Qui n’a jamais connu une assemblée générale agitée n’est pas un véritable copropriétaire ! Dans cet univers clos où la parole se libère une fois l’an sous l’égide du syndic, lors de l’assemblée générale annuelle, il arrive que l’émotion prenne le pas sur la rationalité, et que des excès de langage soient proférés. Certains, aussi vite oubliés, seront à mettre sur le compte de la maladresse ou de l’émoi ; il arrive quelquefois que des paroles gratuites et offensantes soient prononcées : le Droit intervient alors pour faire sanctionner ces excès.
Le copropriétaire visé par des propos diffamatoires ou injurieux pourra agir en Justice pour les faire sanctionner et obtenir réparation. Il prendra utilement attache avec un avocat spécialisé en liberté d’expression, tant les particularités procédurales sont nombreuses.
Spécificité de la matière, le délai pour agir en justice sur le terrain de la diffamation ou de l’injure est très court. Le copropriétaire visé par de tels propos devra agir vite : le délai de prescription est en effet de trois mois à compter de la date de commission de l’infraction, qui correspond au jour de l’assemblée générale au cours de laquelle les propos litigieux ont été tenus, ou bien encore à la date de réception du mail collectif litigieux ou du propos publié sur internet. L’auteur des propos poursuivis sera condamné sauf s’il justifie de la vérité des faits ou s’il démontre sa bonne foi (qui suppose un but légitime d’information, une prudence dans l’expression et une absence d’animosité personnelle).
La présente note présente succinctement l’état de la jurisprudence, concernant ces abus de la liberté d’expression commis dans le cadre de la copropriété. Deux aspects seront abordés : les abus de la liberté d’expression commis entre copropriétaires (II), et ceux commis entre un copropriétaire et un tiers à la copropriété, tel le syndic ou une gardienne d’immeuble (III). Préalablement, la définition des principales infractions de presse sera rappelée (I).
I – Définition des principales infractions de presse : diffamation et injure
1. Diffamation. L’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme étant « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. »
Deux conditions doivent donc être réunies pour retenir la qualification de diffamation :
- Il faut que les termes employés comportent l’imputation d’un fait précis , permettant un débat contradictoire : ainsi, l’affirmation par laquelle un copropriétaire prétend que tel autre a fait supporter au syndicat des copropriétaires avec la complicité du syndic des travaux privatifs, peut faire l’objet d’une discussion (est-ce vrai ? est-ce faux ?), elle contient donc l’imputation d’un fait précis.
- Il faut que le fait précis porte atteinte à l’honneur ou à la considération : il faut qu’il soit offensant. Tel est le cas, dans l’exemple précité, du fait d’être présenté comme ayant été malhonnête et avoir préjudicié à la copropriété.
Si le fait reproché n’est pas précis (par exemple, l’exclamation « Voleur ! », hors de tout contexte), il ne s’agira pas d’une diffamation, mais d’une injure.
2. Injure. L’injure est ainsi définie par l’alinéa 2 du même article 29 de la loi du 29 juillet 1881 : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »
L’injure est un mot ou un chapelet de mots peu vertueux, lancé à la volée : elle ne comporte l’imputation d’aucun fait précis, contrairement à la diffamation. Inutile d’illustrer cette notion : l’écoute quotidienne attentive des dialogues entre automobilistes en est une source intarissable.
II – Les abus de la liberté d’expression entre copropriétaires
Lorsqu’une diffamation ou une injure est commise au sein d’une copropriété, c’est-à-dire devant des personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts (elles sont toutes copropriétaires), la diffamation ou l’injure est dite « non publique ». Contrairement à une diffamation ou une injure proférée à la télévision, dans la rue, à la radio ou sur internet : dans ces hypothèses, la diffamation ou l’injure est dite « publique ».
Une diffamation ou une injure non publique constituent, au plan pénal, une contravention.
Une diffamation ou une injure publique constituent, au plan pénal, un délit.
Lorsque la diffamation ou l’injure, publique ou non publique, est à caractère racial, religieux – elle s’en prend à une fraction de la population –, l’infraction est plus sévèrement réprimée.
Trois décisions peuvent illustrer notre propos.
1/ Un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 08 avril 2014 : la Haute juridiction a estimé que les propos injurieux proférés dans une cour d’immeuble comportant seize appartements et à laquelle le public avait accès, caractérisait la volonté de leur auteur de rendre ses propos publics. Dans de telles circonstances, les propos sont publics.
2/ Un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 14 janvier 2003 : la Cour de cassation a estimé que le fait de présenter des copropriétaires comme étant à l’origine d’une nouvelle convocation de l’assemblée générale dans le seul but de se venger de relances pour non-paiement de charges était diffamatoire à leur égard.
3/ Un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 07 mars 2000, relatif à une situation dans laquelle nombre de copropriétaires pourront se reconnaître : un courrier adressé par un copropriétaire à un autre, mettant en copie le conseil syndical n’est pas public, compte tenu de la communauté d’intérêts existant entre les destinataires de l’écrit ; cependant, si l’expression d’une vive opposition et la formulation de critiques concernant les options et décisions prises au sein d’une copropriété, portées à la connaissance de la partie adverse et des membres du conseil syndical constituent une information légitime, tel n’est pas le cas d’accusations formulées sur un ton particulièrement offensif et empreint d’ironie malveillante. L’infraction de presse est ici caractérisée.
III – Les abus de la liberté d’expression entre copropriétaires et tiers (syndic, gardienne d’immeuble)
Deux cas de figure seront abordés : d’une part, les propos (écrits ou oraux) entre un copropriétaire et le syndic de l’immeuble ; d’autre part, les propos échangés entre un copropriétaire et tout tiers.
1/ Diffamation et injure dans les rapports entre un copropriétaire et le syndic de l’immeuble
Courrier diffamatoire diffusé dans les boîtes aux lettres. Diffamation non publique caractérisée. Par arrêt en date du 03 décembre 2013, la Cour d’Appel de CAEN a estimé que des courriers rédigés par deux copropriétaires, comportant des accusations à l’égard du syndic, et diffusés par remise dans les boîtes aux lettres des copropriétaires de la résidence, devaient être analysés sous l’angle de la diffamation non publique, car ils avaient été diffusés à des personnes liées entre elles par une communauté d’intérêts et dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel puisqu’ayant, dès leur distribution, une grande probabilité d’être portées à la connaissance des personnes qui y étaient mentionnées, en plus de leurs destinataires.
Dans cette décision, la Cour d’Appel avait rappelé que s’il est exact que les copropriétaires sont en droit de demander à consulter les documents soumis par le syndic à l’assemblée générale, de s’interroger sur la qualité du travail de l’employée chargée d’entretenir les parties communes, sur la réalité du contrat de travail de l’époux de celle-ci et de se plaindre des infiltrations d’eau endommageant leurs parties privatives, comme de remettre en cause la pertinence des décisions prises par l’assemblée générale ; pour autant, cela n’autorisait pas les copropriétaires à imputer au syndic personne morale, à son dirigeant et au président du conseil syndical qualifié de « complice », des pratiques malhonnêtes dans des termes plus que véhéments relevant de l’animosité personnelle, et encore moins de les accuser, sans aucun fondement, de commettre des infractions pénales.
Communauté d’intérêts. Diffamation non publique caractérisée. Par arrêt en date du 13 décembre 2012, la Cour d’Appel de Versailles a rappelé que l’ensemble des copropriétaires d’une résidence sont liés par une même communauté d’intérêts ; l’administrateur provisoire de cette copropriété, les président et gestionnaire de l’association syndicale libre à qui a été attribué l’ensemble des voies, réseaux et espaces verts, partageant cette communauté d’intérêts.
Dans cet arrêt, la Cour d’Appel a jugé que l’imputation faite à un syndic, dans le journal d’une copropriété, d’avoir commis des détournements de fonds au préjudice des copropriétaires en encaissant sur son compte personnel au mois un chèque de l’un des copropriétaires, en utilisant d’autres chèques de copropriétaires pour financer une étude réalisée par un cabinet d’avocats afin d’apprécier les chances de succès d’un pourvoi en cassation, et en effectuant des retraits en liquide sur le compte livret de la copropriété, faits précis de nature à faire l’objet d’une preuve, portaient atteinte à son honneur et à sa considération. Étant observé que, si le but d’obtenir des explications sur les dysfonctionnements de la copropriété, poursuivi par l’auteur des accusations, est légitime, les termes utilisés pour parvenir à cette fin, tels que « détournement de fonds » et « arnaque » caractérisent un manque de prudence et de mesure dans l’expression, exclusif de la bonne foi.
Diffamation non publique non caractérisée. Par arrêt en date du 07 janvier 2010, la Cour d’Appel de Rouen a estimé que le fait de mettre en cause l’habilitation du syndic en l’absence de carte professionnelle de ce dernier ne dépassait pas les limites admissibles dans une assemblée de copropriété, lors de laquelle chaque copropriétaire est en droit de rechercher l’information nécessaire à la préservation de ses intérêts, voire d’adopter une attitude critique à l’égard du syndic. La diffamation n’est donc pas caractérisée.
Absence de communauté d’intérêts. Diffamation constituée mais bonne foi retenue. Par arrêt en date du 15 janvier 2008, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a posé que la diffusion par un copropriétaire d’un procès-verbal d’assemblée comportant des écrits diffamatoires à l’égard du syndic ne pouvait entraîner la responsabilité du président de l’assemblée générale dont il n’était pas établi qu’il ait participé à la diffusion de ce procès-verbal. De plus, la Cour de Cassation a estimé que, le fait que le courrier ait été diffusé à deux copropriétés ayant un syndic commun ne suffisait pas à constituer, de ce seul fait, la communauté d’intérêts. Enfin, la Cour, pour retenir la bonne foi de l’auteur des propos et le relaxer, a estimé qu’en sa qualité de président du conseil syndical de la résidence, chargé à ce titre d’assister le syndic et de contrôler sa gestion, le prévenu pouvait légitimement souhaiter informer des membres de sa copropriété des difficultés rencontrées par les membres d’une autre copropriété avec leur syndic commun ; n’étant ni un professionnel du droit ni un journaliste, il s’était borné à communiquer des extraits d’un procès-verbal d’assemblée déjà rédigé, exposant les suspicions relatives à la gestion du syndic et n’avait pas l’obligation de se livrer à une enquête complémentaire ni de faire preuve de prudence dans l’expression, s’agissant de propos qu’il n’a pas lui-même tenus.
Courrier diffamatoire joint à une convocation à l’AG. Condamnation du syndic. Par arrêt en date du 19 juin 2003, la Cour d’Appel de Metz a estimé que le fait pour un syndic de copropriété de joindre à la convocation à l’assemblée générale des copropriétaires une lettre contenant des propos diffamatoires, cause un préjudice à la personne visée par ce courrier. Le fait de joindre ce courrier à la convocation, alors que ce procédé était tout à fait inutile pour signaler aux copropriétaires le litige opposant l’auteur de la lettre et la personne visée par le courrier, a permis la diffusion de ces propos diffamatoires non seulement auprès des copropriétaires mais également auprès de tiers à la communauté là où une simple mention, dans la convocation, de l’existence du litige, aurait suffi.
Propos tenus en AG. Diffamation non caractérisée. Par arrêt en date du 22 novembre 2001, la Cour d’Appel de Paris a estimé que les termes utilisés par le syndicat des copropriétaires et le syndic, en traitant le copropriétaire de « perturbateur » et de « procédurier impénitent », même s’ils pouvaient paraître déplaisants pour celui qu’ils visaient, ne dépassaient pas, dans le cadre d’une instance judiciaire, la mesure qui sied à des débats sereins et courtois.
2/ Diffamation et injure dans les rapports entre un copropriétaire et les tiers autres que le syndic (gardienne d’immeuble par exemple)
Injures non publiques. Concierge. Par arrêt en date du 10 novembre 2009, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a estimé que les propos injurieux d’un concierge à l’égard de copropriétaires pouvaient justifier son licenciement
Injures à l’égard de tiers, proférées lors de l’A.G. Injures non publiques. Par arrêt en date du 20 février 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que les propos diffamatoires tenus lors d’une assemblée générale et visant des tiers à l’assemblée relevaient en principe de la contravention de diffamation non publique
Les injures entre voisins peuvent être une composante d’un trouble de voisinage. Par arrêt en date du 11 juillet 2011, la 3ème Chambre civile de la Cour de Cassation a estimé que la situation conflictuelle de voisins avec une copropriété, se caractérisant notamment par des propos injurieux, constitue un trouble de voisinage.
En définitive, lorsqu'après de vifs propos, des excuses ou un verre de l'amitié entre voisins ne sont pas proposés, il existe des voies de droit pour restaurer un vivre-ensemble...
Valéry MONTOURCY & Nicolas VERLY
Avocats au Barreau de Paris
Liberté d’expression
secretariat@montourcy-avocats.fr
verly@alterlitis.com