Qui a droit de bénéficier une liberté provisoire en droit processuel congolais ?

Publié le 17/04/2020 Vu 14 454 fois 0
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Le code de procédure pénale congolais ne catégorise pas les infractions dont les auteurs ne peuvent pas bénéficier de la liberté provisoire.

Le code de procédure pénale congolais ne catégorise pas les infractions dont les auteurs ne peuvent pas bé

Qui a droit de bénéficier une liberté provisoire en droit processuel congolais ?

Qui a droit de bénéficier une liberté provisoire en droit processuel congolais ?

Par :

Me Edmond MBOKOLO ELIMA

Avocat au Barreau de l’Equateur

Assistant à la Faculté de Droit de l’Université de Mbandaka

Province de l’Equateur/RDC

 

En date du mercredi 15 avril 2020, le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Matete statuant en appel, a rendu son ordonnance confirmant celle du Tribunal de Paix ordonnant le maintien en détention préventive de Monsieur Kamerhé, Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat, poursuivi par le Ministère Public du chef de l’infraction de détournement des deniers publics.

Avant et après le prononcé de ladite ordonnance, les ténors se sont levés de gauche à droit, juriste ou profanes relativement où certains soutiennent maladroitement que, vu l’affaire de Monsieur Kamerhé et l’infraction qui lui est reprochée, il ne peut pas bénéficier de la liberté provisoire.

Face à ce tumulte juridique, qui du reste divise les opinions, par les présents propos, nous voulons répondre à la question de savoir : quelle catégorie de prévenu doit-il bénéficier la liberté provisoire ? Est-vrai que le législateur congolais condition la mise en liberté provisoire par la nature des faits (affaire) reprochés à la personne détenue préventivement ?

Pour répondre à ces interrogations d’ordre procédural, nous nous proposons de définir d’abord la liberté de provisoire (I),  ensuite aborder la nécessité de la liberté provisoire pour l’inculpé et/ou prévenu (II), qui sera poursuivi d’une analyse des conditions légales pouvant amener l’inculpé à être mis en liberté ou non (II), nous allons aussi nous atteler sur la catégorie de l’inculpé ou affaire éligible à la mise en liberté provisoire (III),  nous préciserons s’il existe des infractions auxquelles la loi n’admet pas la liberté provisoire (IV), et enfin, nous allons s’appesantir sur la responsabilité du Gouvernement face à une personne mise en liberté provisoire (V).

I. Liberté provisoire, quid ?

Selon le Professeur Bienvenu Wane Bameme, la liberté provisoire est une mesure qui se prend en faveur de l’individu qui était préalablement placé en état de détention, et qui, après l’avoir demandé, pour des raisons biens évidentes, va recouvrer sa liberté, mais à titre provisoire.

Il s’agit d’une remise en liberté d'un individu placé en détention, à la suite d'un mandat d’arrêt provisoire ou de la détention préventive du Procureur ou d'une juridiction de jugement.

Notez que, la liberté provisoire s'opposait ainsi à la détention préventive, c'est-à-dire à l'incarcération d'un individu mis en examen pour une infraction avant le prononcé du jugement.

Il sied de préciser ici que, la liberté provisoire ne doit pas être confondue avec la libération conditionnelle, qui est une faveur révocable qui peut être accordée à un condamné présentant des gages sérieux de réadaptation sociale.

La liberté provisoire est accordée à un prévenu (une personne traduit devant le juge) ou à un inculpé (une mise en détention provisoire au Parquet), tandis que la libération conditionnelle s’accorde à une personne condamnée à une peine prévue par la loi. Contrairement à la liberté provisoire qui est accordée par le juge ou le procureur, la libération conditionnelle quant à elle, est accordée par le Ministre ayant la justice et garde des sceaux dans ses attributions pour les civils et le Ministre de la défense nationale pour les militaires et assimilés.

II. Quelle est la nécessité de la mise en liberté provisoire pour le prévenu ou l’inculpé et qui doit la demander?

D’entrée de jeux, il est loisible de préciser qu’en droit pénal, un prévenu est une personne traduit devant le juge (phase décisoire), tandis qu’un inculpé est la personne qui dont son instruction se fait au parquet (phase préjuridictionelle).

Ainsi, la réponse à cette question est trouvée à l’article 17 al. 1 de la constitution de la RDC qui dispose que « la liberté individuelle est garantie. Elle est la règle, détention l’exception ». Cette disposition constitutionnelle est renforcée par l’article 28 du décret du 06 août 1959 portant code de procédure pénale qui prévoit que « La   détention   préventive  est   une mesure exceptionnelle ».

La lecture de l’article 172 de l’Arrêté d’organisation judiciaire n° 299/79 du 20 août 1979 portant règlement intérieur des Cours, tribunaux et parquets précise que « Le magistrat-instructeur doit particulièrement veiller à ce que la détention préventive ne soit pas la règle, mais l’exception ».

Pour ainsi dire que, le législateur congolais veut que la liberté des personnes soit un principe à être appliqué à tout moment et devant n’importe quelle circonstance ou affaire.

Priver une personne de la liberté, ne peut être qu’exceptionnellement admis pour des causes justes et légales que nous examinerons un peu plus loin. Raison pour laquelle, l’article 17 de la constitution à son alinéa 9 énonce le principe de la présomption d’annonce où une personne ne peut juridiquement être privée de sa liberté qu’après avoir été reconnue coupable par un jugement définitif (coulé en force des choses jugées).

Bref, les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme protègent le droit à la liberté de la personne, en ce que nul ne peut être arbitrairement privé de sa liberté.

La liberté provisoire peut être sollicitée  par la personne incarcérée. Selon Avocats sans frontière (in Vadémécum de l’avocat en matière de détention préventive, avril  2016, pp. 32-33) appuyé par la jurisprudence abondante et récente, pour justifier cette demande, il peut, notamment, s’appuyer sur le fait que le prévenu ne s’est pas soustrait à la justice, qu’il a un emploi stable, une adresse connue, une famille à charge ou des problèmes sérieux de santé.

L’ASF poursuit que, il peut également invoquer des conditions de détention qui violent les droits des détenus. En particulier, il convient d’exiger la mise en liberté immédiate lorsque les conditions de détentions équivalent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens susmentionné. Les juges ont déjà accordé le bénéfice de la liberté provisoire dans les hypothèses suivantes :

·        Précarité de la santé du prévenu qui nécessitait au vu du certificat médical produit un suivi dans un centre médical approprié (CSJ, RP 2433, janvier 2003 ; CSJ, RP 2953, 20 août 2007, inédit ; CSJ, RP 3112,27juin 2008, CSJ RPA 363) ;

·        Une charge familiale importante (CSJ, RP 2277, 30 novembre 2001 ; RP 3085, 18 avril 2008 ; RP 2837, 26 mai 2008)

·        L’âge avancé et un état de santé précaire (CSJ, RP 3112, 27 juin 2008), lorsqu’en plus le domicile était connu (CSJ RP 2089, 12 avril 2001) ;

·        Un défaut de crainte de la fuite des prévenus dont l’adresse est connue (CSJ, RP 3230, 6 février 2009, inédit) ;

·        Jeune âge du prévenu, désintéressement de la victime et moindre risque de fuite, ledit prévenu ayant un emploi permanent (CSJ, RP 3015, 05 octobre 2002, inédit) ;

·        Manque d’antécédents judiciaires, adresse résidentielle connue (CSJ, RP 3144, 02 septembre 2008, inédit) et qualité d’étudiant préparant en plus ses examens de fin d’études (CSJ, RP 2970, 27 août 2007, inédit) ;

·        Responsabilités coutumières et familiales du prévenu : chef de groupement et père de famille nombreuse ce qui excluait tout risque de fuite (CSJ, RP 9013) ;

·        Exercice d’une profession stable (CSJ, RP 764, 25/11/1982, inédit).

 

III. Quelles sont les conditions de la mise en liberté provisoire ou de son refus

Aux termes de l’article 32 al.1 du décret précité, «tout en autorisant la mise en détention préventive ou en la prorogeant, le juge peut, si linculpé le demande, ordonner quil sera néanmoins mis en liberprovisoire, à la condition de déposer entre les mains du greffier, à titre de cautionnement, une somme dargent destinée à garantir la représentation de linculpé à tous les actes de la produre et lexécution par lui des peines privatives de la liberté aussitôt qu’il en sera requis ».

En effet, la première condition consiste pour l’inculpé de solliciter (formuler une demande qui peut être écrite ou verbale), ensuite verser une somme d’argent à titre de garantie (sûreté).

Par ailleurs, la loi veut que la liberprovisoire soit accordée à charge pour linculpé de ne pas entraver linstruction et de ne pas occasionner de scandale par sa conduite (art. 32 al.2). Dans sa souveraineté, l’autorité judiciaire qui accorde la liberté provisoire peut, conformément à l’article 32 al. 3 du décret sous examen, imposé  à linculpé :

1. D’habiter la localité où lofficier du minisre public a son siège ;

2. De  ne  pas  s’écarter au-delà d’un  certain rayon de  la  locali  sans  autorisation du magistrat instructeur ou de son délégué.

3. De ne pas se rendre dans tels endroits déterminés, tels que gare, port, etc. ou de ne pas sy trouver à des moments déterminés.

4. De se présenter périodiquement devant le magistrat instructeur ou devant tel fonctionnaire ou agent déterminé par lui ;

5. De comparaître devant le magistrat instructeur ou devant le juge dès quil en sera requis.

Il sied de souligner ici que, sur requête du minisre public, le juge peut à tout moment modifier ces charges et les adapter à des circonstances nouvelles ; il peut également retirer le bénéfice de la liberprovisoire si  des  circonstances nouvelles  et graves rendent cette mesure nécessaire.

Le Ministère public ou le juge statuant en chambre du conseil au premier ou au degré d’appel peut débouter la demande de mise en liberté provisoire s’il existe des indices sérieux de culpabilité, c’est-à-dire indices suffisantes corroborant les faits mis à sa charge et le seuil minimum de la peine encourue qui est de 6 mois de servitude pénale.

 

Aussi, la liberté provisoire peut être refusée, lorsque le fait paraît constituer une infraction que la loi punit d’une peine inférieure à six mois de servitude pénale, mais supérieure à sept jours, s’il y a lieu de craindre la fuite de l’inculpé, ou si son identité est inconnue ou douteuse ou si eu égard   à   des  circonstances    graves  et exceptionnelles, la détention préventive est impérieusement réclamée par  l’intérêt de  la sécurité publique.

IV.  Existe-il légalement une catégorie d’inculpés ne pouvant pas bénéficier de la liberté provisoire ?

Nous nous inscrivons en faux contre ceux qui soutiennent haut et fort que, l’octroi de la liberté provisoire dépend du type d’affaire ou de la qualité de la personne poursuivie.

Aucune loi de la RDC dit que, pour qu’une personne bénéficie de la liberté provisoire, il doit être de telle ou telle autre catégorie …Ou comme dans le dossier Kamerhé où beaucoup soutiennent qu’il n’a pas droit à la liberté provisoire étant donné que son affaire serait sensible….NON, la loi congolaise ne dit pas ça. La mise en liberté provisoire est une garantie accordée à tous.

Donc, toute personne peut bénéficier de la liberté provisoire.

V. Est-elle une infraction à laquelle loi n’admet pas la mise en liberté provisoire de l’inculpé ou prévenu ?

Toute personne poursuivie quel que soit l’infraction ou le taux de la peine, peut bénéficier de la liberté provisoire…Celui qui commis l’assassinat, le meurtre, le détournement des deniers publics, le viol, la trahison, etc….peut, si le juge ou le Procureur l’estime nécessaire en tenant compte des conditions sus-énumérées, bénéficier de la liberté provisoire.

En droit pénal comparé, on se souviendra que, l’ancien Président Tchadien Hissène Habré (Président du Tchad de 1982–1990), condamné à une peine à perpétuité, a bénéficié d’une liberté conditionnelle pendant cette période du COVID-19, à fortiori, Mr Kamerhé qui est poursuivi du chef de l’infraction de détournement des derniers publics punissable d’une peine à terme (travaux forcés) ?

VI. A qui incombe la charge de surveiller les personnes mises en liberté provisoire par le juge ou le parquet ?

Une ordonnance accordant à l’inculpé la liberté provisoire est une décision judiciaire (celle-ci peut être un jugement ou une ordonnance). En effet, conformément à l’article 66 al. 1 et 2 de la loi n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire « le   Ministère  public  surveille  l'exécution  des  actes législatifs, des actes réglementaires et des décisions de justice. Il  poursuit  d'office  cette  exécution  dans  les dispositions qui intéressent l'ordre public ».

Pour ainsi dire que, lorsqu’une personne bénéficie de la liberté provisoire, c’est au Gouvernement (pouvoir exécutif) par le biais du représentant du peuple, le parquet, de veiller à ce que les impositions contenues dans l’ordonnance accordant ladite liberté soient scrupuleusement observée.

Les autorités ont la surveillance des frontières (Aéroport, Beach, Barrières…). Ce qui signifie que, lorsqu’une personne en liberté prend la fuite, c’est le Gouvernement qui a échoué.

Concluons en disant que, le code de procédure pénale congolais ne catégorise pas les infractions dont les auteurs ne peuvent pas bénéficier de la liberté provisoire…Mieux encore, la qualité de la personne mise en cause.

Accordé la liberté provisoire à un inculpé ou prévenu, c’est une faculté appartenant au Procureur ou Juge conformément aux conditions prévues par la loi.

 

Mbandaka, le 17 avril 2020 à 17h20’.

 

Me Edmond MBOKOLO ELIMA

Avocat au Barreau de l’Equateur

Assistant à la Faculté de Droit de l’Université de Mbandaka

Province de l’Equateur/RDC

E-mail : edmondjean@gmail.com

WhatsApp : +243822522855

 

 

 

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A propos de l'auteur
Blog de MBOKOLO ELIMA Edmond

MBOKOLO ELIMA Edmond, nommé Magistrat au grade de Substitut du Procureur de la République par l'Ordonnance présidentielle n°23/071 du 06 juin 2023.

Ancien Avocat au Barreau de l'Equateur (Cabinet Bâtonnier Philippe BOSEMBE IS'ENKANGA et Cabinet KALALA & USENI Kinshasa/Gombe), Enseignant à la Faculté de Droit de l'Université de Mbandaka et Chercheur en droit à l'Université de Kinshasa.

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