Lettre ouverte, en réaction au reportage "une vie sous tutelle" (Envoyé spécial)

Publié le 02/03/2014 Vu 6 734 fois 3
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En nos qualités d’avocats, intervenant quotidiennement en droit des majeurs vulnérables, que ce soit du côté des curateurs et tuteurs professionnels (Maître Thierry ROUZIÈS, Avocat au Barreau de Paris), ou du côté des majeurs visés par une mesure de protection ou de leur famille (Maître Valéry MONTOURCY, Avocat au Barreau de Paris), nous souhaitons réagir au reportage consacré aux mesures de tutelles, diffusé dans le cadre du magazine Envoyé spécial le 20 février 2014, dont le traitement et les lacunes sont susceptibles d’imprimer dans l’esprit d’un public non averti, des opinions erronées et anxiogènes.

En nos qualités d’avocats, intervenant quotidiennement en droit des majeurs vulnérables, que ce soit du cÃ

Lettre ouverte, en réaction au reportage

En nos qualités d’avocats, intervenant quotidiennement en droit des majeurs vulnérables, que ce soit du côté des curateurs et tuteurs professionnels (Maître Thierry ROUZIÈS, Avocat au Barreau de Paris), ou du côté des majeurs visés par une mesure de protection ou de leur famille (Maître Valéry MONTOURCY, Avocat au Barreau de Paris), nous souhaitons réagir au reportage consacré aux mesures de tutelles, diffusé dans le cadre du magazine Envoyé spécial le 20 février 2014, dont le traitement et les lacunes sont susceptibles d’imprimer dans l’esprit d’un public non averti, des opinions erronées et anxiogènes.
 
La présente lettre ouverte vise à informer le public sur le droit applicable à la matière, et s’inscrit dans un débat d’intérêt général.

1. L’essence de la protection judiciaire. Une mesure de protection judiciaire a vocation, et c’est l’honneur de notre Droit, à protéger les personnes que l’affaiblissement de leurs aptitudes rendent vulnérables, cette protection devant toujours être nécessaire, proportionnée, et révisable dans le temps.

Ainsi, contrairement à l’axe principal donné au reportage, une curatelle ou une tutelle ne constitue pas en soi une privation de liberté, mais une protection de la liberté, grâce à l’assistance d’un curateur ou au mandat de représentation confié à un tuteur – la personne protégée n’ayant pas la capacité de prendre sans risque pour elle-même des décisions concernant ses deniers ou sa santé, par exemple.

L’écueil majeur de ce reportage est ainsi de glisser sur la cause, voire de l’éluder, pour ne s’attacher qu’à certaines de ses conséquences : la dépossession des moyens de paiement classiques (chéquier et carte de paiement), la remise d’une carte de retrait plafonnée, ou d’un pécule hebdomadaire, alors même que ces mesures, pour lesquelles il est difficile d’attendre une adhésion enthousiaste des intéressés (1), servent précisément leur intérêt. 

2. Le certificat médical détaillé, condition préalable à tout placement sous protection. Le reportage omet de rappeler (il faudra attendre les commentaires furtifs en plateau) qu’une personne ne peut être placée par un Juge des tutelles sous protection judiciaire (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) qu’en raison d’une altération, constatée par un médecin expert, de ses facultés mentales(2).

Pour être complet, ajoutons qu’il peut arriver qu’un certificat médical comporte des insuffisances ou des inexactitudes, ou soit dépassé compte tenu du retour à meilleure santé de la personne. Il faut alors plaider le non-lieu à mesure de protection, mais aucune des personnes suivies par le reportage n’est présentée comme ayant critiqué avec raison, devant le Juge des tutelles, le certificat médical établi par un médecin expert.

3.  La nécessaire information délivrée au majeur concerné. Contrairement à l’impression laissée par le reportage et aux commentaires en plateau (3), il est important de souligner que le majeur concerné par l’éventuelle mesure de protection est nécessairement informé de la saisine du Juge des tutelles, puisque le Juge des tutelles a l’obligation de le convoquer à une audition par lettre recommandée A.R.  La personne est libre de s’y rendre, seule ou assistée par un avocat, et donc de préparer avec celui-ci des observations utiles. 

Ce n’est que dans des situations exceptionnelles qu’un médecin expert peut préconiser une dispense d’audition, en raison de la détérioration avancée de l’état de santé (une maladie d’Alzheimer à un stade sévère, par exemple) : mais dans cette hypothèse exceptionnelle, non évoquée par le reportage, c’est le souci de la dignité du majeur à protéger qui commande cette absence d’audition.

4. Il est également regrettable que le reportage se borne à déplorer qu’une personne sous protection n’ait « pas eu le réflexe de faire appel dans les quinze jours comme la loi lui permet ». Cela donne au téléspectateur l’impression erronée que la décision de curatelle renforcée, injustement prononcée, deviendrait de surcroît irrévocable passé ce délai. Il n’en est rien :

- Le fait de ne pas faire appel dans le délai de quinze jours – alors même que la notification du jugement, faite à la personne protégée par LRAR mentionne expressément la voie de recours, la forme du recours, et le délai du recours –, peut être un indice de l’inaptitude de l’intéressée et donc du bien-fondé de la mesure de protection ;

- surtout, il est toujours possible, pour une personne sous protection, de saisir à tout moment le Juge des tutelles, en dépit de l’expiration du délai d’appel, d’une requête motivée pour demander la mainlevée ou l’allègement de la mesure de curatelle ou tutelle.

5.  Dans le reportage, les témoignages des personnes exprimant leur mécontentement dans la gestion de la mesure de curatelle ou de tutelle par un mandataire professionnel donnent à penser au téléspectateur, à tort, que la situation serait sans remède, qu’aucun changement de protecteur ne serait possible. Deux observations s’imposent.

En premier lieu, la primauté familiale gouverne la matière. Autrement dit, le protecteur (curateur ou tuteur) est choisi prioritairement parmi les proches de la personne concernée, après diverses auditions. Ce n’est qu’en cas de carence du cercle de famille ou amical, ou dans le cas d’un conflit familial persistant et nuisible au majeur à protéger, que le Juge des tutelles désignera un mandataire professionnel (dénommé M.J.P.M., mandataire judiciaire à la protection des majeurs). Un enfant ayant demandé à exercer la mesure, et ne l’ayant pas obtenue, pouvant toujours faire appel du jugement.

En second lieu, en cas de dysfonctionnements sérieux constatés dans l’exercice de la mesure par le mandataire professionnel, il est toujours possible de saisir le Juge des tutelles aux fins de changement de curateur. Le reportage n’indique pas les raisons pour lesquels les griefs formulés par tel ou tel n’ont pas donné lieu à une requête déposée au siège du Juge des tutelles.

6. En ce qui concerne le contrôle des comptes des majeurs protégés, le reportage se contente de véhiculer l’idée qu’un grand nombre de dossiers de protection ne peut être contrôlé efficacement par le greffier en chef de chaque Tribunal d’Instance, habilité à cet effet, en raison de la charge de travail que cette tâche représente, et focalise l’attention du téléspectateur sur deux faits divers – datés et marginaux – liés à la carence du contrôle des comptes, dans lesquels un ancien tuteur a été condamné à sept ans d’emprisonnement, un second, condamné en première instance, a fait appel de sa condamnation.

Si l’insuffisance des moyens du greffier en chef – en termes de temps ou d’expertise – est réelle,  il existe néanmoins plusieurs mécanismes légaux permettant à la fois d’empêcher que de tels faits divers ne se produisent désormais (a), et de renforcer le contrôle des comptes (b).

(a) En premier lieu, la loi du 05  mars 2007 qui a réformé le droit des majeurs vulnérables, a mis fin à une ancienne pratique dite du « compte pivot », qui aboutissait à ce que sur un même compte apparaissent les ressources et les dépenses de l’ensemble des personnes protégés par un même mandataire professionnel.  Désormais, chaque majeur protégé dispose d’un compte bancaire autonome, géré par son protecteur. Cela rend le contrôle infiniment plus lisible, et réduit à néant les confusions comptables.

(b) En second lieu, la désignation par le Juge des tutelles d’un subrogé protecteur (subrogé curateur ou subrogé tuteur), choisi parmi les membres de la famille et le cercle des proches, permet d’adjoindre au greffier en chef un contrôleur, dans la mesure où ce subrogé protecteur reçoit obligatoirement du curateur ou du tuteur, une copie des comptes annuels. Il peut donc exercer un premier contrôle et alerter le greffier en chef et le Juge des tutelles en cas d’anomalie.

Plus encore, le Juge des tutelles peut, avec l’accord du majeur protégé, autoriser un autre proche de celui-ci à recevoir une copie des éléments comptables. Ce qui permet de démultiplier les contrôles.

Enfin, il est encore possible au Juge des tutelles de confier la mission de contrôle et d’approbation des comptes à un technicien agréé, dont l’expertise remplace alors celle du Greffier en chef.

De lege ferenda, l’avocat du majeur protégé devrait également pouvoir être destinataire d’une copie des éléments comptables.

7. Un mot pour conclure. Interviewer des personnes placées sous curatelle ou tutelle, c’est donner la parole à des personnes qui peuvent être diminuées, qui vivent douloureusement leur altération lorsqu’elles en ont conscience, et peuvent de surcroît être partagées entre le déni et la peine. Inverser les valeurs en posant même la question de savoir si la tutelle constitue une privation ou une protection, ne pas relativiser une parole fragilisée, critiquer l’institution de la protection judiciaire des majeurs en assénant des vérités incomplètes et donc des contre-vérités, élever quelques dysfonctionnements marginaux en règle de principe, est évidemment dommageable pour chacun.

Paris, le lundi 24 février 2014

   Valéry MONTOURCY            Thierry ROUZIÈS
   Avocat au Barreau de Paris   Avocat au Barreau de Paris

(1) De nombreux majeurs vulnérables n’ayant de surcroît pas conscience de leurs troubles.

(2) … ou de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté  (Art. 425 du code civil).

(3) Question (29’47’’) : « Une des révélations de votre reportage […] c’est le mécanisme de la mise sous tutelle : on se rend compte que l’on peut être mis sous tutelle sans le savoir, sans en être averti. Comment c’est possible ? » Réponse : « Effectivement, on le voit dans le reportage, c’est ce qui est arrivé à […] qui se retrouve placée sous curatelle sans rien avoir demandé, sans savoir qui a lancé la procédure. Et c’est tout à fait légal […] Ensuite la Juge des tutelles prendra sa décision à partir d’un rapport d’un expert médical […] »

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1 Publié par Visiteur
02/06/2017 08:51

je suis extrêmement choquée ( mais pas surprise sachant que les avocats tutelle sont dans les faits du côté du système tutelle et en aucun cas du côté des victimes)par ce que vous dites sur le contrôle des comptes de gestion, vous laissez entendre que ceux ci sont bien contrôlés, que les erreurs sont l'exception etc. C'est archi faux : J'ai à plusieurs reprises constaté des " erreurs grossières " dans les comptes de gestion de la tutrice de ma mère et les ai signalées au Juge des tutelles sans que celui-ci ne daigne me répondre. Par ailleurs cette tutrice et le Juge ont placé une somme d'argent très importante sur une assurance vie et ils ont la possibilité incroyable de désigner eux mêmes le bénéficiaire ! ( ma mère étant alzheimer ) J'imagine qu'ils ne se désigneront pas eux mêmes mais il keur suffit de désigner un bénéficiaire X puis de se partager la somme entre amis.Et là les héritiers légaux c'est à dire les enfants n'ont aucun recours. La tutelle c'est la dépossession dans toute son horreur. Du temps des nazis les biens des juifs étaient spoliés et aujourd'huiles petits vieux ayant des biens sont spoliés par ce système complètement vérolé qui s'appelle de protection et n'est que de prédation

2 Publié par Visiteur
28/02/2018 00:33

Amen :
"madame ... est solvable" en plein milieu
du certificate-dit-medical par un medecin
agree par la Cour et qui les redige en serie ;
les vieillards ainsi devalises perdent, entre autres,
leur droit de vote ; donc aucune aide des politiciens.

3 Publié par Visiteur
30/11/2018 17:46

Nous venons d 'avoir le résultat d'une demande " de mise sous protection",en faveur de ma maman, demande que nous n'avons pas demandé et que ni ma mère ni moi même ne souhaitions, et qui loin de nous aider , au contraire, ne va faire que nous entraver.
La demande ayant été faite par une assistante sociale, qui sans rien vérifier,s 'est contenté de son bureau, de relayé des informtions complétement erronées et diffamatoires ( mon papa prenait du Kardegic, cela lui occasionnant des taches rouges et des hématomes, on m'a en effet carrement soupçonné de maltraitance!ce qui est totalment faux! de plus ma mere ne voulant pas l intervention d 'aide à domicile, mecontente d 'etre dérangées sans arrêt, dans le déni de sa maladie, a peut être dit des choses qu'elle même a nier ensuite ,
je n'ai pas de frère et sœur. il n'y a donc pas par ailleurs de querelle de fratrie ou de conflit quelconque sur ce point,
Ma mère me fait confiance, j 'ai toujours preservé ses interrets etdepuis plusieurs années plusieurs annéesl 'aide au quotidien et dans la ge stion de ses biens. or suite à ce signalment, la juge, bien que ayant notée la relation privilégiée que nous en tretenons et que ma mere ai pourtant bine precisée, qu 'elle souhaitais que ce soit sa fille en qui elle a confiance et non une personne exterieure, qui continue à s 'occuper de ses affaires, la juge en a décidé autrement, notant dans la décision qu il était important que je ne soit pas écartée, mais a cependant nommé un tuteur exeriur, ne me nommant que tuteur subrogée? ce qui voudrait dire, que je n 'aurait en fait juste le droit que d 'etre informé de la gestions aprés coup, et une fois par an, de ce que cette personne , qui ne connait rien de notre vie et de nos désirs aur décidé à notre place! Nus trouvons cela révoltant! cela ne nous aide en rien, mais nous en trave au contraire! cela a completement pertubé ma mere qui affolée alors que nous mettions en place des journées en accuel de jours, a tt rejeté en bloc, cela la mine, nous angoisse toutes 2 au plus haut point. comment allons nous faire si nous ne pouvons plus avoir accés à nos comptes. nous avons des travaux en cours, des choses prévues, or si on décide à notre place de tout, que l on ne me tient informé qu une fois par an, just pour une vérification après coup! nous nous sentons violée dans notre vie, dans nos comptes dans notre liberté,spoliées, tout cela n 'est pas gratuit de plus... on ne nous aide en rien au quotidien, par contre, on decide de gerer notre vie,. nous n 'avons rien fait de mal, on nous traite avec mepris comme si on avait commis on ne sait que l crime, et ce, juste par ce que les professionnels de santé qui font des erreurs, mentent ensuite pour se couvrir. on est pas entendues, et même si on fait appel, la décision est executoire! commen allons nous faire pour finir nos travaux, si on doit attendre des semaine pour avoir l 'accord d 'une persone qui doit decider de tout à notre place?§ On est abassourdies par le fonctionnement de ce systeme dont on a plus l imprssion qu il font de a repression...que de la protection. on ne respecte pas la volonté de ma mere, on ne nous en tend pas, on est jugée que sur dossier... et on nous raccroche au nez si on tente de joindre la juge... il faut ecrire, perdre notre temps en démarches et en courrier, au lieu de pouvoir etre proche et apaisée... en réalité nous avons plus l impression que seul la gestion des bien les interresse, plus que de nous aider au quotidien. Apres avoir empecher le retour de mon pere à domicile où il aurait été mieux en touré qu'en milieu hospitalier où il ds' est cassé la hanche, voulant aller aux toilette, personne ne voulant l' accompagner... puis en hepadh, ou il devait etre réévalué, avoir un kiné, etre en touré, etc...en pratique, rien ne n' a suivi... puis il lont mis sous morphine, ... et il y est decedé...prematurémént, 2 mis apres, o aprrend, que de plus on nous a fait un signalement...diffamatoire, et dont l issue la encore ne nous aide nullument... comment sortir de tout cela? NOus aspirons qu' a ce qu' on nous laisse tranquille et qu 'à defaut de nous aider au moins on nous laisse notre liberté! sentiment de révolte et de tristese extreme, apres tirer les gens par le bas, " par leur principe de précaution qui bien souvent fait plus de mal que de bien on nous spolié et on veut décider de tout à notre place... qu 'a t on fait pr devoir subir tout ça? juste avoir essayer de vivre normalement...et tranquillement! leçon de tout ça, débrouilons nous seuls, ne faisons jamais appel aux institutions pour trouver aides à domicile... qd on a rien..;on ne craint rien, mais si vous avez un petit quelque chose... ce n 'est pas das le quotidien que l on vient vous aider...non,,, mais pour la gestion " de vous bien"! que l est le but réel en réalité...sinon que fiancier... tout cela est révoltant!

A propos de l'auteur
Blog de Maître Valéry Montourcy

Valéry Montourcy, Avocat au Barreau de Paris

Domaines d'expertise :

1. Droit des majeurs protégés : tutelles, curatelles, sauvegardes de justice, mandats de protection future

2.  Défense des victimes d'abus de faiblesse, Hospitalisations sans consentement

3. Procédures d'indemnisation du dommage corporel

4. Divorces et successions.

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