Le nouveau visage de la violence économique

Publié le Modifié le 10/01/2020 Vu 22 535 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

La violence économique constitue l’une des nouveautés introduites dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats. Consacrant la jurisprudence, elle répond à un besoin de la part des contractants.

La violence économique constitue l’une des nouveautés introduites dans le Code civil par l’ordonnance du

Le nouveau visage de la violence économique

La violence économique, une création jurisprudentielle

L’article 1140 du Code civil dispose qu’il y a violence « lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ». De là, la jurisprudence considère depuis un arrêt du 20 mai 2000 que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion »[1].

La contrainte économique a dès lors été dotée d’une définition jurisprudentielle claire, à l’occasion d’un arrêt du 3 avril 2002[2], selon lequel « l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal considérable menaçant directement les intérêts de la personne, peut vicier de violence le consentement à l’acte juridique ».

Depuis la réforme du droit des contrats, l’article 1143, qui s’inspire directement de la jurisprudence antérieure qu’elle élargit, dispose qu’« il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

 

Les caractères de la violence économique

En vertu de l’article 1143 du Code civil, caractériser un vice de violence économique nécessite donc la réunion de trois conditions impératives : il est nécessaire de caractériser un état de dépendance économique, dont le cocontractant abuse, en vue de tirer un avantage manifestement excessif.

La dépendance économique s’inspire directement du droit de la concurrence. L’article 420-2 du Code de commerce dispose en effet en son alinéa 2 qu’est « prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ». Pour la jurisprudence, la dépendance économique sera donc caractérisée dès lors qu’un contractant ne disposera d’aucune alternative économique pour se procurer le bien ou le service dont il a la nécessité[3]. Le refus d’un contractant de recourir à une alternative économique existante ne permettra donc pas de caractériser ce critère[4].

Le second critère de la violence économique, l’abus de dépendance économique, est quant à lui défini par l’article 1143 du Code civil. Il s’agit, selon cet article, d’obtenir du cocontractant « un engagement [que l’on] n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte ». L’on touche ici à la notion même de vice du consentement, telle que définie à l’article 1130 du Code civil, par laquelle un contractant se trouve contraint de s’engager sur une voie contractuelle contre son gré, ou contracte à des conditions substantiellement différentes de celles dans lesquelles il aurait contracté sans ce vice.

Pour finir, caractériser la violence économique nécessitera de démontrer l’obtention d’un avantage manifestement excessif résultant de l’abus de l’état de dépendance économique. La notion semble se rapprocher de celle de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, que nous connaissons déjà dans le cadre des clauses abusives en droit de la consommation et qui a récemment fait son entrée dans le code civil, à l’article 1171. En la matière, il est question d’un avantage que le contractant en position de force n’aurait pas pu obtenir sans recourir à la clause abusive. Cet avantage doit être disproportionné par rapport aux conditions habituelles de conclusion d’un contrat du même genre. L’article 1171 alinéa 2 du Code civil précise que cet avantage ne peut porter sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

L’on peut dès lors penser que l’avantage manifestement excessif sera considéré comme créant un tel déséquilibre significatif. Toutefois, contrairement à la restriction apportée par l’article 1171 à cette dernière notion, rien ne laisse entendre que l’avantage manifestement excessif ne pourrait porter sur l’objet principal du contrat ou l’adéquation du prix à la prestation. La notion d’avantage manifestement excessif pourrait donc être assimilée à celle de déséquilibre significatif, tout en la dépassant. La jurisprudence devrait prochainement nous en dire plus sur ce point.

 

Karim Jakouloff
Docteur en droit

 



Sources :

[1] Civ. 1ère, 20 mai 2000, n° 98-15.242, Bull. civ. I, n° 169.

[2] Civ. 1ère, 3 avril 2002, n° 00-12.932, Bull. civ. I, n° 180.

[3] Com., 9 octobre 2007, n° 06-16.744, Bull. civ. IV, n° 23.

[4] Com., 6 juin 2001, n° 99-20.831, Bull. civ. IV, n° 112.

 

Vous avez apprécié cet article et souhaitez en apprendre davantage ? Découvrez-en d'autres :

 

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.