Affaire Sarah HALIMI : l’étrange choix de la Cour de Cassation

Publié le 21/04/2021 Vu 4 194 fois 0
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L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 14 avril 2021 a suscité indignation et incompréhension : il n’y aura pas de procès dans l’affaire Sarah Halimi.

L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 14 avril 2021 a suscité indignation et

Affaire Sarah HALIMI : l’étrange choix de la Cour de Cassation

La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a rejeté le pourvoi formé par la famille de Mme Halimi contre la décision rendue en 2019 par la cour d’appel de Paris, qui avait déclaré l’auteur irresponsable pénalement sur la base de trois expertises, selon lesquelles il avait commis les faits au cours d’une « bouffée délirante » sur fonds de forte consommation de cannabis.

La Cour de cassation devait s’interroger sur le fait de savoir si, lorsqu’elle est à l’origine d’un trouble psychique, la consommation de produits stupéfiants peut constituer une faute excluant la responsabilité pénale ?

 Réponse de la Haute juridiction : oui. Elle précise que « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement ». 

La première question, passée l’émotion, l’indignation, pour la juriste que je suis, c’est de comprendre le fondement juridique. Car c’est bien de la plus haute juridiction dont on parle, celle qui juge du droit exclusivement. 

La Cour de Cassation, au sommet de la pyramide judiciaire française, a ce singulier pouvoir, de combler parfois l'abstraction de la loi, son silence et même, de s’adapter à l'évolution de la société. Et la loi étant générale et souvent obscure, la jurisprudence assure le passage de la règle abstraite au cas concret. C’est aussi la vocation de la suprême juridiction dans un état de droit.

Dans l’affaire Sarah Halimi, la Cour a fait le choix de suivre totalement et sans aucune déviation, les conclusions d’experts, aussi contestables soient-elles, et de s’aligner sur la jurisprudence antérieure. Néanmoins, elle se permet de pointer du doigt un vide législatif sans toutefois oser aller plus loin. Elle désigne donc une insuffisance de la loi pénale mais refuse d’endosser la responsabilité de venir combler et pallier cette lacune. 

Et cette contradiction la mène donc à rendre une décision à la fois dangereuse et irresponsable, se basant uniquement et exclusivement sur les conclusions souvent irrationnelles d’experts psychiatres. 

J'entends que le trouble, dit schizophrénique, est un des cas les plus consensuels d’irresponsabilité pénale. 

A partir de là et de ce postulat juridique clair, un chemin des plus tortueux va être emprunté dans cette affaire pour faire péniblement endosser ce trouble schizophrénique a ce délinquant/assassin antisémite.

Je n’ai aucune compétence en psychiatrie, ou en psychanalyse, mais j’apprends ici et là et notamment en lisant le Dr Bensussan , l’un des experts psychiatres nommés dans cette affaire, que « la bouffée délirante aigue » peut survenir chez un patient exempt de tout trouble psychiatrique. Elle constituerait souvent un mode d’entrée dans un trouble schizophrénique. Dit autrement, personne ne serait donc à l’abris d’une « bouffée délirante » …même le plus sain des esprits.  Dont acte même si… cela interpelle.

Mais encore faut-il pour être « irresponsable » que ladite « bouffée délirante » fasse entrer l’individu en proie à cette bouffée, dans un état de schizophrénie. Là, cela se complique un peu, mais….la Cour va y arriver. 

Dans cette affaire, les psychiatres s’accordent à dire que la consommation de cannabis a pu, activer la fameuse « bouffée délirante ». 

En effet, l’assassin consommait cette drogue depuis des années.

Alors certes, cette consommation était volontaire et délibérée. Mais selon l’expert et la Cour, il n’avait pas conscience de l’induction possible par la drogue de l’apparition d’un trouble mental de schizophrénie ;  

Et c’est là que le raisonnement devient complètement anarchique, et que la Cour s’éloigne, s’égare, dangereusement et irrespectueusement.

"Aucun élément du dossier n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé", dont c'était la première crise, "ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation" psychique, affirme la Cour. 

En clair : n’ayant jamais été touché par "une bouffée délirante aiguë", il ne pouvait savoir qu’il pouvait être touché par ce type de crise.

Le psychiatre en question ajoute dans une interview accordée au journal Marianne que la consommation de cannabis est « banalisée » par la société et que cette banalisation en dissimule la dangerosité. Que l’assassin en consommait pour tenter de « trouver un apaisement ». Ce serait la société qui serait en somme, responsable « d’égarements » comme celui de l’assassin de Mme Halimi car elle banaliserait la consommation de drogue et donc en dissimulerait la dangerosité…

Alors, j’en déduis par conséquent, que « l’équation gagnante » pour être « irresponsable » c’est : « Bouffée délirante » + « cannabis » = « possible trouble schizophrène » ! Et là, vous gagnez le droit au « discernement aboli », autrement dit, celui de ne pas être jugé pour le crime le plus atroce qui soit.

Et si en plus vous consommez du cannabis depuis l’adolescence alors c’est encore mieux ! (en termes d’irresponsabilité bien sûr….) car cela veut dire que vous n’avez même pas conscience de son possible effet pervers. 

Une sorte de prime à la délinquance conduisant à excuser une infraction plus grave. 

Incohérence majeure lorsque l’on sait que l'intoxication volontaire est réprimée, soit directement (délit d'usage de stupéfiants), soit indirectement (conduite en état d'ivresse ou sous l'empire de stupéfiants) et constitue une circonstance aggravante de certains crimes et délits, notamment des violences volontaires et des agressions sexuelles.

Comble de cet absurde syllogisme, le « pauvre » agresseur/tueur, a été fâché, très fâché, de voir un chandelier a sept branches dans l’appartement de la malheureuse victime ; Pourquoi ? parce qu’il déteste les juifs et cette vision a évoqué pour lui le démon ; Il faudrait le comprendre, il faudrait entrer dans son schème de penser. 

Le Dr Bensoussan ajoute que l’assassin souffre depuis les faits, d’un trouble psychiatrique aigu, dont la bouffée délirante « aurait été la manifestation inaugurale ».  

Donc, il n’était pas malade avant ? et c’est cet épisode qui l’aurait rendu fou ? Donc c’est la victime qui serait responsable de l’avoir provoqué ?

On marche sur la tête. C’est l’inversion des valeurs, encore et encore.

Et puis, le psychiatre ajoute « le crime délirant se caractérise par l’absence de mobile rationnel, de préméditation, l’instantanéité de l’attaque, sa férocité, l’acharnement inutile sur la victime, la multiplicité des coups et une absence de remords. »

Mais les crimes antisémites ne-sont-ils pas souvent dénués de mobiles rationnels ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’un « mobile rationnel » ? Mohamed Merah avait-il un « mobile rationnel » lorsqu’il assassinait des enfants dans une cour d’école à Toulouse ?

Ah oui…Mais va-t-on retorquer, Merah lui, avait prémédité son coup donc il avait le discernement.

S’agissant de la préméditation comment savoir dans l’affaire Halimi ? puisqu’il n’y aura pas de procès. 

Le frère de la victime hurle à la préméditation sur les quelques plateaux TV qui daignent lui donner la parole et son discours est plus que convaincant. Plus claire en tous cas que le discours psychiatrique qu’il m’aura fallu lire quatre fois pour tenter de le décrypter.

Quant à la banalisation du cannabis par la société et qui en dissimulerait la dangerosité…En France, la culture, la possession et la vente de cannabis sont interdites. Cette substance est un narcotique dont la dangerosité est de notoriété publique.

Alors quel est donc ce schéma qui voudrait que l’on trouve toutes les excuses possibles au comportement sauvage et dramatique d’un criminel ? La « bouffée délirante » après fort usage de narcotiques va-t-elle se généraliser ?

L’assassinat, précédé de coups d’une violence inouïe, de Mme Sarah Halimi, est avant tout un monstrueux féminicide, lequel, au-delà d’émouvoir une certaine communauté, devrait tous nous toucher et particulièrement ceux qui s’élèvent pour les victimes.

La Cour de Cassation a choisi d’interpeller le législateur, comme un pied de nez au contre-pouvoir pour lui rappeler l'indépendance de la justice (rappelons que le chef de l’état s’était légitimement exprimé auparavant sur « le besoin de procès ») ; Tel est son propos : « la loi ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes, or le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer ».

Etonnant, lorsque l’on sait que la jurisprudence regorge d’exemples dans lesquels la Cour s'est montrée plus souple dans l'application du principe d'interprétation stricte de la loi pénale. 

Et surprenant aussi de ne pas avoir saisi cette belle opportunité pour créer une nouvelle règle de droit jurisprudentielle, pour combler le silence de la loi.  

La Cour de Cassation a sèchement choisi de renvoyer la balle au législateur, quand elle aurait pu retenir une responsabilité pour une faute antérieure au trouble délirant, donc, faire jurisprudence. 

Un choix des plus étonnants à l’heure ou la sacrosainte parole de la victime est mise sur un piédestal. Un choix plutôt en rupture avec une évolution sociétale qui pourtant se fait un honneur de pointer du doigt la nécessité d’améliorer la prise en charges des femmes victimes de violences.

Alors bien sûr, le débat sur la nécessité d’une loi visant à reformer la responsabilité pénale est intéressant, et louable. Mais il ne bénéficiera pas à Mme Halimi, femme, sexagénaire, rouée de coups, torturée et défenestrée parce que juive et dont l’assassinat demeurera finalement impuni. 

Et cette jurisprudence restera comme une tache indélébile.

C’est un choix délibéré qu’a fait la Cour de Cassation le 14 avril 2021 de ne pas renvoyer l’assassin en Cour d’assises. Et longtemps, on s’interrogera sur les raisons profondes de cette occasion manquée.

 

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