LE JUGE COMMUNAUTAIRE, LA BEAC ET LES ACCORDS DE SIEGE

Publié le 24/04/2015 Vu 4 721 fois 0
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En droit national comme en droit communautaire, les règles spéciales dérogent aux règles générales. Ce principe cardinal, qui trouve ses plus belles applications en droit procédural, ne doit en aucun cas être ignoré, l'irrecevabilité n'étant jamais loin...

En droit national comme en droit communautaire, les règles spéciales dérogent aux règles générales. Ce p

LE JUGE COMMUNAUTAIRE, LA BEAC ET LES ACCORDS DE SIEGE

~~2. ARRÊT N°006/2011-12 du 08/03/2012 TOÏNAR MOGOTA ANATOLE C/ BEAC (Paiement des dommages-intérêts)


 MOTS-CLES
 BEAC – CONCOURS – CANDIDAT ADMIS A CONCOURIR – REJET DE LA CANDIDATURE D’AMISSION A CONCOURIR – ACCORD DE SIEGE BEAC/TCHAD – PROCEDURE DE RESOLUTION DE CONFLIT – DEMANDE D’INDEMNISATION - REGLEMENT AMIABLE – ECHEC – ORGANISATION DE LA PROCEDURE ARBITRALE (NON) – SENTENCE ARBITRALE (NON) - SAISINE DU JUGE COMMUNAUTAIRE – RECEVABILITE (NON).  

SOMMAIRE


Les grands auteurs de procédure civile VINCENT ET GUINCHARD attribuent au Philosophe allemand HABERMAS la pensée suivante : « Tout est procédure et le XXIème siècle sera procédural … ou ne sera pas » (J. VINCENT, S. GUINCHARD, Procédure civile. Droit privé. Précis Ed. Dalloz. 2003, p. 2). Au regard de la tendance jurisprudentielle de la fonction publique communautaire, cette vision prophétique semble en voie de réalisation. En effet, peu de fautes de procédure commises par les fonctionnaires internationaux au cours de leur procédure peuvent compter sur l’indulgence de la Cour On aurait pu penser que l’ajustement procédural entre les textes spéciaux et les textes généraux, loin d’être aisé, justifie cette indulgence ; loin s’en faut. La décision rendue suite à la saisine du Sieur TOÏNAR MOGOTA Anatole réitère l’exigence, sous peine d’irrecevabilité, de respecter les textes prescrivant les procédures spéciales, admises à déroger aux règles de procédure de la CJ-CEMAC.
Enseignant-chercheur au Tchad, M. TOÏNAR MOGOTA Anatole a été autorisé à concourir dans le cadre d’un recrutement ouvert par la BEAC, un avis daté du 26 septembre 2001 lui a été notifié dans ce sens. Moins de deux mois après, il a reçu un second avis, cette fois de rejet de sa candidature, daté du 02 novembre 2001. Un tel revirement, manifestement préjudiciable, est de toute évidence problématique, aussi décide-t-il de déclencher la procédure prévue à l’article 16 de l’Accord de siège signé entre la BEAC et le Gouvernement du Tchad du 15 février 2002, qui prescrit les modalités de résolution des litiges entre cet Organe communautaire et le Tchad ou l’un de ses ressortissants.
Ce texte impose en premier la saisine du Ministre des affaires étrangères du Tchad pour un règlement amiable, en cas d’échec, l’organisation d’un Tribunal arbitral ad hoc et enfin, le cas échéant, la saisine de la Cour de Justice de la CEMAC. Une telle procédure peut justifier la mise à l’écart du délai de 2 mois prévu par l’article 12 des Statuts de la Chambre Judiciaire. Conformément à ce texte, M. TOÏNAR a saisi le Ministre des affaires étrangères du Tchad, lequel a organisé une rencontre en vue d’un règlement amiable du litige, sans qu’un accord soit trouvé. Logiquement, il aurait donc dû, avec ses conseils, œuvrer à l’organisation du tribunal arbitral, ce qui d’ailleurs a été initié, au regard de l’une des pièces versées au dossier, mentionnant une demande du requérant datée du 16 octobre 2003 adressée au Ministre des Affaires Etrangères aux fins d’organiser un arbitrage.
Seulement, M. TOÏNAR a décidé de se départir de la procédure prévue à l’article 16 de l’accord de siège, pour saisir immédiatement le juge de la CEMAC d’une requête en paiement des dommages et intérêts, ignorant, pour des raisons que l’arrêt ne restitue pas, l’étape de l’organisation du tribunal arbitral. Sur le plan purement juridique, de telles raisons peuvent exister ; une des hypothèses idéales serait de prouver que l’on est confronté à une impossibilité manifeste d’organiser le tribunal arbitral. En effet, comme dans tous les accords de siège que la BEAC conclut avec les Etats membres de la CEMAC, l’accord de siège avec le Tchad contient une règle d’immunité de juridiction qui protège la BEAC contre les poursuites judiciaires devant les instances nationales ou assimilées, comme les instances arbitrales. De telles procédures ne sont possibles que si cet Organe communautaire a renoncé à son immunité, comme le prévoit l’article 8 de l’accord du 15 février 2002. Pour justifier dès lors la saisine directe du juge communautaire, il aurait fallu, dans la procédure enclenchée par le Sieur M. TOÏNAR, que la BEAC ait marqué son refus de renoncer à son immunité de juridiction, refus qui aurait rendu impossible la tenue du tribunal arbitral. Rien dans l’arrêt ne permet d’attester que cette perspective a été engagée.
Par conséquent, la liberté prise avec les règles spéciales de procédure sera fatale pour les droits du requérant, le juge, se conformera rigoureusement à l’article 16, qui prévoit expressément que « la Cour de Justice sera compétente en appel formé contre la sentence arbitrale prononcée par le Tribunal arbitral ». Il tirera toutes les leçons de ce texte, dont il découle que la CJ-CEMAC ne peut être valablement saisi, dans un tel contexte, que pour attaquer cette sentence arbitrale, fournie au dossier. En l’espèce, cette sentence est inexistante, d’où la décision d’irrecevabilité finalement prononcée.


TEXTES DE REFERENCE Accord de siège du 15 février 2002 entre la BEAC et le Tchad  (article 16);  Statut de la Chambre Judiciaire de la CJ-CEMAC (article 48) - Règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC (articles 12 et 13).
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La Chambre Judiciaire de la Cour Justice de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), siégeant en audience publique à N’Djaména (République du Tchad) le huit mars deux mille douze (…) A rendu l’arrêt suivant ENTRE M. TOÏNAR MOGOTA Anatole, Enseignant Chercheur à l’Université de N’Djaména, ayant pour avocat, Maître Pierre MIANLENGAR, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 6472 - N’Djaména ; CONTRE La Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), ayant pour avocat Maître Thomas DINGAMGOTO, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 1003 - N’Djaména;
 La Cour Vu le Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale du 16 Mars 1994 ; 
 Vu l’Additif au Traité de la CEMAC relatif au système institutionnel et juridique de la Communauté ; Vu la Convention du 5 juillet 1996 régissant la Cour de Justice de la CEMAC;
Vu les Actes Additionnels n°10/06/CEMAC/CJ/CCE du 13/07/2006, n°11/06/CEMAC/CJ/CEE du 07/08/2006 et n°14/07-CEMAC-008-CJ-CCE-08 du 25/04/2007 portant nomination des membres de la Cour de Justice de la CEMAC ;
Vu l’Acte Additionnel n°004/CEMAC/041-CCE-CJ-02 du 14 décembre 2000 de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement portant Règlement de procédures devant la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC ;
Vu l’Acte Additionnel n0006/CEMAC/041 - CCE - CJ - 02 du 14 décembre 2000 de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement portant statut de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC ;
 Vu l’accord de siège entre la Banque des Etats de l’Afrique Centrale et le Gouvernement de la République du Tchad du 15 février 2002 en ses articles 16 et 17 relatifs au règlement des différends et des difficultés d’interprétation ou d’application dudit accord de siège ;
Vu la requête en paiement des dommages et intérêts formulée par le sieur TOÏNAR MOGOTA Anatole, enregistrée au greffe de la Cour le 24 février 2005; Vu les mémoires ampliatif et en défense des parties ;
 Vu les pièces produites par les parties demanderesse et défenderesse ; Oui Monsieur Antoine MARADAS, Juge Rapporteur, en son rapport ;
Oui les avocats des parties en leur plaidoirie ; Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire ;
Faits et procédure Le sieur TOÏNAR MOGOTA Anatole, Enseignant Chercheur à l’Université de N’Djaména a, dans sa requête datée du 24 février 2005 enregistrée au greffe de la Cour le même jour sous le n° 002, demandé la condamnation de la BEAC à lui verser, à titre de dommages-intérêts la somme de trente millions (30.000.000) francs CFA. A l’appui de cette requête TOÏNAR a versé entre autres les pièces suivantes: 1)  un avis d’admission au concours de recrutement à lui adressé par la BEAC en date du 26 septembre 2001, 2)  un avis de rejet de la candidature de TOÏNAR MOGOTA Anatole en date du 02 novembre 2001, 3)  une lettre de TOÏNAR MOGOTA Anatole du 5 Mai 2005 saisissant le Ministre des Affaires Etrangères du différend conformément à l’article 16 de l’Accord de siège signé le 15 février 2002 entre la BEAC et le Gouvernement de la République du Tchad, 4)  une demande en date du 16 octobre 2003 adressée au Ministre des Affaires Etrangères aux fins d’organiser un arbitrage comme prévu à l’Accord de siège conclu entre le Tchad et la BEAC ;
Attendu qu’il résulte de l’examen des pièces versées au dossier par les deux parties que, sur la demande du requérant TOÏNAR MOGOTA Anatole, la procédure prescrite dans le cas d’espèce par l’Accord de siège signé entre la BEAC et le Gouvernement du Tchad a été effectivement déclenchée ;
Attendu en effet que le 15 juillet 2003 une rencontre décidée par le Ministre des Affaires Etrangères a eu lieu ;
 qu’elle a regroupé outre le Directeur des Affaires juridiques, représentant le Ministre, le requérant TOÏNAR MOGOTA Anatole et le représentant de la BEAC ; que cette tentative de règlement amiable s’est soldée par un échec, car les prétentions financières de TOÏNAR MOGOTA Anatole chiffrées à 30.000.000 F puis ramenées à 15.000.000 F ont été rejetées par la BEAC ;
Attendu que le différend opposant TOÏNAR MOGOTA Anatole à la BEAC n’ayant pas abouti à un règlement à l’amiable comme prescrit à l’article 16 de l’Accord de siège, le requérant a saisi la Cour de Justice de la CEMAC conformément à l’article 48 b2 du statut de la Chambre Judiciaire et de l’article 13  des règles de procédure de ladite Chambre ;
Attendu qu’à l’audience du 16 février 2012 les avocats des parties ont contradictoirement fait leur plaidoirie et qu’avant de lever la séance, le conseil du requérant a manifesté son intention de produire une note en délibéré pour avant l’audience du 08 mars 2012 ;
Attendu qu’à la date du 29 février 2012, la note en délibéré de Maître Pierre MIANLENGAR a été enregistrée au greffe sous le n°085 et qu’une copie de ladite note a été adressée au conseil de la BEAC ;
Attendu que cette note en délibéré est le résumé des conclusions écrites et la plaidoirie du conseil de TOÏNAR MOGOTA Anatole ;
Attendu que le conseil de la BEAC Maître Thomas DINGAMGOTO a répliqué à la note en délibéré à la date du 6 mars 2012 avec copie à son confrère ;
Discussion. Sur la compétence de la Cour
Attendu que les faits dont est saisie la Cour de Justice de la CEMAC opposent la BEAC, Institution de la CEMAC, au sieur TOÏNAR MOGOTA Anatole, personne physique, ressortissant de la République du Tchad, Etat membre de la CEMAC ;
Attendu que les articles 48 b2 du statut de la Chambre Judiciaire et 13 des règles de procédure devant la Chambre Judiciaire aux termes desquels est saisie la Cour disposent respectivement : Article 48 b2 : La Chambre connaît notamment en dernier ressort des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les organes et institutions de la Communauté ou par les agents de celle-ci dans l’exercice de leurs fonctions. Article 13 : La Chambre est saisie, soit par requête d’un Etat membre, du Secrétaire Exécutif, d’une institution, d’un organe de la CEMAC et de toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt certain et légitime ....
Attendu qu’en vertu des textes précités, la Cour est compétente pour connaître des faits à lui soumis par le sieur TOÏNAR MOGOTA Anatole ;
 Sur la recevabilité
 Attendu que si la Cour est compétente comme indiqué à l’article 13 de ses statuts, elle doit cependant être saisie dans le délai prescrit aux articles 11 et 12 des mêmes statuts, c’est-à-dire dans un délai de deux mois ; Or dans le cas d’espèce, les faits datent de 2001 et la Cour a été saisie en 2005 après échec de la tentative de conciliation et le défaut d’organisation de l’arbitrage comme prévu dans l’Accord de siège ;
Attendu en effet que l’article 12 des statuts de la Chambre Judiciaire prescrit que le délai de recours contre les actes est de deux mois, sauf s’il en est décidé autrement par des textes communautaires spéciaux ;
Attendu que l’Accord de siège intervenu entre la République du Tchad et la BEAC organe de la CEMAC, le 15 février 2002 après la mise en place de la Cour de Justice communautaire est sans contestation l’un des textes spéciaux mentionnés à l’article 12 des statuts ;
Attendu qu’en vertu de ces textes, la Cour de Justice communautaire devient la juridiction d’appel du Tribunal arbitral mentionné dans l’Accord de siège ;
 Attendu que l’article 16 de l’Accord de siège prévoit que :
« Le Ministre en charge des Affaires Etrangères aura à connaître, avant tout règlement d’ordre juridictionnel, de tous litiges mettant en cause la Banque en République du Tchad ou opposant la Banque aux ressortissants de cet Etat et notamment ... les différends résultant des contrats ou autres différends de droit privé, dans lesquels la Banque serait partie ... En cas de persistance du litige, après la décision du Ministre en charge des Affaires Etrangères rendue à la suite de la saisine visée ci-dessus, la Banque ne pourra être attraite devant les juridictions. Elle pourra toutefois, si elle a renoncé à son immunité de juridiction dans les conditions prévues à l’article 8 du présent Accord de siège et si le litige n’est pas réglé par voie de négociation ou par tout autre moyen agréé par les parties, être attraite à l’initiative de l’autre partie au litige devant un tribunal arbitral, composé de trois arbitres dont l’un désigné par la Banque, l’autre par l’autre partie au litige et le troisième qui présidera sera désigné par le gouvernement. Le Tribunal ainsi composé établit lui-même ses règles de procédure et statue sur le fond conformément à la loi applicable déterminée suivant les règles de conflit en vigueur dans l’Etat considéré. La Cour de Justice sera compétente en appel formé contre la sentence arbitrale prononcée par le Tribunal arbitral. »
Attendu qu’il résulte de cette disposition que, pour saisir valablement la Cour, le requérant doit être muni d’une sentence arbitrale ;
que tel n’a pas été le cas du sieur TOÏNAR MOGOTA Anatole, qu’en conséquence, il y a lieu de déclarer irrecevable son recours et mettre les dépens à sa charge ;
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de droit communautaire, en dernier ressort,
Se déclare compétente,
Déclare le recours de TOÏNAR MOGOTA Anatole irrecevable pour non  production de sentence arbitrale,
Condamne le requérant aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique à N’Djamena, le huit mars  deux mille douze.
Ont signé le Président, les Juges et le Greffier.
 

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