Les faits de l’espèce ayant abouti à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 avril 2019 sont relativement classiques. Le conducteur d’une motocyclette qui circulait sur une route située sur le Territoire de Belfort a souhaité dépasser un tracteur qui procédait au fauchage sur le bas-côté. Durant ce dépassement, le cyclomotoriste a perdu le contrôle de son engin et a fait une chute ayant entrainé plusieurs lésions et traumatismes.
Par la suite, le conducteur blessé a assigné le département du Territoire de Belfort ainsi que son assureur, en réparation de ses préjudices. La cour d’appel qui a eu à se prononcer sur la question, a choisi de retenir la responsabilité du département et l’a condamné, ainsi que son assureur, à payer solidairement 50 000 euros de provision en vue de l’indemnisation des préjudices subis par la victime, en attendant qu’une expertise médicale ne fixe le montant définitif des dommages et intérêts.
Le département et son assureur ont donc saisi la Cour de cassation, qui a confirmé l’arrêt d’appel. Pour justifier sa solution, la Cour de cassation fait observer que le tracteur, qui était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétait sur la voie de circulation empruntée par le conducteur de la motocyclette. Pour la Cour, cette circonstance, qui a donc incité le cyclomotoriste à opérer une manœuvre de dépassement et provoqué sa chute, caractérise l’implication du tracteur dans l’accident de la circulation et justifie l’engagement de la responsabilité du département, en tant que propriétaire de l’engin.
Un critère déterminant, aux contours flous
Cet arrêt, apparaît très sévère pour le département et plus généralement pour tous les conducteurs de véhicules empruntant ou empiétant sur des voies de circulation. Il n’est pourtant pas isolé, puisque la notion d’implication, qui permet le rattachement d’un véhicule terrestre à moteur (VTAM) à un accident de la circulation s’étant produit à proximité, a toujours été très largement perçue par la jurisprudence.
L’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation[1] rend la loi applicable à toutes les victimes d’accidents de la circulation « dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques ». Or, depuis un arrêt du 20 janvier 1993[2], la Cour de cassation retient que l’implication d’un VTAM dans un accident de la circulation ne s’entend pas nécessairement d’un contact entre celui-ci et le siège du dommage. Un véhicule effectuant une marche arrière et provoquant un mouvement de recul suivi de la chute d’un piéton passant à proximité est donc bien impliqué dans un accident de la circulation.
La Cour de cassation a pourtant cherché à poser des limites au critère de l’implication, en faisant une notion subtile.
La possibilité d’une implication sans contact
Ainsi a-t-elle précisé que « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication »[3]. Encore faut-il que le véhicule ait joué un rôle causal dans la survenance du dommage[4], étant entendu que la question n’est pas uniquement de savoir si le véhicule était ou non en mouvement au moment de la survenance du dommage. Ainsi, la Cour de cassation a pu exclure l’implication d’un véhicule qui, roulant sur une voie de circulation, avait été croisé dans un virage par un cyclomoteur qui, après avoir raté sa courbe, avait heurté un poteau situé sur le bas-côté de la route[5]. Pour la juridiction suprême, aucun indice matériel ne corroborait la thèse du cyclomotoriste, selon laquelle le véhicule croisé était impliqué dans l’accident de la circulation, dès lors que celui-ci roulait à allure normale, dans sa voie de circulation.
L’implication d’un véhicule tiers dans un accident de la circulation survenant à proximité nécessite donc la caractérisation d’un rôle actif du véhicule dans la survenance du dommage, étant entendu que ce rôle actif ne résultera pas nécessairement d’un défaut de fonctionnement du véhicule, ou même d’une faute de son conducteur. Dans l’espèce ayant abouti à l’arrêt du 18 avril 2019, c’est vraisemblablement la circonstance, relevée par la Cour de cassation, que le tracteur dépassé empiétait sur la voie de circulation, qui permet de caractériser son implication dans l’accident. Sans sa présence, l’accident ne serait sans doute pas survenu, et c’est là le plus important pour les magistrats.
Quoique sévère pour les propriétaires des véhicules impliqués, rappelons tout de même que cette solution protège efficacement les victimes d’accidents de la circulation, dont les préjudices peuvent rapidement être importants. L’impact pour les premiers doit par ailleurs être relativisé, dès lors que tous sont soumis à une obligation d’assurance, et que c’est leur assurance qui prendra en charge les réparations en cas de dommages causés à autrui.
Karim Jakouloff
Docteur en droit
Sources :
[1] Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation
[2] Civ. 2è, 20 janvier 1993, n° 91-15.707, Bull. civ. II, n° 19.
[3] Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-16.714, inédit.
[4] Civ. 2 e, 18 novembre 1987, n° 86-14.701, Bull. civ. II, n° 126.
[5] Civ. 2e, 18 mars 1999, n° 97-14.306, Bull. civ. II, n° 51.
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