Infraction de torture au regard des conditions d’interpellation de l’Ancien Gouverneur du Kongo Central Atou Matubuana Nkuluki

Publié le 15/01/2022 Vu 1 439 fois 0
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Le traitement subi par l’Ancien Gouverneur du Kongo Centrale Atou Matubuana est qualificatif de l’infraction de torture.

Le traitement subi par l’Ancien Gouverneur du Kongo Centrale Atou Matubuana est qualificatif de l’infracti

Infraction de torture au regard des conditions d’interpellation de l’Ancien Gouverneur du Kongo Central Atou Matubuana Nkuluki

Conditions d’interpellation de l’Ancien Gouverneur du Kongo Central Atou Matubuana Nkuluki: quelle qualification à retenir au regard du traitement imposé par les Agents du Parquet ?

 

I. Prolégomènes

Le samedi 18 décembre 2021, l’Ancien Gouverneur du Kongo Central, Monsieur Atou Matubuana Nkuluki a été interpellé par les Agents du Parquet près la Cour de cassation sur base d’un mandat d’amener émis il y a quatre mois par l’autorité judiciaire de cet office.

La genèse de l’affaire remonte aux révélations gravissimes faites par l’Inspection Générale des Finances au sujet des malversations financières, qui lui avait permises de traduire Atou Matubuana Nkuluki devant la justice pour répondre de ses actes de détournement des deniers publics  de  l’ordre de 3.058.313 USD.

En exécution dudit mandat d’amener, les Agents de police judiciaire du Parquet Général près la Cour de cassation se sont saisis de l’incriminé en lui infligeant un traitement cruel, inhumain, dégradant et humiliant en violation non seulement des textes juridiques nationaux mais aussi internationaux relatifs à la protection des droits humains.

Ce comportement des fonctionnaires publics nous laisse perplexe au regard du caractère sacré de la vie humaine prôné par le constituant de 2006, ce qui justifie la présente réflexion qui se base essentiellement sur la qualification du traitement subi qui imprime un état de torture et y épingler à cet effet, des sanctions y relatives.

Avant  de se baigner dans le vif du sujet, il est impérieux de signaler en passant que, contrairement à ce qui se dise à la cité, Atou Matubuana n’a pas été arrêté, comme le souligne Me Marval BASILA du Barreau de l’Equateur étant donné que, le Procureur Général près la Cour de cassation n’avait émis aucun acte de détention (mandat d’arrêt provisoire), pour la simple raison qu’en droit de la procédure pénale, le mandat d’amener n’est pas une pièce de détention, mais simplement un ordre donné aux agents de l’ordre d’appréhender quelqu’un et l’acheminer illico devant le magistrat qui l’a émis.

En profusion, nous affirmons sans ambages qu’en droit, l’arrestation intervient que lorsque le magistrat instructeur (du parquet), après avoir interrogé une personne, constate qu’il y a des indices sérieux de culpabilité, et décide de la mettre sous mandat d’arrêt provisoire (MAP) pour une durée de cinq jours. Ce qui ne répond pas à l’actualité judiciaire de l’Ancien Gouverneur Atou Matubuana, car le concerné n’a pas été mis sous mandat d’arrêt provisoire.

Que dire alors du traitement subi par ce compatriote ?

II. Qualification du traitement subi par Atou Matubuana

Sans errer ci et là, il faut tout droit préciser que, le traitement subi par l’Ancien Gouverneur Atou Matubuana est qualificatif de la torture, férocement châtié en droit pénal de la République Démocratique du Congo.

A. La torture, quid ?

Selon l’article 222 point 6 du décret du 30 janvier 1940 complété et modifié par la loi n°15/022 du 31 décembre 2015, la torture est entendue comme le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle.

Il s’agit là, des atteintes à la vie et à l'intégrité corporelle, les traitements cruels, les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants, cruels et dégradants.

En clair, selon l’article 48 bis inséré par la n°11/008 du 09 juillet 2011 portant criminalisation de la torture à la section 1ère du titre Ièr, Livre II du Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal, il s’agit «  le fait pour un fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou toute personne agissant sur ordre ou son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite d’infliger à une personne une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, aux fins d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination » (lire aussi l’article 1èr point 1 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant du 10 décembre 1984).

Pour l’Amnesty International, on parle de torture lorsqu’une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions officielles inflige des souffrances psychologiques ou physiques dans un but précis.

La notion de torture s’explique sans nul doute, selon l’Association pour la prévention de la torture de la Suisse, en combinant les trois composantes cumulatives, à savoir :

- le fait d’infliger intentionnellement des souffrances aiguës, physiques ou mentales ;

- par un agent de la fonction publique, qui est directement ou indirectement impliqué ;

- dans un but précis.

B. Que disent les textes de lois sur la torture ?

Sur le plan international, la République Démocratique du Congo a adhéré depuis le 18 mars 1996 à la Convention des Nations-Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains et dégradants.

Sur le plan interne, l’article 16 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 en est le soubassement. Il prévoit que « la personne humaine est sacrée et l’Etat a l’obligation de la respecter et la protéger ». Cette disposition constitutionnelle interdit formellement la torture et tout traitement cruel, inhumain et dégradant.

Par ailleurs, l’article 61 point 2 de la même Constitution ne tolère aucune exception à ce principe relativement à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumaines ou dégradants.

Aussi, la torture avec toutes ses composantes sont au regard du droit humanitaire international, l’un des éléments constitutifs des crimes internationaux, en l’occurrence du crime contre l’humanité conformément à l’article 222 point 6 et crime de guerre suivant l’article 223 point 1 b et point 3 a du décret du 30 janvier 1940 tel que modifié et complété par la loi nº 15/022 du 31 décembre 2015.

Dans le contexte de notre analyse, elle est réprimée en droit pénal congolais par la loi n°11/008 du 09 juillet 2011 portant criminalisation de la torture, à la section 1ère du titre Ièr, Livre II du Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal, spécialement en ses articles 48 bis, 48 ter et 48 quater (code pénal).

III. Les sanctions pénales prévues contre la torture

A. Auteurs de la torture ou traitement cruels, inhumains et dégradants

La loi cite comme auteurs tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou toute personne agissant sur son ordre ou son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite.

Dans le cas sous revue, les agents du Parquet près la Cour de cassation sont bel et bien fonctionnaires ayant agi nettement en exécution du mandat d’amener émis par le Procureur Général dudit Parquet.

 

B. Les sanctions pénales

L’article 48 bis du code pénal prévoit une peine de cinq à dix ans de servitude pénale principale et d’une amende de cinquante mille à cents mille francs congolais contre tout personne reconnue coupable des actes intentionnels infligés à une personne en lui faisant subir une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales.

Dans  cet même ordre d’idées, l’article 48 ter alinéa 1èr puni le coupable de cette perfidie d’une peine de dix à vingt ans de servitude pénale principale et d’une amende de cent mille à deux cents mille francs congolais lorsque ce traitement prévu à l’article 48 bis sus-analysé auront causé à la victime un traumatisme grave, une maladie, une incapacité permanente de travail, une défience physique ou psychologique, ou lorsque la victime est une femme enceinte, un mineur d’âge ou une personne de troisième âge ou vivant avec handicap.

En outre, une peine de servitude pénale à perpétuité est infligée au coupable lorsque les mêmes faits auront causé la mort de la victime conformément à l’article 48 ter alinéa 2ème.

IV. Les poursuites liées à l’infraction de torture peuvent-elles être prescrites ?

Les actes de traitements cruels, inhumains et dégradants sont infâmes et odieux car, ils touchent au caractère sacré de la vie humaine et entrave l’intégrité physique de la personne. C’est dans cette optique que, le législateur congolais du 09 juillet 2011 a voulu volontiers, déroger aux différentes prescriptions des infractions prévues à l’article 24 du code pénal (décret du 30 janvier 1940 tel que modifié et complété à ce jour) qui examine la prescription d’une année pour les infractions dont le taux de la peine n’excède pas une année, de trois ans pour les infractions dont le taux de la peine est de moins de cinq ans et de dix pour les infractions dont le taux de la peine dépasse cinq ans, la peine de mort et peine à perpétuité.

Pour la torture plus spécialement, l’article 48 quater du code pénal prévoit que « l’action publique résultant de faits prévus par les articles 48 bis et 48 ter est imprescriptible ». Ceci voudrait signifier qu’il n’y aucun délai prévu par la loi auquel les poursuites contre les auteurs de la torture ne peuvent être engagées.

A titre exemplatif, lorsque la torture est commis aujourd’hui, le Ministère Public a le pouvoir même après 100 ans, sauf la mort de l’auteur (cause d’extinction de l’action publique), d’engager les poursuites pénales contre ce dernier.

  

V. épilogue

Comme démontré ci-dessus, le traitement subi par l’Ancien Gouverneur du Kongo Centrale Atou Matubuana est qualificatif de l’infraction de torture. A cet effet, les agents (auteurs) qui l’ont humilié et soumis à un traitement cruel, inhumain et dégradant doivent être poursuivis et arrêtés afin qu’ils répondent de leurs actes conformément à la loi.

Ceci pour la consolidation d’un Etat véritablement de droit tant vanté par le Président de la République, Magistrat Suprême.

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Mbandaka (Province de l’Equateur), le 19 décembre 2021 à 16h40’.

Par Maitre Edmond MBOKOLO ELIMA

Avocat au Barreau de l’Equateur/Mbandaka

Assistant de deuxième mandat à la Faculté de Droit de l’Université de Mbandaka

Chercheur en droit à l’Université de Kinshasa.

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A propos de l'auteur
Blog de MBOKOLO ELIMA Edmond

MBOKOLO ELIMA Edmond, nommé Magistrat au grade de Substitut du Procureur de la République par l'Ordonnance présidentielle n°23/071 du 06 juin 2023.

Ancien Avocat au Barreau de l'Equateur (Cabinet Bâtonnier Philippe BOSEMBE IS'ENKANGA et Cabinet KALALA & USENI Kinshasa/Gombe), Enseignant à la Faculté de Droit de l'Université de Mbandaka et Chercheur en droit à l'Université de Kinshasa.

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