Le plafonnement des indemnités prud’homales jugé contraire au droit international : examen et enjeux de la décision rendue le 13 décembre 2018 par le Conseil de Prud'hommes de Troyes

Publié le 15/12/2018 Vu 2 589 fois 0
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Depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s’impose au juge. Le montant est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l’ancienneté du salarié, le minimum étant moins élevé pour les 10 premières années d’ancienneté si l’employeur occupe moins de 11 salariés. Fortement décrié, ce barème a pourtant été validé par le Conseil constitutionnel (décision n°2018-761 du 21 Mars 2018) et s’applique à tous les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017. La question de la validité de ce dispositif au regard de l’Organisation internationale du travail s’est posée, et le Conseil de Prud’hommes de Troyes notamment par un jugement n°18/00036 en date du 13 décembre 2018 a considéré que ce « barème viole la charte sociale européenne et la convention n°158 de l’OIT » ; jugeant en conséquence que « les barèmes prévus à l’article L 1235-3 du Code du travail sont donc inconventionnels ».

Depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème

Le plafonnement des indemnités prud’homales jugé contraire au droit international : examen et enjeux de la décision rendue le 13 décembre 2018  par le Conseil de Prud'hommes de Troyes

En l’espèce, il s’agissait d’un salarié qui avait été embauché en mars 2015, en qualité de chargé de développement, en Contrat à durée indéterminé par une société dans le domaine de l’événementiel.

Ce dernier était convoqué à un entretien préalable a un licenciement en février 2018 pour motifs économiques.

S’estimant non rempli de ses droits, il saisissait alors le conseil de prud’hommes afin de voir notamment prononcer la résiliation judiciaire de son contrat.

Au soutien de ses prétentions, le salarié expliquait que la résiliation était fondée, l’employeur ayant fait preuve de déloyauté contractuelle avec une mise au placard progressive suite à la cession de son entreprise ; de plus il faisait notamment valoir que les barèmes introduits par la réforme du code du travail étaient contraires à la convention 158 de l’OIT.

Il soutenait également que le licenciement été sans cause réelle et sérieuse le motif économique n’étant pas valable dans ce cas.

Dans cette affaire, le salarié, avec ses trois ans d'ancienneté, aurait dû, selon le barème, obtenir un maximum de quatre mois de salaire. Les conseillers lui en ont accordé plus du double (neuf mois) refusant de se conformer à ce barème.

 

a)     S’agissant de l’argument relatif à la conventionnalité des barèmes fixées par le code du travail, le conseil de prud’hommes de Troyes statuait selon les termes et fondements suivants :

 

« L’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 indique que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ou, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. »

Si le conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la constitution, le contrôle de conformité des lois par rapport aux conventions internationales appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation du conseil d’État.

La Cour de cassation a établi que la convention numéro 158 était « directement applicable » et à souligner « la nécessité de garantir qu’il soit donné pleinement effet aux dispositions de la Convention ».

L’article 10 de la Convention numéro 158 de l’OIT, sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989, stipule que les tribunaux « arrive à la conclusion que le licenciement est injustifiée, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible, dans les circonstances, d’annuler le licenciement et ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilité à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considéré comme approprié ».

L’article 24 de la charte européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999 stipule « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître entre  (…) Le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation approprié ».

Le conseil d’État a jugé que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne sont directement invocables devant lui. Le comité européen des droits sociaux, organe en charge de l’interprétation de la charte, s’est prononcé sur le sens devant être donnée à l’indemnité adéquate et à la réparation approprié dans sa décision du comité du 8 septembre 2016.

Le comité a ainsi jugé la loi finlandaise qui fixer un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à la charte : « dans certains cas de licenciement abusif, L’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois prévu par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subi. Le comité considère que le plafonnement de l’indemnisation prévue par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi ».

Le conseil d’État a reconnu que la charte sociale reflétait le caractère d’un traité international.

La Cour de cassation a reconnu l’applicabilité directe et se réfère aux articles cinq et six de la charte sociale dans de nombreuses décisions sur la liberté syndicale et le droit de négociation collective.

L’article L 1235–3 du code du travail dispose que «Si le licenciement d’un salarié surveillant survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie aux salariés une indemnité à la charge de l’employeur, dans le montant est compris entre les montants minimum et maximum fixé dans le tableau ».

Le barème est fixé en fonction de l’ancienneté et de la taille de l’entreprise et peut aller jusqu’à maximum 20 mois.

L’article L 1235–3 du code du travail en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homal, ne permet pas aux juges d’apprécier des situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

De plus, ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ses barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables.

En conséquence, le conseil a jugé que ce barème violait la charte sociale européenne et la convention numéro 158 de l’OIT. Les barèmes prévus à l’article L1235–3 du code du travail sont donc inconventionnels. »

 

b. Une décision inédite qui ouvre une brèche dans l'édifice mis sur pied pour "sécuriser" les employeurs. : celle de la résistance possible des juges

 

Cette décision met en exergue le fait que certains juges n’acceptent pas le peu de marge d’appréciation qui leur est laissée par les niveaux d’indemnité minimaux et maximaux fixés par la réforme de 2017.

Cet encadrement laisse assez peu de place à la prise en compte la situation individuelle du salarié, mais aussi celle de l’employeur qui a la possibilité désormais de se faire une idée assez précise du cout maximal d’un licenciement injustifié.

Dans l’affaire ci-dessus évoquée, il a manifestement était tenu compte du particularisme de la situation du salarié : âgé de 55 ans, donc moins à même de retrouver un emploi facilement, ayant perdu son poste en même temps que sa femme, travaillant dans la même entreprise.

Reste à savoir si ces décisions pourront faire jurisprudence ;

La France n’est pas le seul pays à avoir mis en place un tel barème, tout en étant signataires de la convention de l’OIT.

Ces autres pays n’ont pas pour autant été obligés de renoncer à un tel dispositif. 

En outre, dans une autre affaire opposant un salarié à son patron, le conseil de prud’hommes du Mans avait, lui aussi, été invité à évoquer la conformité du barème aux conventions internationales. Sa réponse avait été radicalement différente de celle des prud’hommes de Troyes : Selon lui, les plafonds posés en 2017 par le législateur respectent la convention de l’OIT.

« Il appartient toujours au juge (…) de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié », avaient rédigé les conseillers prud’homaux du Mans, en faisant notamment référence à « l’âge et les difficultés à retrouver un emploi ».

En tout état de cause il s’agit sans aucun doute d’un premier pavé fissure le plafond de verre des indemnités de licenciement abusif.

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