La question de l’accès à la voie est d’une importance capitale pour les propriétaires riverains de deux points de vue.
▪ D’une part, sur le plan de l’urbanisme, la quasi-totalité (ou probablement la totalité) des PLU et des PLUi imposent que le terrain, pour être constructible, doit être desservi par une voie publique ou privée.
C’est également ce qu’implique l’article R. 111-5 du code de l’urbanisme.
Aussi, l’accès à une voie publique bordant le terrain est bien une question fondamentale puisqu’elle conditionne le droit de construire.
▪ D’autre part, du point de vue du droit de propriété, l’accès à la voie est évidemment central puisque, sans cet accès, il est impossible d’utiliser le terrain et sa valeur est nulle.
Cette question est donc bien centrale.
Mais elle se confronte, en même temps, au pouvoir de police dont disposent les collectivités (généralement les communes) sur les voies publiques qui leur appartiennent ou qu’elles gèrent.
En effet, ces pouvoirs de police leur imposent d’assurer la sécurité et la commodité de la circulation sur les voies.
Ce qui peut entrer en conflit avec le droit à l’accès à la voie si cet accès est dangereux pour la circulation.
Aussi, il est nécessaire de s’interroger sur les droits dont disposent les propriétaires riverains (I.) ainsi que les conditions dans lesquelles l’accès peut être refusé (II.) ou supprimé (III.).
I. Le principe : le droit d’accès sauf dispositions particulières
Le principe est le droit d’accès mais il existe certaines limites.
A. Le principe
Le principe est assez clair et a été posé par le Conseil d’Etat.
En effet, l’accès à la voirie routière est en principe un droit pour le propriétaire d’un terrain riverain puisqu’il s’agit d’un « accessoire du droit de propriété ».
Le Conseil d’Etat a très clairement jugé que les propriétaires ont le droit d’accéder à la voie à pied et en véhicule :
« 3. En deuxième lieu, sauf dispositions législatives contraires, les riverains d'une voie publique ont le droit d'accéder librement à leur propriété, et notamment, d'entrer et de sortir des immeubles à pied ou avec un véhicule. […] » (CE. CHR. 15 décembre 2016, Commune d’Urou-et-Crennes, n° 388335, mentionnée aux tables ; voir, dans le même sens, plus anciennement : CE. SSR. 19 janvier 2001, Département du Tarn-et-Garonne, n° 297026, publiée au Recueil).
Ainsi, c’est bien un droit dont disposent les propriétaires riverains d’une voie et qui concerne :
- Le déplacement à pied,
- Le déplacement des véhicules.
Tel est donc le principe posé.
B. Les limites
Comme le rappelle le Conseil d’Etat dans la décision Commune d’Urou-et-Crennes, ce principe s’applique « sauf dispositions législatives contraires ».
Et il existe certaines dispositions qui limitent le droit d’accès.
Tel est par exemple le cas pour les autoroutes et les voies express pour lesquelles le code de la voirie routière interdit le droit d’accès à ces voies pour le propriétaire riverain (articles L. 122-2 et L. 151-3 du code de la voirie routière).
D’ailleurs, le code de l’urbanisme rappelle la spécificité de certaines voies pour lesquels les droits des propriétaires ne sont pas reconnus aux riverains (article L. 111-13 du code de l’urbanisme).
La liste, non exhaustive, dressée par cet article est la suivante :
- Les autoroutes,
- Les voies de défense de la forêt contre l’incendie,
- Les pistes cyclistes et sentiers de touristes.
Ainsi, les riverains d’un certain nombre de voies publiques ne jouissent pas des droits reconnus aux autres propriétaires.
II. Les conditions d’un refus d’accès des riverains
Au-delà des voies particulières, qui font l’objet d’une exception exposée ci-dessus au principe du droit d’accès des riverains, le Conseil d’Etat a consacré la possibilité d’un refus d’accès à la voie limitant ainsi le principe qu’il a posé.
En effet, dans la décision Commune d’Urou-et-Crennes, il a posé plusieurs conditions qui, si elles sont réunies, permettent à la collectivité de refuser le droit d’accès à la voie.
Il existe ainsi des hypothèses – limitées – dans lesquelles l’autorité publique peut refuser l’accès à la voie.
Dans la décision Commune d’Urou-et-Crennes (CE. CHR. 15 décembre 2016, n° 388335, mentionnée aux tables, précitée), le Conseil d’Etat a précisé ces conditions :
- La justification
Pour pouvoir nvisager un refus d’accès, il faut que soient en cause, soit :
- La conservation et la protection de la voirie. Ce motif renvoie aux hypothèses de protection de la voie elle-même. En effet, il peut arriver que l’ouverture d’un accès menace une voie fragile.
- La sécurité de la circulation. Ce motif est le plus évident puisqu’il concerne l’hypothèse dans laquelle l’accès à la voie pourrait être la cause d’accidents, par exemple s’il se trouve dans un virage sur une route départementale hors agglomération.
Ainsi, il y a deux motifs distincts qui permettent d’envisager un refus.
- L’absence d’aménagement léger possible
La seconde condition posée par la jurisprudence est qu’avant de refuser l’accès du riverain, la collectivité doit vérifier qu’il n’est pas possible de faire un « aménagement léger » de la voie qui permette un accès dans de « bonnes conditions de sécurité ».
Cela peut, par exemple, renvoyer à une signalisation, ou à un aménagement du trottoir ou du bas-côté, qui permettrait de sécuriser l’accès.
Ainsi, il ne suffit pas que la sécurité ou la conservation de la voirie soient en cause, il faut qu’un aménagement ne soit pas possible.
- La mise à la charge de l’aménagement et de son entretien
Dans la décision Commune d’Urou-et-Crennes, le Conseil d’Etat a précisé que cet aménagement, et son entretien, pouvait être mis à la charge (en toute ou partie) du propriétaire, et en fonction de son utilité pour les besoins généraux de la circulation.
De cette condition, il faut donc retenir plusieurs éléments :
- La prise en charge est une véritable condition, de sorte que si la collectivité la décide et le propriétaire la refuse, la collectivité peut légalement refuser l’accès à la voie.
- La prise en charge n’est qu’une possibilité et non pas une obligation, une marge de manœuvre est donc laissée à la collectivité (qui pourra notamment tenir compte des capacités financières du propriétaire en cause).
- La collectivité doit tenir compte de l’utilité de l’aménagement. Ainsi, par exemple, si l’aménagement était en tout état de cause nécessaire, ou utile, pour la circulation, alors la collectivité doit en tenir compte pour fixer la part ou exonérer le propriétaire de la prise en charge des travaux et de l’entretien.
Ainsi, en résumé, un refus est possible mais les conditions fixées par la jurisprudence sont strictes.
III. Une suppression possible d’accès existants ?
Une suppression d’accès existants paraît également possible. Mais une telle suppression donnerait alors droit à indemnité.
A. Une suppression apparemment possible
S’il ne fait pas de doute qu’un refus de création d’un accès est possible, la suppression de cet accès existant est une autre question.
En effet, l’accès à la voie étant un « accessoire du droit de propriété » pour le Conseil d’Etat, la suppression d’un accès existant est autre chose que le refus d’un accès qui n’existe pas encore.
Dans ces conditions, est-ce possible ?
La jurisprudence donne quelques exemples de suppression d’accès, mais ils sont assez rares (ex : TA Pau, 25 avril 2023, n° 2100862 ; CAA Lyon, 11 février 2021, SCI La Salamandre, n° 19LY01823) et ils concernent des hypothèses dans lesquelles le propriétaire avait en réalité plusieurs accès à son bien.
Par ailleurs, une réponse ministérielle considère que la suppression d’accès est possible :
« Si aucune procédure formelle ne s'impose préalablement à la suppression d'un accès riverain, dans la pratique, l'information préalable du titulaire de la permission de voirie par le gestionnaire de voirie peut lui permettre de faire part de ses observations. Les motifs de la suppression d'un accès riverain, qui peuvent résulter de considérations de sécurité routière, peuvent par ailleurs être soumis au contrôle du juge (cf CAA Paris, 19 mai 2011, n° 09PA04053, SCI Les Bleuets). » (Question écrite n°06859 du 13 juin 2013 et réponse publiée le 26 septembre 2013 au JO Sénat).
Il ne s’agit que d’une réponse ministérielle, qui n’a pas de valeur juridique (et se fonde, au demeurant, sur un arrêt qui concerne un refus d’accès et non une suppression d’accès).
Mais ces deux éléments permettent de considérer que le principe d’une suppression d’accès existe.
Et ce, d’autant, que la jurisprudence prévoit un principe d’indemnisation dans ce type d’hypothèse (B.) ce qui suppose que la suppression de l’accès puisse être légalement décidée.
S’agissant des conditions, au vu des rares décisions rendues dans ce domaine, il semble qu’il faille appliquer les mêmes conditions que pour un refus.
En effet, et en toute logique, le refus et la suppression devraient réunir les mêmes conditions pour permettre de porter atteinte à cet « accessoire » au droit de propriété.
B. Une suppression donnant lieu à indemnisation
La jurisprudence du Conseil d’Etat considère que la suppression d’un accès à la voie publique implique une indemnisation.
- Un principe d’indemnisation
Dans la décision Département du Tarn-et-Garonne le Conseil d’Etat a très clairement indiqué :
« Considérant que sauf dispositions législatives contraires, la qualité de riverain d'une voie publique confère à celui-ci le droit d'accéder à cette voie ; que ce droit est au nombre des aisances de voirie dont la suppression donne lieu à réparation au profit de la personne qui en est privée ; » (CE. SSR. 19 janvier 2001, Département du Tarn-et-Garonne, n° 297026, publiée au Recueil).
C’est également ce qu’ont rappelé plus récemment les cours administratives d’appel de Nantes et Lyon (CAA Nantes, 16 juin 2016, 15NT00439 ; CAA Lyon, 11 février 2021, SCI La Salamandre, n° 19LY01823).
Dans ces conditions, le principe d’une indemnisation en cas de suppression d’accès est établi.
- Qui ne s’applique pas si un accès subsiste
En pratique, dans les rares décisions trouvées en jurisprudence, l’indemnisation a été refusée dans la mesure où, en réalité, le propriétaire conservait l’usage d’un autre accès à la propriété (CAA Nantes, 16 juin 2016, 15NT00439 ; CAA Lyon, 11 février 2021, SCI La Salamandre, n° 19LY01823 ; TA Pau, 25 avril 2023, n° 2100862).
Les deux cours ont considéré que cette suppression ne dépassait pas les « sujétions normales imposées aux riverains » d’une voie publique et le tribunal a, quant à lui, estimé que le propriétaire ne démontrait pas un préjudice anormal et spécial.
Même si les raisonnements sont différents, ils aboutissent à la même conclusion, à savoir que quand il y a plusieurs accès, la suppression de l’un d’eux n’ouvre pas droit à indemnisation.
En résumé, il résulte de ce qui précède que le droit d’accès à la voie publique pour les propriétaires riverains est un droit, mais qui connaît un certain nombre de limites :
- Certaines voies spécifiques (autoroutes et voies express notamment) sont exclues de ce principe,
- Pour les autres voies, l’accès peut être refusé dans certaines conditions strictes en cas d’atteintes à la voie ou à la sécurité des usagers,
- Une suppression peut également être prononcée pour un accès existant dans les mêmes conditions, mais donne droit à une indemnisation s’il s’agit du seul accès au terrain.
Février 2025
Bruno Roze
Melian Avocats AARPI
Avocat au barreau de Paris
Me contacter : cliquez ici