La notion d’abstentions coupables en droit congolais

Publié le Modifié le 24/03/2023 Vu 2 797 fois 0
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Le Professeur MANASI NKUSU KALEBA soutient que l’abstention traduit généralement une attitude délibérée de refus d’effectuer un acte que l’on a le devoir d’accomplir.

Le Professeur MANASI NKUSU KALEBA soutient que l’abstention traduit généralement une attitude délibérée

La notion d’abstentions coupables en droit congolais

La notion d’abstentions coupables en droit congolais.

 

1. Définition d’abstentions coupables des fonctionnaires 

Etymologiquement, l'abstention vient du latin abstinere qui signifie s’empêcher de faire quelque chose, tenir éloigner. Dans un langage péjoratif, l'abstention est le fait de s'abstenir, c'est-à-dire de se garder de, de ne pas agir, de ne pas exercer un droit.

Plusieurs pénalistes ont défini cette incrimination, et sans pour autant s’abreuver dans une controverse spéculative et, pour besoin pédagogique, nous avons jugé bon d’épouser la définition de Bony CIZUNGU NYANGEZI, (dans son ouvrage intitulé catalogue des infractions)  il soutient que l’abstention coupable d’un fonctionnaire est le fait pour un fonctionnaire ou toute personne chargée de service public de retarder ou de retenir sans motif valable des fonds ou deniers publics dont il a la gestion et qui sont destinés au payement des rémunérations, des créances, des traitements ou salaires. Elle vise aussi le fonctionnaire qui s’abstient volontairement de faire dans le délai lui imparti par la loi ou par les règlements un acte de sa fonction ou de son emploi, qui lui a été régulièrement demandé. Est également concerné le retard manifestement exagéré dans l’accomplissement de l’acte de sa fonction ou de son emploi lorsqu’un délai n’est pas expressément fixé.

Pour le Professeur MANASI NKUSU KALEBA (dans son cours de droit pénal spécial), l’abstention traduit généralement une attitude délibérée de refus d’effectuer un acte que l’on a le devoir d’accomplir.

L’abstention coupable est une infraction de pure omission, une infraction passive soutient le Professeur Alphonse Bienvenu WANE BAMEME.

2. Qui peut être coupable de cette infraction ?

Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou parastatal, toute personne représentant les intérêts de l’Etat ou d’une Société étatique au sein d’une société privée, parastatale ou d’économie mixte, peut être coupable de cette infraction (ex. dans le cadre de l’Ordonnance-Loi n°23/006 modifiant et complétant la loi n°18/035 du 18 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l’organisation de la santé publique, tout propriétaire d’un établissement de santé ou pharmaceutique accrédité pour la couverture de santé universelle, qui n’accomplit sa mission contenu dans la convention, est coupable de l’abstention coupable, il en est de même du propriétaire d’une société privée qui exécute les travaux du projet 145 territoires, etc...).

3. Quels en sont les éléments constitutifs ?

Le législateur congolais distingue deux types d’abstentions coupables prévues respectivement par les articles 150f et 150g du code pénal congolais tel que modifié et complété à ce jour. Il s’agit d’abord du retard de paiement (a) et les abstentions coupables proprement dites (b).

a) L’absentions coupables dues au retard de paiement

Aux termes de l’article 150f du décret du 30 janvier 1940 tel que modifié et complété à ce jour, il est dit que « sans préjudice de l'application d'autres dispositions visant des infractions plus sévèrement punies, tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public ou parastatal, toute personne représentant les intérêts de l'Etat ou d'une société étatique au sein d'une société privée, parastatale ou d'économie mixte qui, sans motif valable, retardera ou retiendra le règlement de fonds ou deniers publics dont il a la gestion et qui sont destinés au paiement de rémunérations, traitements, salaires et créances dus par l'Etat ou par une société étatique, paraétatique, d'économie mixte ou privée où l'Etat a des intérêts… ».

Pour qu’une personne soit poursuivie de cette infraction et conformément à l’article 150f sus-évoqué, la loi exige une condition préalable, celle liée à la qualité du sujet de l’infraction qui doit être fonctionnaire ou toute personne chargée d’un service public ou paraétatique.

La qualité étant prouvée, les éléments matériels suivants doivent être réunis :

- Le retard ou la retenue du règlement de fonds ou deniers publics ;

- Des fonds ou deniers publics devant relever de la gestion du fonctionnaire ;

- Des fonds ou deniers publics devant être destinés au paiement des rémunérations, traitements, salaires et créances dus par l’Etat.

 

b) Les abstentions coupables proprement dites

L’article 150g du décret sous examen prévoit que « sans préjudice de l'application d'autres dispositions visant des infractions plus sévèrement punies, tout fonctionnaire public, officier public, toute personne chargée d’un service public qui s'abstiendra volontairement de faire, dans les délais impartis par la loi ou par les règlements, un acte de sa fonction ou de son emploi qui lui a été demandé régulièrement….  Il en est de même lorsqu'il s'abstient volontairement de faire un acte de sa fonction ou de son emploi pour lequel aucun délai n'a été préétabli et qui lui a été demandé régulièrement, si ce retard est manifestement exagéré ».

Comme les abstentions coupables dues au retard de paiement, la présente infraction de l’article 150g requièrent d’abord une condition préalable, celle lié à la qualité de l’agent qui doit être nécessairement un fonctionnaire de l’Etat ou une personne chargée pour accomplir une mission lui confiée par l’Etat. Elle se diffère de l’infraction de non-assistance de personne en danger car, celle-ci peut être commise par tout le monde (fonctionnaire ou non). Pour qu’un fonctionnaire soit reconnu coupable du chef de cette infraction, la loi exige les éléments matériels suivants :

- L’abstention (omission, refus) doit être volontaire (provenant du fonctionnaire) ;

- L’objet de l’abstention doit être l’acte de la fonction régulièrement demandé ;

- La durée de l’abstention doit dépasser les délais légaux ou être manifestement exagérée.

 

A titre illustratif, le juge doit rendre le jugement dans le délai légal, dépasser ce dernier, il commet non seulement une faute disciplinaire conformément à la loi sur le statut des magistrats mais, commet l’infraction d’abstentions coupables pour n’avoir pas rendu la décision dans le temps prévu par la loi.

4. Quelle peine encourt-on ?

La victime d’abstentions coupables des fonctionnaires, l’employeur du fonctionnaire peuvent saisir un Officier de Police Judiciaire ou un Officier du Ministère Public. Seul, le Ministère Public a qualité pour poursuivre. La poursuite peut être faite sur citation directe de la victime, de l’employeur du fonctionnaire ou sur requête du Ministère public (citation à prévenu). Les auteurs d’abstention coupables encourent les sanctions pénales suivant la typologie de l’infraction, à savoir :

- L’auteur du retard de paiement encourt la peine est de deux mois de servitude pénale principale et une amende de dix mille à cent mille francs congolais constants ou d’une de ces peines (Article 150 f).

- Tandis que, celui qui se rend coupable d’abstentions coupables proprement dites, sa peine est de six mois de servitude pénale principale et une amende de dix mille à cent mille francs congolais constant ou une de ces peines (Article 150 g).

 

5. Pourquoi cette infraction est méconnue ?

 

La méconnaissance de la prévention d’abstention coupable est à double facettes, d’abord vis-à-vis de la population et par rapport aux fonctionnaires.

 

S’agissant de la population, elle-même ignore que le service public comme service d’intérêt général (sens matériel) est géré par les organes (sens organique) pilotés par les fonctionnaires et agents de l’Etat ayant reçus missions d’être au service de la population afin de permettre à l’Etat d’accomplir ses obligations gouvernementales. Ces fonctionnaires et agents publics de l’Etat qui du reste, sont pris en charge par l’Etat dans les différents secteurs de la vie, sont censés rendre service à la population conformément aux lois et règlements de la République.

Du coté fonctionnaires de l’Etat, la pratique congolaise imprime une conception alarmante des services publics de l’Etat, où les fonctionnaires et agents qui y sont censés rendre service à la population se considèrent « tout-puissants » en bafouant et/ou ignorant la mission principale de leur présence dans l’Administration Publique, celle de servir la population.

Ce comportement coupable des fonctionnaires et agents de l’Etat cause d’énormes préjudices à la paisible population. Ce constat macabre et sombre est fait dans plusieurs services publics de l’Etat : justice (magistrats, opj, ipj…), éducation, télécommunication, communication, défense (FARDC), sécurité (PNC…), etc…où certains fonctionnaires comme nous l’avons dit plus haut, se considérant comme des petits « ROIS », ne rendent pas service à population comme il faut et dans les délais et conditions imparties par le législateur. A côté des sanctions administratives, le législateur prévoit également des sanctions pénales.

6. Peut-on citer quelques exemples d’abstention coupables comme celle reproché au Greffier en chef de la Cour de cassation arrêté ?

 

Les cas ou exemples sont légion, on peut citer :

-      Le fait pour un enseignant mécanisé et régulièrement payé par l’état de ne pas prester,

-      Le fait pour le juge de ne pas rendre la décision dans le délai prévu par la loi (10 jours au pénal, 30 jours au civil) ;

-      Le fait pour un greffier audiencier de siéger à l’audience ;

-      Le fait pour un secrétaire de refuser de réception un courrier ;

-      Le fait pour un médecin ou infirmier dans un hôpital de l’Etat de refuser de recevoir ou soigner un patient ;

-      Le fait pour un OPJ de refuser d’accomplir les missions lui dévolues par la loi ;

-      Agent fisc,

-      Eléments des fardc...

 

Kinshasa, le 23 mars 2023

 

Me Edmond MBOKOLO ELIMA

Avocat au Barreau de l’Equateur

Enseignant à l’Université de Mbandaka

Chercheur à l’Université de Kinshasa

 

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A propos de l'auteur
Blog de MBOKOLO ELIMA Edmond

MBOKOLO ELIMA Edmond, nommé Magistrat au grade de Substitut du Procureur de la République par l'Ordonnance présidentielle n°23/071 du 06 juin 2023.

Ancien Avocat au Barreau de l'Equateur (Cabinet Bâtonnier Philippe BOSEMBE IS'ENKANGA et Cabinet KALALA & USENI Kinshasa/Gombe), Enseignant à la Faculté de Droit de l'Université de Mbandaka et Chercheur en droit à l'Université de Kinshasa.

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