoluent sur ce

point : v. Puig P., La qualification du contrat d’entreprise, préf. Teyssié B., éd. Panthéon-Assas,

coll. Dr. priv., 2002 ; Puig P., Contrat d’entreprise et transfert de propriété, Études Dupichot J.,

Bruylant, 2004, p. 393). Cette codification civile pourrait d’ailleurs inciter à recourir plus

largement à la clause de renonciation à l’accession immobilière (v. Fabre B. et Schmitt R., La

clause de renonciation à la règle de l’accession foncière dans les marchés privés de travaux, RD

62

imm. 1990, p. 453 ; Delebecque Ph., Les garanties de l’entrepreneur contre l’insolvabilité du maître

de l’ouvrage, RD imm. 1993, p. 39 et s., spéc. n

os

8 et s. ; Delebecque Ph., La propriété en tant que

sûreté dans les procédures collectives, RJ com. 1994, p. 385 et s., spéc. n

os

22 et s.) qui dissocie la

propriété de l’entrepreneur-fournisseur de celle du maître de l’ouvrage : mais sa principale

faiblesse se situe dans le risque que la chose mobilière ne perde ultérieurement son identité (Cass.

com., 2 mars 1999, nº 95-18.643, Bull. civ. IV, nº 50, RTD civ. 1999, p. 442, obs. Crocq P., RTD

civ. 2000, p. 866, obs. Revet Th., D. 2000, somm., p. 69, obs. Mainguy D. et Pérochon F. : la

validité de la clause de réserve de propriété de l’entrepreneur fut reconnue, mais non son

opposabilité à la faillite, à défaut d’une identité des biens en nature au sens de l’ancien article 121

de la loi du 25 janvier 1985 qui édicte là une condition d’ordre public ; adde, Cass. com., 29 mai

2001, nº 98-21.126, JCP E 2001, II, p. 2006, note Leveneur L. : « le bien remis en exécution d’un

contrat d’entreprise peut faire l’objet d’une réserve de propriété » ; comp. la clause type des

marchés de travaux privés de l’Office général du bâtiment et des travaux publics prévoyant que «

l’entrepreneur, nonobstant l’article 551 du Code civil, demeure propriétaire de l’ouvrage exécuté

jusqu’à l’entier paiement de sa créance née du marché de travaux »), sauf à admettre qu’une

publication de cette renonciation à la conservation des hypothèques permette d’y remédier (en ce

sens, Delebecque Ph., Les garanties de l’entrepreneur contre l’insolvabilité du maître de l’ouvrage,

RD imm. 1993, p. 39 et s., spéc. n

os

8 et s. ; Delebecque Ph., La propriété en tant que sûreté dans

les procédures collectives, RJ com. 1994, p. 385 et s., spéc. nº 23 : selon l’auteur, la clause de

renonciation à l’accession crée en effet une propriété « originale » qui « ne résulte que de la volonté

contractuelle » et dont l’opposabilité passe nécessairement par la publication car, « par la

combinaison imaginée, la propriété du sol revient au maître de l’ouvrage, tandis que la propriété

des constructions est conférée à l’entrepreneur »).

Enfin, cette polyvalence de la clause de réserve de propriété au plan des contrats concernés se

retrouve au plan des meubles grevés : tout bien a en effet vocation à faire l’objet d’une clause

suspendant le transfert de propriété, ce qui est pour le moins vaste. Déjà, à la veille de la réforme,

il était acquis que les contractants n’étaient nullement contraints de recourir aux nantissements

spécialement organisés par le législateur pour certains biens (Dupichot Ph., précité, nº 927-928).

Et c’est ainsi qu’ont pu être valablement stipulées des réserves de propriété sur du matériel

d’équipement (Cass. com., 13 mars 1985, nº 83-17.112, Bull. civ. IV, nº 99), sur des véhicules

automobiles (Cass. com., 5 oct. 1993, nº 91-14.194, Bull. civ. IV, nº 314, JCP G 1994, I, p. 3765,

nº 19, autorisant le « cumul » idéal et non réel par le vendeur de la clause de réserve de propriété

et du gage automobile ; pour une confirmation implicite, v. Cass. com., 23 janv. 2001, nº 97-21.660, Bull. civ. IV, nº 23, D. 2001, AJ, p. 702, obs. Lienhard A., RTD civ. 2001, p. 398, obs.

Crocq P.), mais aussi sur des biens incorporels tels que fonds de commerce (Cass. com., 21 nov.

1995, nº 93-20.531, Bull. civ. IV, nº 266, JCP E 1996, I, p. 554, obs. Cabrillac M., D. 1996, jur.,


211, note Regnaut-Moutier C. : « l’obligation de revendiquer dans le délai de trois mois,

imposée par l’article 115 de la loi du 25 janvier 1985 à celui qui doit faire reconnaître son droit

de propriété contre une personne soumise à une procédure de redressement judiciaire, n’est pas

limitée aux meubles corporels » ; Cass. com., 29 févr. 2000, nº 97-14.575, RJDA 2000/5, nº 572 ;

adde, sur la licéité d’une clause de réserve de propriété sur fonds de commerce : Vérignon B., Une

63

conséquence inattendue de la loi nº 94-475 du 10 juin 1994 : la réserve de propriété est-elle devenue

une sûreté applicable aux ventes de fonds de commerce ?, JCP N 1995, I, p. 1037 ; Houtcieff. D.,

Lamy Droit des sûretés, V° Fonds de commerce et fonds artisanal, nº 247), brevet d’invention

(Cass. com., 22 oct. 1996, nº 94-17.768), support matériel d’un logiciel (CA Versailles, 30 juin

1994, Rev. proc. coll. 1995, p. 191, obs. Soinne B.) ou encore actions (v. Jacomet Th. et Farmine

F., La vente d’actions avec réserve de propriété, Bull. Joly 1996, § 347, p. 977), bref sur tout bien

faisant déjà l’objet d’un gage ou d’un nantissement dédiés. Or, ces solutions conservent leur intérêt

au lendemain de la réforme : plusieurs techniques, celle du droit de préférence stricto sensu (gage

ou nantissement) et celle de l’exclusivisme (propriété) pourront être mises en concurrence par les

contractants.

S’agissant des effets de la clause, les contraintes de la codification à droit constant se font ressentir

plus lourdement encore : on regrettera en particulier de ne pas retrouver dans le Code civil certaines

dispositions proposées par le Groupe Grimaldi en matière d’accession mobilière (comp. art. 2383

à 2386 de l’avant-projet et leur présentation par Crocq P., précité, p. 78 et 79). Et les solutions

retenues confirment pour l’essentiel des règles bien assises.

Ainsi d’abord de l’affirmation que « la propriété réservée d’un bien fongible peut s’exercer, à

concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature (et non plus de même «

espèce ») et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte »(C. civ., art. 2369) :

cette disposition consolide l’héritage de la loi du 10 juin 1994 qui avait admis la revendication de

choses fongibles, mais aussi de la décision du 5 mars 2002 qui avait fait de la revendication de

choses fongibles (admise depuis la loi du 10 juin 1994), et singulièrement de produits

pharmaceutiques, une règle de fond et non de simple preuve : on le sait, la revendication est

possible alors même qu’il serait certain que les choses qui se trouvent entre les mains du débiteur

ne sont pas celles dont le prix reste dû (Cass. com., 5 févr. 2002, nº 98-17.585, Bull. civ. IV, nº 48,

RTD civ. 2002, p. 339, obs. Crocq P. : le législateur a créé à l’article L. 621-122, alinéa 3, du Code

de commerce, une « règle de fond attribuant au revendiquant la propriété des biens fongibles qui

se trouvent entre les mains de l’acheteur dès lors que ceux-ci sont de même espèce et même qualité

que ceux qu’il a livrés ») ! Et cette consécration assoit un peu plus la nature de sûreté réelle de la

réserve de propriété : celle-ci apparaît alors comme un droit sur la valeur (Grimaldi M., précité, p.

178 : « autant il peut apparaître extravagant d’exercer un droit de propriété sur la chose d’autrui,

autant il est banal d’exercer une sûreté sur la chose d’un tiers » ; Crocq P., Dix ans après :

l’évolution des propriétés-garanties, Mél. Gobert M., Economica, 2004) renfermant un droit à

l’attribution de la propriété d’une quotité de choses fongibles appartenant au débiteur (Crocq P.,

précité, p. 78 ; comp. l’analyse suivant laquelle le droit de propriété portant sur des choses fongibles

n’aurait, par exception, pas besoin de porter sur un objet individuellement déterminé : Marly P.-G., Fongibilité et volonté individuelle, Étude sur la qualification juridique des biens, thèse Paris I,

2002, n

os

306 et s.) et détenues par lui ou « pour son compte » (précision nouvelle).

Ainsi ensuite de la règle suivant laquelle « l’incorporation d’un meuble faisant l’objet d’une

réserve de propriété à un autre bien ne fait pas obstacle aux droits du créancier lorsque ces biens

peuvent être séparés sans subir de dommage »(C. civ., art. 2370) : celle-ci consolide là encore

64

l’apport de certaines décisions rendues en matière d’accession mobilière et immobilière (Cass.

com., 8 déc. 1987, nº 86-12.173, Bull. civ. IV, nº 289 ; Cass. com., 12 févr. 1991, nº 89-19.314,

Bull. civ. IV, nº 69 ; Cass. com., 15 mars 1994, nº 91-14.375, JCP G 1994, II, p. 22277, note

Larroumet Ch. : revendication possible d’un moteur incorporé à un navire grevé d’une hypothèque

maritime, celui-ci se retrouvant en nature et étant matériellement séparable des autres parties du

navire) ; surtout, elle vise dorénavant expressément le cas de l’incorporation du meuble vendu dans

un bien même immobilier (« séparation » plutôt que « récupération » sans dommage comme dans


com., art. L. 624-16, al. 3, ancien ; « bien » plutôt que « bien mobilier ») : le créancier pourra

donc récupérer le meuble dissociable sans dommage de l’immeuble dans lequel il aura été

incorporé.

Ainsi encore de l’article 2372 qui conforte deux hypothèses de subrogation réelle. La revendication

pourra s’exercer sur l’indemnité d’assurance (v. aussi C. com., art. L. 624-18, al. 2, nouveau)

lorsque les biens vendus auront péri par cas fortuit, ce que la Cour de cassation avait déjà admis

(v. déjà, Cass. com., 1

er

oct. 1985, nº 84-12.015, Bull. civ. IV, nº 222, D. 1986, jur., p. 246, note

Cabrillac M.). Inspiré de l’article L. 121-13 du Code des assurances qui prévoit la subrogation

réelle de l’indemnité d’assurance à l’immeuble hypothéqué, ce mécanisme atteste également de la

nature de sûreté réelle de la réserve de propriété. Et un report de la réserve de propriété sur la

créance du débiteur à l’égard du sous-acquéreur est également institué qui aura vocation à jouer

semble-t-il même lorsque le débiteur sera in bonis(Crocq P., La réserve de propriété, JCP G 2006,


cit.) et pas seulement dans le cas traditionnel de l’article L. 624-18 du Code de commerce. On

pourra à la faveur de ce report de la propriété sur la créance s’émouvoir de la reconnaissance sans

détour dans le Code civil d’une propriété des créances...

Ainsi enfin du dénouement de la relation régi par l’article 2371. En cas de défaillance du débiteur,

la restitution offerte au créancier ne constitue pas une action résolutoire (Cass. com., 1

er

oct. 1985,

nº 84-12.015, Bull. civ. I, nº 222, D. 1986, p. 246, note Cabrillac M.) : c’est un mode de réalisation

propre à cette sûreté réelle et qui fait recouvrer au créancier le droit de disposer du bien, donc de

revendre la chose (Cass. com., 5 mars 1996, nº 93-12.818, Bull. civ. IV, nº 72, RTD civ. 1996, p.

443, obs. Crocq P.). Quant à la valeur du bien repris, elle est imputée à titre de paiement sur le

solde de la créance garantie en application d’un mécanisme apparenté à une dation de paiement

forcée (Crocq P., précité, p. 79 ; v. sur la possibilité d’une dation en paiement forcée (attribution

judiciaire du gage notamment), Bicheron F., La dation en paiement, éd. Panthéon-Assas Paris II,

préf. Grimaldi M., 2006, n

os

19, 325 et 386 et s.). Et le créancier ne pourra certes pas s’enrichir à

cette occasion. Si la valeur du bien repris excède le montant de la dette garantie, il devra au débiteur

une soulte (v. déjà, Cass. com., 5 mars 1996, nº 93-12.818, Bull. civ. IV, nº 72, RTD civ. 1996, p.

443, obs. Crocq P. : la sûreté réelle ne saurait jamais être une source de profit pour le créancier,

car il est de son essence d’être l’accessoire d’un principal, Crocq P., Propriété et garantie, préf.

Gobert M., LGDJ, 1995, t. 248, nº 270 ; dans le cas inverse, le vendeur resterait créancier du solde

du prix).

65

L’impératif de codification à droit constant se ressent sur le régime juridique de la réserve de

propriété, et ce, légèrement s’agissant de ses règles de con stitution, plus lourdement quant à ses

effets.

Sans bouleversement, mais de façon symboliquement forte, la réserve de propriété prend racine

peu à peu dans le droit des sûretés réelles véritables, des propriétés-sûretés et non des seules

propriétés-garanties (sur cette distinction, Crocq P., Lamy Droit des sûretés, V° Propriétés-sûretés,

n

os

293-10 et 296-13 et s.). Et les dispositions envisagées méritent une attention d’autant plus

soutenue qu’elles peuvent avoir vocation à s’appliquer à la matière immobilière.

B - Consécration de la clause de réserve de propriété immobilière

La reconnaissance de la clause de réserve de propriété immobilière (1) implique d’en esquisser le

possible fonctionnement (2).

1 - La reconnaissance

Le Groupe Grimaldi suggérait de préciser que « la propriété de l’immeuble peut également être

affectée en garantie »(art. 2388, al. 2, de l’avant-projet). De façon plus directe, mais aussi plus

restrictive (v. infra II, B, 1º, l’exclusion apparente de la fiducie-sûreté immobilière), l’article 2372,

alinéa 2, du Code civil affirme, en tête de la classification des sûretés sur les immeubles (sous-titre

III), que « la propriété de l’immeuble peut également être retenue en garantie ». Cette disposition

prend sans doute acte de la fonction de garantie du crédit-bail immobilier (sur le crédit-bail

immobilier envisagé sous l’angle du droit des sûretés, v. notamment Bey E.-M., La propriété : le

crédit-bail envisagé comme une sûreté, in L’évolution du droit des sûretés, RJ com. 1982, spéc. nº,


48 ; Parléani G., Le contrat de lease-back, RTD com. 1973, p. 699 ; Cabrillac M., Rép. civ.

Dalloz, V° Crédit-bail, 1982 ; Calais-Auloy J., Rép. com. Dalloz, V° Crédit-bail ; Goyet Ch., Le

louage et la propriété à l’épreuve du crédit-bail et du bail superficiaire, t. 180, préf. Schmidt D.,

LGDJ, 1983, spéc. n

os

42 et s. ; Carbonnier D., Du bail au crédit, Defrénois 1991, art. 35102 ;

Duranton G., Rép. com. Dalloz, V° Crédit-bail immobilier, 2000) qui est « une sûreté mise en

forme de contrat »(Théry Ph., Sûretés et publicité foncière, PUF, coll. Droit fondamental, 2

e

éd.,

1998, nº 327). Mais la volonté du législateur est ailleurs : dans la reconnaissance de la clause de

réserve de propriété immobilière au côté des autres sûretés immobilières.

Il est certes extrêmement fréquent que les parties retardent la date du transfert de propriété, du jour

de la promesse synallagmatique de vente à celui de signature de l’acte authentique : un tel transfert

différé n’a cependant pas pour finalité première de faire profiter le vendeur d’une sûreté de

paiement du prix (au contraire, il s’agit pour les parties de prendre le temps nécessaire à la réunion

d’un financement, à l’accomplissement de l’audit d’acquisition ou encore à l’obtention de certaines

autorisations administratives (permis de construire, certificats d’urbanisme) et diagnostics toujours

plus nombreux relatifs à l’amiante, au saturnisme, ou encore aux insectes xylophages, etc.). Mais

l’idée d’une véritable clause de réserve de propriété immobilière a exercé une séduction croissante

en doctrine au cours des vingt dernières années. Et cette doctrine s’est prononcée dans l’ensemble

pour sa licéité (v., favorables à la reconnaissance de la clause de réserve de propriété immobilière

à la veille de la réforme : Saint-Alary Houin C., Réflexions sur le transfert différé de la propriété

66

immobilière, Mél. Raynaud P., Dalloz/Sirey, 1985, p. 733 ; Derrida F., À propos de la clause de

réserve de propriété dans les ventes immobilières à crédit, Defrénois 1989, art. 34590 ; Crocq P.,

La clause de réserve de propriété en matière immobilière, Bulletin du CRIDON, nº spécial, 1992 ;

Delebecque Ph., La propriété en tant que sûreté dans les procédures collectives, RJ com. 1994, p.

385 et s., spéc. n

os

20 et s., l’auteur indiquant de façon décisive : « rien ne s’oppose au jeu d’une

clause de réserve de propriété immobilière au prix, naturellement de certaines conditions. Pour

être opposable aux tiers, la clause doit être publiée à la conservation des hypothèques, ce qui

suppose qu’elle soit contenue dans un acte notarié et que l’inscription ait été prise avant

l’ouverture de la procédure frappant l’acquéreur. La clause suppose en outre que le contrat qui

la contient soit une véritable vente ou une promesse synallagmatique de vente et, plus précisément,

que ce contrat contienne une obligation de donner – de transférer la propriété – au demeurant

susceptible d’exécution forcée » ; Lafond J., La vente d’immeuble avec transfert de propriété

différé, JCP N 1996, p. 921 ; Piedelièvre S., Les garanties du crédit immobilier, LPA 1998, nº 51,


17 ; Dupichot Ph., précité, n

os

930 et s.). Surtout, la Chambre commerciale y a semblé nettement

favorable et ce dernièrement dans un arrêt du 28 septembre 2004 (v. surtout, Cass. com., 28 sept.

2004, nº 03-10.332, Bull. civ. IV, nº 172, Defrénois 2005, art. 38133, obs. Piedelièvre S. : «

l’existence du privilège de vendeur d’immeuble n’exclut pas le droit pour le vendeur d’invoquer

la clause de réserve de propriété stipulée dans l’acte de vente, même si ce privilège a été publié ;

qu’ayant relevé, par motifs adoptés, qu’en inscrivant dans la convention du 13 mars 1995, que le

transfert de propriété devrait faire l’objet d’un nouvel acte et résulterait du paiement intégral du

prix, les parties avaient clairement manifesté leur volonté de retarder le transfert, à la société, de

la propriété de l’immeuble, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision

» ; adde, Cass. com., 9 janv. 1996, nº 93-20.109, précité).

Toutefois, la pratique en général et le notariat en particulier ont témoigné en la matière d’une

grande réserve : la situation d’un acheteur occupant un immeuble dont il n’est ni propriétaire ni

locataire leur a semblé condamner ce mécanisme, aux plans civil et surtout fiscal (v., hostiles à la

clause de réserve de propriété immobilière : note de l’Institut juridique du CSN, Les dangers de la

clause de réserve de propriété en matière immobilière, JCP N 1986, I, p. 9976 ; Daublon G., Les

prêts à l’acquisition immobilière, remarques sur les hypothèques, les privilèges et quelques autres

sûretés, Defrénois 1994, art. 35887 ; Frémeaux E., Les modes actuels d’affectation d’un immeuble

en garantie, Dr. & patr. 2003, nº 113, p. 76). Une telle frilosité ne se justifie plus à présent que la

clause de réserve de propriété immobilière se trouve officiellement consacrée dans le Code civil

(auparavant, cette consécration était cantonnée au seul domaine des vente d’immeubles à

construire par les offices HLM : CCH, art. L. 261-20, al. 3).

2 - Le fonctionnement

La propriété de l’immeuble vendu sera retenue en garantie par l’effet d’une clause qui suspendra

l’effet translatif du contrat de vente immobilière jusqu’au complet paiement de l’obligation de

l’acheteur (C. civ., art. 2367).

Et au lieu que les fonds empruntés soient remis directement à l’acquéreur (le plus souvent dans les

formes de l’article 2374, 2º, du Code civil, afin de faire naître le privilège de prêteur de deniers),

67

le financement se traduira par la mobilisation immédiate auprès du prêteur de la créance de prix

du vendeur réservataire de l’immeuble, et ce, un instant de raison après la vente (le raisonnement

n’est pas si éloigné de celui qui fit admettre la subrogation du prêteur de denier dans le privilège

du vendeur d’immeuble). Cette cession de créance emportera transmission au profit de la banque

cessionnaire de la créance et de ses accessoires (C. civ., art. 1692) dont la clause de réserve de

propriété (C. civ., art. 2367, al. 2). Un paiement du vendeur à crédit moyennant subrogation

personnelle du prêteur de deniers serait également concevable. En cas de défaillance de l’acquéreur

dans le paiement du prix de vente, le banquier serait titulaire d’un droit de propriété exclusif sur

l’immeuble qui le placerait hors concours.

Cette clause devrait-elle être publiée et si oui comment ? L’article 28, 1º, du décret du 4 janvier

1955 ne soumet à publication obligatoire que les actes portant ou constatant une mutation de droits

réels immobiliers. Partant, la vente avec transfert de propriété différé n’entre pas directement dans

les prévisions de ce texte puisqu’elle n’opère pas, par hypothèse, mutation de l’immeuble.

Toutefois, dans la mesure où une telle vente constitue une restriction au droit du vendeur de

disposer, la publication paraît aussi nécessaire qu’opportune sur le fondement de l’article 28, 2º,

du même texte qui envisage ces restrictions (en ce sens, Delebecque Ph., op. cit., n

os

20 et s. ;

Lafond J., op. cit., p. 921 ; la prudence commanderait même que la publicité soit dans la mesure

du possible effectuée par le vendeur au moment de la conclusion de la vente, par le banquier au

moment de la cession de la créance de prix et, bien évidemment, par l’acquéreur au jour du transfert

de propriété).

Quant à l’acquéreur emprunteur, il sera amplement fondé à occuper l’immeuble financé, le cas

échéant en vertu d’une convention d’occupation précaire conclue avec le réservataire. Et, à

l’imitation de certains droits étrangers, le contrat de vente pourrait sans doute constituer un titre

suffisant à justifier la jouissance de l’acquéreur, propriétaire en puissance (en ce sens, Grimaldi

M., op. cit., p. 175 : « le contrat de vente constitue un titre suffisant pour justifier la jouissance de

l’acquéreur, et l’on ne voit pas le besoin de lui en ajouter un autre : c’est en sa qualité de

propriétaire à terme qu’il appréhende le bien, et sa jouissance, comme le transfert qu’elle anticipe,

est donc causée par le prix. Corrélativement, la propriété retenue par le vendeur n’est plus ce

qu’elle était avant qu’il ne vende : elle n’est plus celle de l’article 544 du Code civil (...) »). Plus,

le transfert différé de propriété de l’immeuble au profit de l’acquéreur ne devrait pas faire obstacle

à sa mise en location par ce dernier. Le bail de la chose d’autrui est, en effet, valable entre les

parties dès lors que le preneur conserve la jouissance paisible des lieux loués (Cass. 3

e

civ., 13 févr.

1985, nº 82-14.220, Bull. civ. III, nº 33 ; Cass. 3

e

civ., 7 oct. 1998, nº 96-20.409, Bull. civ. III, nº

187). Un preneur ne peut donc se plaindre de ce que son bailleur n’est pas ou n’est plus le

propriétaire véritable de l’immeuble loué. Simplement, ce bail ne serait pas en principe opposable

au propriétaire de l’immeuble, sauf au locataire à se prévaloir de la théorie de l’apparence.

Si l’acquéreur devait faire l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité, le contrat de vente

serait, semble-t-il, considéré comme un contrat en cours (C. com., art. L. 622-13). L’effet principal

du contrat, à savoir le transfert de la propriété de l’immeuble, ne se sera en effet pas encore opéré

au jour du jugement d’ouverture (Cass. com., 9 avr. 1991, nº 89-18.817, Bull. civ. IV, nº 127 ;

68

Cass. com., 1

er

févr. 2000, nº 97-15.263, Bull. civ. IV, nº 23, D. 2000, AJ, p. 144, obs. Lienhard

A., RTD com. 2000, p. 444, obs. Laude A. : le contrat de vente d’un immeuble dont l’une des

clauses subordonne le transfert de propriété au paiement intégral du prix est un contrat de vente à

terme n’incluant pas un prêt ; ce contrat est en cours lors de l’ouverture de la procédure collective

dès lors qu’une partie du prix reste à payer ; v. cependant en sens contraire, mais en matière

mobilière ; Cass. com., 3 avr. 2001, nº 98-11.169, D. 2001, AJ, p. 1621, obs. Avena-Robardet V.,

RTD civ. 2001, p. 631, obs. Crocq P. ; Cass. com., 5 mai 2004, nº 01-17.201, RD bancaire et fin.

2004, nº 168, obs. Legeais D., décidant qu’un contrat de vente de biens mobiliers dont la propriété

est réservée n’est pas un contrat en cours lors de l’ouverture de la procédure collective). Par

conséquent, les créances résultant du non-paiement du prix avant l’ouverture de la procédure

collective seront des créances antérieures sujettes à déclaration par le prêteur (C. com., art. L. 622-17). Et le créancier réservataire bénéficiera, en cas de non-paiement du prix par l’acquéreur, du

droit de demander la restitution de l’immeuble sur le fondement de l’article 2371 précité. Alors il

recouvrera le droit de revendre l’immeuble dont la valeur sera imputée à titre de paiement sur le

solde, le tout moyennant le paiement éventuel d’une soulte. C’est dire si les règles sur la réserve

de propriété mobilière ont vocation à s’appliquer, en tant que de raison, à la réserve immobilière.

La liberté de choix de la meilleure sûreté réelle, déjà observée en matière mobilière, se retrouve en

matière immobilière. En fonction de leurs objectifs et de leurs contraintes, les contractants pourront

se tourner vers l’hypothèque, l’antichrèse-bail (C. civ., art. 2390 ; Dupichot Ph., L’antichrèse, JCP

G 2006, suppl., nº 20, p. 26) ou encore la réserve de propriété, toutes sûretés immobilières

conventionnelles sans dépossession (C. civ., art. 2390 ; Dupichot Ph., L’antichrèse, JCP G 2006,


cit. : l’antichrèse devient en effet une sûreté sans dépossession matérielle du constituant).

II - LA PROPRIÉTÉ CÉDÉE À TITRE DE GARANTIE EN DROITS POSITIF ET

PROSPECTIF

L’ordonnance du 23 mars 2006 ne traite guère de la fiducie-sûreté qui se trouve au cœur du second

volet de ce panorama (l’article 2379, alinéa 1

er

, de l’avant-projet du groupe Grimaldi suggérait a

minima de préciser que « la propriété d’un bien mobilier peut être cédée en garantie d’une

obligation aux conditions prévues par la loi »). Mais il n’est pas sûr pour autant qu’il faille en

négliger l’examen : d’autres dispositions de l’ordonnance peuvent avoir une incidence indirecte

sur le sort de la fiducie, notamment lorsqu’elle prétend s’épanouir sans texte ; il faut envisager de

surcroît l’éventualité de sa prochaine généralisation en tant que sûreté nommée.

C’est pourquoi il faut successivement s’interroger sur l’avenir des fiducies-sûretés nommées, c’està-dire des fiducies spécialement prévues par le législateur (A), puis sur le devenir des fiduciessûretés innommées qui sont, au contraire, filles de la liberté des contractants (B).

A - Avenir des fiducies-sûretés nommées

On rappellera brièvement quelles sont les principales applications de fiducie-sûreté nommée en

droit positif (1) avant d’envisager l’avenir de la fiducie en droit prospectif (2).

69

1 - Les principales applications de fiducie-sûreté nommée en droit positif

Les principales applications de fiducie-sûreté nommée n’ont pas été concernées par la réforme (v.

par exemple Aynès L. et Crocq P., Sûretés, Publicité foncière, Defrénois, 1

re

éd., 2004, nº 753).

Aussi, celles-ci restent-elles comme par le passé strictement encadrées à la fois rationae personae

et rationae materiae. Leur bénéfice est pratiquement réservé à quelques « privilégiés » qui ont en

commun d’être des professionnels intervenant dans le secteur financier. Surtout, elles conservent

leur siège dans le Code monétaire et financier, "chasse gardée" du ministère de l’Économie et des

Finances.

Sans bouleversement, mais de façon symboliquement forte, la réserve de propriété prend racine

peu à peu dans le droit des sûretés réelles véritables, des propriétés-sûretés et non des seules

propriétés-garanties.

Ainsi au premier chef de la cession de créances professionnelles à titre de garantie ou cession

Dailly qui, aux termes de l’article L. 313-24, alinéa 1

er

, du Code monétaire et financier (L. nº 81-1, 2 janv. 1981, art. 1-1, ancien, modifiée par L. nº 84-46, 24 janv. 1984), transfère au cessionnaire

la propriété de la créance cédée même lorsqu’elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation

d’un prix. Et l’on sait l’ombre que la fiducie a faite ici au nantissement Dailly, quasi moribond.

Mais là encore, la technique implique la réunion de certaines conditions qui en restreignent le

domaine (C. mon. fin., art. L. 313-23 et s. : outre certaines conditions de forme, le crédit garanti

doit être consenti par un établissement de crédit ; il doit avoir pour objet le financement d’une

activité professionnelle ; la créance cédée doit elle-même être professionnelle ; surtout, le

cessionnaire ne peut être que l’établissement de crédit qui a consenti le crédit que l’on cherche à

garantir). Elle n’est pas offerte à tous et, en particulier, ne peut profiter qu’à l’établissement de

crédit cessionnaire.

Ainsi ensuite des fiducies-sûretés successivement prévues par diverses lois dans le domaine des

opérations financières sur titres : prêts de titres (L. nº 87-416, 17 juin 1987 ; C. mon. fin., art. L.

432-6 et s.) ; opérations de pensions livrées (L. nº 93-1444, 31 déc. 1993 ; C. mon. fin., art. L. 432-12 et s.) ; remises en propriété de valeurs, titres, effets ou sommes d’argent garantissant des

créances afférentes à des opérations sur instruments financiers ou de bourse (L. nº 96-597, 2 juill.

1996 ; C. mon. fin., art. L. 431-7 et 442-6 et s.) ; garantie des systèmes de paiement interbancaires

(L. nº 98-546, 2 juill. 1998 ; C. mon. fin., art. L. 330-2).

Ainsi enfin des contrats fiduciaires de garantie financière régis par l’article L. 431-7-3 inséré dans

le Code monétaire et financier par suite de la transposition de la directive nº 2002/47/CE du 6 juin

2002 (ou directive collateral) effectuée par l’ordonnance nº 2005-171 du 24 février 2005 (Robine

D., La réforme du droit spécial des garanties financières par l’ordonnance nº 2005-171 du 24

février 2005, Bull. Joly 2005, p. 521). Ces contrats de garantie financière consistent notamment en

des « remises en pleine propriété, opposables aux tiers sans formalités, de valeurs, instruments

financiers, effets, créances, contrats ou sommes d’argent », et ce, en garantie d’obligations

financières présentes ou futures ; surtout, ils sont totalement imperméables aux conséquences

éventuelles d’une procédure collective et sont réalisables facilement qu’il pleuve ou qu’il vente.

La finance a ses raisons que la raison des procédures collectives se doit, semble-t-il, d’ignorer pour

70

les besoins de la compétitivité de la Place de Paris (Robine D., La sécurité des marchés financiers

face aux procédures collectives, t. 400, LGDJ, 2003).

2 - La fiducie en droit prospectif

Ce qui est ainsi permis aujourd’hui à quelques-uns intervenant dans le secteur financier le sera-t-il

demain à tous à la faveur d’une extension législative ?

Véritable serpent de mer, la fiducie revient en effet pour la énième fois sur le devant de la scène

juridique. En 1989 avait été élaboré un avant-projet de loi consacrant la fiducie dans toutes ses

utilités (sûreté, gestion et transmission) et dont les dispositions étaient d’une grande qualité

technique (pour le texte de cet avant-projet, Defrénois 1990, art. 35094 ; Grimaldi M., La fiducie

: réflexions sur l’institution et sur l’avant-projet de loi qui la consacre, Defrénois 1991, art. 35085

et art. 35094). Puis un projet de loi instituant la fiducie fut déposé sur le Bureau de l’Assemblée

nationale le 20 février 1992, mais l’adoption en fut empêchée par des craintes de nature fiscale. Le

8 février 2005, le sénateur Philippe Marini remettait l’ouvrage sur le métier en déposant une

proposition de loi nº 178 instituant la fiducie, également tombée en léthargie (v. notamment

proposition d’article 2062 par Marini : « La fiducie résulte d’un contrat par lequel un constituant

transfère des droits de toute nature à une personne physique ou morale dénommée fiduciaire, à

charge pour elle de les administrer ou d’en disposer au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires

conformément aux stipulations du contrat à des fins de gestion, de garantie ou de transmission à

titre onéreux, exclusivement ou cumulativement. Le transfert s’opère dans un patrimoine

d’affectation, appelé patrimoine fiduciaire, distinct du patrimoine personnel du fiduciaire et de

tout autre patrimoine fiduciaire, le fiduciaire devenant titulaire ou propriétaire fiduciaire des

droits transférés » ; pour une présentation, RD bancaire et fin. 2005, nº 75, note Gauvin A. et Eliet

G.).

Qu’en est-il à ce jour ? La Chancellerie a élaboré en mars 2006 un avant-projet de loi instituant la

fiducie dans un Titre XVI bis du Code civil (et inséré dans C. civ., art. 2062 à 2076, soit après les

dispositions relatives à la transaction) qui fait suite, semble-t-il, au travail de la Commission ad

hoc. Et comme la détermination de la Chancellerie semble sincère, une consécration plus vaste

d’une fiducie-sûreté nommée dans un avenir proche semble envisageable.

Mais, là encore, l’avant-projet n’élargirait en l’état le contrat de fiducie qu’à certains « privilégiés

». Ainsi les constituants ne pourraient être que des personnes morales relevant de l’impôt sur les

sociétés de plein droit (C. civ., art. 2065, de l’avant-projet de loi instituant la fiducie : « Seules

peuvent être constituants, les personnes morales soumises de plein droit à l’impôt sur les sociétés

»), à l’exception donc des sociétés transparentes fiscalement, des autres personnes morales et de

toute personne physique (curieuse incapacité de jouissance s’agissant d’un contrat porté au Code

civil !). Et les fiduciaires devraient avoir la qualité d’organismes financiers, banques et compagnies

d’assurance pour l’essentiel (art. 2066 de l’avant-projet de loi instituant la fiducie : « Seuls peuvent

avoir la qualité de fiduciaire les organismes financiers visés aux 1º, 2º, 3º et 5º de l’article L. 562-1 du Code monétaire et financier à l’exception des courtiers d’assurance et de réassurance, des

personnes habilitées à procéder au démarchage et des conseillers en investissement financiers »).

71

On est donc loin d’une consécration véritablement générale puisque, par exemple, ni les notaires,

ni les avocats ne sauraient être en l’état fiduciaires.

Ce contrat de fiducie se définirait comme suit : celui « par lequel un ou plusieurs constituants

transfèrent, pour une durée qui ne peut excéder 99 ans, des biens et des droits à un fiduciaire qui,

les tenant séparés de son patrimoine propre, agit dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs

bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat »(art. 2062 de l’avant-projet de loi

instituant la fiducie).

Il ne saurait être question ici de commenter en détail ce texte auquel aucune publicité officielle n’a

d’ailleurs été donnée. On se contentera d’en énumérer, dans un inventaire à la Prévert, les

dispositions d’ordre civil les plus saillantes. Au premier chef, la nullité des fiducies consenties

dans une intention libérale au profit du bénéficiaire, de sorte que (c’était déjà le cas dans la

proposition Marini) (art. 2062, al. 2) ce contrat ne saurait être un outil de transmission successorale

; l’exigence d’un contrat solennel, à la fois détaillé et enregistré (art. 2064) ; plus, la précision que,

si constituant et fiduciaire peuvent être bénéficiaires, le fiduciaire ne saurait toutefois être le

bénéficiaire exclusif du contrat de fiducie (art. 2067) ; le principe que le fiduciaire serait tenu à une

reddition de comptes au moins annuelle (art. 2069) ; celui que le contrat de fiducie serait,

antérieurement à l’acceptation du bénéficiaire, révocable dans les conditions du droit commun (art.

2070) ; l’affirmation que le fiduciaire disposerait dans ses rapports avec les tiers des pouvoirs les

plus étendus sur les biens et droits transmis (art. 2071) ; surtout, le fiduciaire serait titulaire d’un

patrimoine d’affectation justiciable d’un enregistrement comptable spécifique, logiquement

insaisissable par les créanciers du constituant, sauf fraude du constituant ou exercice d’un droit de

suite devenu opposable antérieurement (art. 2072 et Titre III de l’avant-projet) ; seuls les créanciers

au titre de la conservation ou de la gestion des biens transférés au fiduciaire pourraient saisir ce

patrimoine d’affectation et, pour éviter le risque que l’on ne transfère des biens et des droits à une

coquille vide, il serait prévu que le patrimoine propre du fiduciaire constituera – en cas

d’insuffisance du patrimoine d’affectation – le gage commun des créanciers au titre de la

conservation ou de la gestion des biens (art. 2072) ; le contrat de fiducie prendrait fin par la

survenance de son terme ou la réalisation anticipée du but poursuivi, voire par décision judiciaire

en cas de renonciation de tous les bénéficiaires ou de disparition juridique du fiduciaire (C. civ.,

art. 2074) ; enfin, en l’absence de bénéficiaire, les biens et droits transférés feraient retour au

constituant (C. civ., art. 2076).

Cet avant-projet présente l’insigne mérite d’exister : il reste à espérer qu’il n’achoppera pas comme

les précédents sur des craintes d’évasion fiscale... Mais dans l’attente d’une improbable

généralisation de la fiducie à tout un chacun que ne saurait permettre l’avant-projet de loi précité,

la question du devenir des fiducies-sûretés innommées reste fondamentale.

B - Devenir des fiducies-sûretés innommées

Licéité de la fiducie-sûreté en l’absence de texte (1) et sort des fiducies-sûretés innommées sur

sommes d’argent et sur créances civiles (2) doivent être examinés au lendemain de la réforme.

1 - La licéité

Ce serait certainement un contresens que d’interpréter comme un désaveu du législateur l’absence

de reconnaissance expresse de la fiducie-sûreté dans l’ordonnance relative aux sûretés. Comme

l’indique justement M. Crocq, « c’est pour une raison tout à fait contingente que la fiducie-sûreté

n’a pas trouvé sa place dans l’actuelle réforme » : on se souvient que le législateur a simplement

entendu renvoyer l’examen de cette question à une commission ad hoc et nullement condamné

l’institution (en ce sens, de façon générale, Crocq P., La réserve de propriété, JCP G 2006, op. cit.).

Aussi, ne saurait-on arguer d’une énumération limitative des sûretés réelles aux articles 2329

(sûretés mobilières) ou 2373 (sûretés immobilières ; C. civ., art. 2373, al. 1

er

et 2 : « Les sûretés

sur les immeubles sont les privilèges, l’antichrèse et les hypothèques. La propriété de l’immeuble

peut également être retenue en garantie »). Certes, la lettre peut sembler en ce sens puisque l’article

2329 précité dispose par exemple que « Les sûretés sur les meubles sont : 1º Les privilèges

mobiliers ; 2º Le gage de meubles corporels ; 3º Le nantissement de meubles incorporels ; 4º La

propriété retenue à titre de garantie », sans envisager la fiducie-sûreté sur meubles corporels ou

incorporels. Mais l’esprit et le contexte sont tout autre, de sorte que comme par le passé, il semble

donc qu’« il n’existe pas de numerus clausus des contrats translatifs de propriété », selon la

formule de M. Witz (Witz C., La fiducie-sûreté en droit français, in L’évolution du droit des

sûretés, RJ com. 1982, spéc. nº, p. 67 et s., spéc. p. 84 ; Witz C., La fiducie en droit privé français,

Economica, 1981 ; Witz C., La fiducie-sûreté en droit français, in L’évolution du droit des sûretés,

RJ com. 1982, spéc. nº, p. 67 et s. ; Witz C., Les transferts fiduciaires à titre de garantie, in Les

opérations fiduciaires, Colloque Luxembourg, 20-21 sept. 1984, FEDUCI/LGDJ, 1985, p. 55 ; cet

auteur milite pour une fiducie généralisée sur meubles incorporels et même corporels, car ce n’est

ni une fraude au gage ni un transfert de propriété qui serait simulé ; adde, Crocq P., Propriété et

garantie, t. 248, préf. Gobert M., LGDJ, 1995, « La possibilité de l’aliénation fiduciaire à titre de

garantie », reprenant en partie l’explication de M. Witz tenant à « l’absence de numerus clausus

des contrats translatifs de propriété »).

Par ailleurs, l’ordonnance n’est d’aucun secours pour apprécier les obstacles classiques tenant, l’un, à l’absence de cause prétendue du transfert par le constituant de la propriété au profit du créancier fiduciaire (il est permis de continuer de penser que la transmission de la propriété du bien par le constituant au fiduciaire trouve sa contrepartie, sa cause, dans l’octroi par ce créancier fiduciaire du crédit subordonné à la constitution d’une sûreté) et, l’autre, à l’appauvrissement préjudiciable à ses autres créanciers du constituant de la fiducie (mais sauf fraude, un créancier chirographaire doit respecter les actes conclus par son débiteur qui lui sont opposables : le débiteur qui transfère en garantie la propriété de l’un de ses biens à son créancier ne devrait donc pas encourir de critique de ce chef si, à la date du contrat de fiducie, il a agi sans fraude et était solvable).

Mais là où la réforme déploie semble-t-il le plus son influence, c’est probablement en tant qu’elle a mis fin de façon solennelle à ce qui restait de la prohibition du pacte commissoire (C. civ., art. 2348, 2365 et 2459).

Car fiducie et pacte commissoire entretiennent une intense affinité au point que le second est sans doute un résidu historique de la première. Dans les deux cas en effet, le créancier a le droit d’exclure les autres créanciers de la valeur du bien grevé, la principale différence consistant dans le moment du transfert de propriété. Ab initio dans la fiducie et in fine dans celui du pacte commissoire. Et dans les deux cas se retrouve une même crainte que le créancier ne s’approprie un bien d’une valeur excédant le solde de sa créance. C’est pourquoi la disparition de la prohibition du pacte commissoire pourrait s’accompagner d’une reconnaissance plus grande des fiducies innommées. Et celles-ci ne pouvant non plus être source de profit, l’évaluation des biens et droits transférés au fiduciaire pourrait être le cas échéant requise en cas de réalisation. Plus généralement, il deviendra difficile à la Cour de cassation de justifier de nouvelles requalifications de fiducies sur meubles corporels constituées à l’étranger en gages avec pacte commissoire prohibé (Cass. req., 24 mai 1933, S. 1933, 1, p. 257, note Batiffol H. ; Cass. 1 civ., 8 juill. 1969, JDI 1970, p. 916, note Derruppé J., Rev. crit. DIP 1971, p. 75, note Fouchard

Ph. ; dans ces aliénations fiduciaires de meubles corporels constituées sous l’empire du droit allemand (Sicherunsubereignung), le transfert de propriété avait pourtant lieu ab initio et non lors de la mise en œuvre du pacte commissoire de sorte que la requalification, éminemment critiquable, méconnaissait directement la volonté des parties ; pas plus y avait-il simulation au sens de l’article 1321 du Code civil). Ce pourrait donc être la voie d’une consécration plus vaste des fiducies de meubles corporels.

L’avant-projet sur la fiducie présente l’insigne mérite d’exister : il reste à espérer qu’il n’achoppera pas comme les précédents sur des craintes d’évasion fiscale...

2 - Le sort des fiducies sur créances et sur sommes d’argent

Il reste à envisager le devenir de deux cas emblématiques de fiducies-sûretés innommées que sont, d’une part, les fiducies de sommes d’argent et, d’autre part, celles de créances civiles.

Car, sous réserve d’une réflexion plus approfondie, il semble qu’elles n’encourent pas le même sort au lendemain de l’ordonnance, les premières basculant semble-t-il dans le nommé, les secondes restant dans l’innommé.

Il est certain que l’argent restera un terrain d’élection des fiducies-sûretés et c’est opportun (sur cette distinction du gage véritable et de la fiducie de somme d’argent, v. les développements éclairants de Cabrillac M., Les sûretés conventionnelles sur l’argent, Mél. Derruppé J., Litec/GLNJoly, 1991, p. 333 ; Crocq P., Propriété et garantie, t. 248, préf. Gobert M., LGDJ, 1995, nº 306 ; adde, dossier spécial, RD bancaire et fin. 2006, p. 42). La Chambre commerciale avait ainsi consacré l’efficacité des transferts en pleine propriété de sommes d’argent à titre de garantie dans un arrêt du 3 juin 1997 (Cass. com., 3 juin 1997, nº 95-13.365, RTD com. 1997, p. 663, obs. Cabrillac M., RTD com. 1997, p. 686, obs. Martin-Serf A., D. 1998, jur., p. 61, note François J., RD bancaire et bourse 1998, nº 65 : la décision est cependant critiquable en ce qu’elle retient l’existence d’une compensation conventionnelle que n’implique nullement le dénouement naturel de la fiducie-sureté ; v. déjà Cass. com., 17 mai 1994, nº 91-20.083, Bull. civ. IV, nº 178, D. 1995, jur., p. 124, note Larroumet Ch.). Mais il n’est pas impossible que cette fiducie innommée ait été « rattrapée » par les dispositions relatives au gage de choses fongibles. Il se pourrait ainsi qu’un gage-espèces avec transfert de propriété ab initio implique, dorénavant, la rédaction d’un contrat solennel de gage de choses fongibles, dispensant le créancier de tenir l’argent du constituant séparé du sien conformément à l’article 2341 du Code civil (C. civ., art. 2341, al. 1 er et 2 : « Lorsque le gage avec dépossession a pour objet des choses fongibles, le créancier doit les tenir séparées des choses de même nature qui lui appartiennent. À défaut, le constituant peut se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l’article 2344. Si la convention dispense le créancier de cette obligation, il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes »).

Au contraire, l’ordonnance n’est pas de nature à remettre en cause la « discrète consécration de la cession de créances futures à titre de garantie » opérée, suivant l’expression de Laurent Aynès, par un arrêt remarqué de la première chambre civile en date du 20 mars 2001 (Cass. 1 reciv., 20 mars 2001, nº 99-14.982, Bull. civ. I, nº 76, D. 2001, jur., p. 3110, note Aynès L. ; v. déjà, Cass. civ., 21 mars 1910, DP 1912, 1, p. 445 ; Cass. com., 18 oct. 1983, nº 82-10.022, Bull. civ. IV, nº267 ; comp. Cass. com., 3 mai 2006, nos 04-17.283 et 04-17.396, D. 2006, AJ, p. 1364, obs. AvenaRobardet V. : rendu à propos d’une cession conditionnelle de loyers échus ou à échoir (civile ou Dailly ?), cet arrêt affirme de façon remarquable qu’« il résulte de l’article 2037 du Code civil que la caution est déchargée, lorsque la subrogation dans un droit exclusif ou préférentiel conférant un avantage particulier au créancier pour le recouvrement de sa créance, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution »).

Et pour les raisons précitées, la licéité de ces cessions innommées sortira sans doute renforcée de la disparition de la prohibition du pacte commissoire en matière de nantissements de créances.

Au terme de cette tentative de synthèse, on retiendra les enseignements suivants de la réforme récente du droit des sûretés : d’une part, la propriété retenue à titre de garantie apparaît de plus en plus comme une véritable sûreté réelle nommée et, partant, susceptible de concurrencer les sûretés traditionnelles en matière mobilière, mais aussi immobilière ; d’autre part, quoique apparemment absente de la réforme, la fiducie-sûreté pourrait, en tant que sûreté innommée, renaître des cendres du pacte commissoire, et ce, dans l’attente d’une consécration plus large de la fiducie.

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