Harcèlement sexuel : quels recours pour les victimes ?

Publié le 13/05/2012 Vu 5 028 fois 0
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Dans une décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le conseil constitutionnel abroge les dispositions de l’article 222-33 du Code pénal selon lesquelles : « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

Dans une décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le conseil constitutionnel abroge les dispositions de l’a

Harcèlement sexuel : quels recours pour les victimes ?

Cette abrogation prend effet à compter de la publication de la décision du Conseil et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Le Conseil constitutionnel a fait application de sa jurisprudence constante relative au principe de légalité des délits et des peines.

Ce principe, qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, implique que le législateur définisse les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis.

Or, les membres du Conseil Constitutionnels ont estimé que l’expression « faveurs de nature sexuelle » n’était pas suffisamment précise pour caractériser ce délit.

En attendant que le législateur ne se penche à nouveau sur cette définition, quels recours restent-ils aux victimes de tels agissements ?

I – RAPPEL DES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU DELIT DE HARCELEMENTS SEXUEL ABROGE

1° Eléments constitutifs de l’infraction réprimée par l’article 222-3 du Code pénal

Le harcèlement sexuel est constitué par des actes de toute nature, dès qu’ils visent à l’obtention de faveurs de nature sexuelle.

Il n’est pas nécessaire que ces faveurs aient été effectivement obtenues, mais la volonté d’atteindre cet objectif doit être caractérisée.

Les manifestations du harcèlement sexuel sont souvent les mêmes : la lourdeur et la grossièreté.

Les juges ont pu retenir les propos grivois, des attouchements déplacés, les sollicitations graveleuses par téléphone ou par courriers électroniques ou papiers.

  • Des cadeaux peuvent également caractériser le harcèlement : le fait d'offrir des sous-vêtements à la victime, par exemple (CA Aix-en-Provence, 5 févr. 2001 ; les juges n'ont relaxé l’employeur dans cette affaire que parce qu'aucun abus d'autorité n'avait pu être caractérisé, ce qui n'était plus exigé par l’article 222-33 C. pénal abrogé).
  • L'impression causée par un uniforme militaire (Cass. crim., 12 juin 2002),
  • Les promesses de promotions, de meilleures conditions de travail ou autres avantages en échange de rapports sexuels (Cass. crim., 20 nov. 2002),
  • Les menaces de licenciement ou de renvoi, l'affectation à des tâches pénibles ou considérées comme dégradantes dans l'entreprise (Cass. crim., 18 févr. 2004).

Cependant, une simple coloration sexuelle ne suffit pas. Il faut encore un certain degré d'inconvenance.

Les manifestations du harcèlement sexuel ont en commun leur violence et la négation du désir et de la dignité de la victime, ravalée au rang d'objet ; c'est le cas lorsque :

  • l'auteur refuse de tenir compte de manifestations de “refus clair et dénué d'ambiguïté” de la victime, et se livre à des gestes et contact “non désirés par elle” et “contre sa volonté” (Cass. crim., 21 nov. 2007),
  • l'employeur qui exerce sur ses salariées une pression quasi quotidienne par ses allusions à connotation sexuelle et ses gestes déplacés pour obtenir des faveurs de nature sexuelle (Cass. crim., 30 sept. 2009).

 

2° Evolution législative : le contexte du travail n’est plus exigé pour caractériser le délit de harcèlement sexuel

La loi du 17 janv. 2002 a supprimé l'exigence des rapports de travail ou de subordination qui étaient auparavant requis en rendant ainsi  à l'infraction de harcèlement sexuel son visage de droit commun.

Bien que la pratique ait démontré que c'est essentiellement dans les rapports de travail que le harcèlement est invoqué et constaté, cette modification juridique a permis pendant 10 ans de réprimer les agissements de harcèlement de la vie courante.

 

II – SANCTION DU HARCELEMENT SEXUEL APRES LA DECISION DU 04 MAI 2012

Au-delà du Code pénal, le harcèlement sexuel est défini et sanctionné, de manière comparable dans le Code du travail.

1° Harcèlement sexuel défini et réprimé par le Code du travail

Selon l'article L. 1153-1 C. trav. : “Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits”.

Depuis la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les intéressés sont, non seulement protégés contre toute sanction ou licenciement, mais encore contre toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment, en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat (C. trav., art. L. 1153-2).

La directive européenne du 5 juil. 2006 vise un acte unique et définit le harcèlement sexuel comme “la situation dans laquelle un comportement non désiré est lié au sexe d'une personne (Journal Officiel de l'union européenne 26 Juillet 2006). Un acte isolé paraît donc suffire à caractériser le harcèlement sexuel.

Pour autant, l'article L. 1153-1 du Code du travail envisage “les agissements de harcèlement”.

Le pluriel employé laisse à penser que le harcèlement sexuel nécessite des agissements répétés.

La Cour de cassation retient, dans cette logique, que l'envoi, avant un recrutement, de photos érotiques et d'un texte sur le port du string en réunion relève de la blague de mauvais goût mais non d'un harcèlement car l'acte est unique (Cass. soc., 14 nov. 2007).

Autres exemples jurisprudentiels constituant des faits de harcèlement sexuel :

  • une multiplication de cadeaux, d'appels et de messages téléphoniques (Cass. soc., 3 mars 2009) ;
  • des propos déplacés ou obscènes (CA Dijon, ch. soc., 16 mai 2002. – Cass. soc., 1er déc. 2011) ;
  • des propos à caractère sexuel par l'envoi de messages électroniques, hors du temps et du lieu de travail (Cass. soc., 19 oct. 2011) ;
  • une attitude particulièrement inconvenante qui avait choqué leur pudeur (Cass. soc., 12 mars 2002) ;
  • des gestes déplacés ayant une évidente connotation sexuelle (CA Paris, 22e ch. B, 28 mai 2002 – Cass. soc., 30 nov. 2005) ;
  • la tentative d'un cadre d'embrasser une salariée contre son gré, sur le lieu de travail, de l'emmener à son domicile en renouvelant des avances de nature sexuelle, de l'appeler fréquemment par téléphone en dénigrant la relation affectueuse que celle-ci entretient avec un tiers (Cass. soc., 24 sept. 2008) ;

En l’absence de coloration sexuelle certains agissements peuvent aussi être qualifiés de harcèlement moral.

Dans un arrêt rendu le 4 avril 2012, la Cour d’Appel de TOULOUSE rappelle que la loi du 27 mai 2008 portant transposition de la directive européenne 2002/73/CE du 23 sept. 2002 proscrit :

« tout agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Les articles L 1153-1 et suivants du code du travail interdisent le harcèlement sexuel dans les relations de travail, ainsi que tout acte de discrimination, toute sanction ou licenciement envers un salarié pour avoir subi, refusé de subir, témoigné ou relaté de tels agissements.

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercé par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de cesser ces agissements.

Résumé des faits soumis au contrôle de la Cour d'Appel de TOULOUSE :

Après s'être confiée à une collègue en invoquant les propos déplacés à connotation sexuelle tenus par un collègue, la salariée a remis à l'employeur une lettre de son époux relayant ses doléances. Après un dépôt de main courante puis une plainte, une réunion a été organisée au cours de laquelle le collègue a reconnu au moins partiellement son comportement.

Cette chronologie des faits, le besoin de la salariée de parler de ce qui lui arrivait en dépit des difficultés que cela ne manquerait pas de générer dans son emploi, l'impression de se sentir "salie, violée" comme elle l'indique devant les services de police, la reconnaissance partielle par son collègue de propos à connotation sexuelle évidente établissent suffisamment le harcèlement sexuel dont s'est plainte la salariée Il ne peut être considéré que la confrontation, finalement vaine, caractérise une démarche suffisante de l'employeur pour remédier à la situation et permettre à la salariée de retrouver des conditions de travail sereines.

Au contraire, dès la semaine suivante, l'ambiance dans le service était délétère, les employeurs faisant état de la réticence de l'ensemble du personnel à travailler avec la salariée, celle-ci se sentant dès lors à juste titre mise à l'écart.

L'hostilité avérée manifestée son égard tant de la part du personnel que de l'employeur, alors qu'aucun élément objectif ne permet de justifier une telle attitude affectait les conditions de travail et était susceptible de porter atteinte à sa dignité et à sa santé physique et mentale.

Elle a enfin été brutalement évincée, son nom ne figurant plus sur le planning.

Cette attitude des employeurs est humiliante et participe au harcèlement moral qui est dès lors suffisamment caractérisé.

En conséquence, un harcèlement sexuel et moral est retenu et l’employeur est condamné à ce titre.

Le licenciement, compte tenu du lien établi avec la dénonciation par la salariée des faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime, est annulé.

L’article L. 1155-2 du Code du travail dispose que « Les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, sont punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 € ».

A ce jour, ces dispositions ne sont pas contestées et continuent donc d’être appliquées devant les juridictions prud’homales.

2° Requalification des faits en agression sexuelle

L’agression sexuelle proprement dite se caractérise comme étant tout acte impudique, directement exercé sur une personne de l'un ou l'autre sexe, sans qu'elle y ait consenti et sans pénétration de sa personne ; il s’agit d’un délit.

Le viol se distingue des autres agressions sexuelles en ce qu’il s'entend de tout acte de pénétration sexuelle imposé à la victime, il s’agit d’un crime.

Le viol est donc une agression sexuelle qui implique la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

La majorité des agressions sexuelles sont constituées par des attouchements ou des caresses du sexe, des fesses, des cuisses, de la poitrine éventuellement accompagnés de baisers sur le corps ou la bouche (CA Metz, 11 mars 1993. – CA Limoges, 19 janv. 1994. – CA Pau, 4 mai 1994).

L’agression sexuelle exige également une intention coupable consistant dans la connaissance du fait de commettre un acte immoral ou obscène contre le gré de la victime. L’agression sexuelle est lourdement réprimée par le Code pénal.

En effet, si l’infraction est commise:

  • à l'égard d'une victime ordinaire (C. pén., art. 222-27) : 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende ;
  • sur une victime vulnérable (C. pén., art. 222-27) : 7 ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende.

EN CONCLUSION

Le harcèlement moral ou sexuel existe fréquemment dans l'enceinte de l'entreprise et l’abrogation de l’article 223-33 du Code pénal n’aura pas d’incidence directe sur la réparation du préjudice subi par les salariés malheureusement victimes de tels agissements.

Hors contexte professionnel, les victimes espéreront obtenir une requalification des poursuites pénales sous le chef d’agression sexuelle, voire même de viol en attendant une redéfinition de l’infraction par le législateur.

Claudia CANINI Avocat à la Cour e-cabinet : www.canini-avocat.com

Nos précédentes interventions sur le thème du harcèlement moral et/ou sexuel :

  • "Hommes/femmes : ce que change change l'affaire DSK " Sexe policé ou police des sexes " propos recueillis par Marie GUICHOUX pour Le nouvel Observateur (26 mai au 1er juin 2011)
  • " Agressions sexuelles: des frontières juridiques floues entre séducteur et harceleur" propos recueillis par Carine FOUTEAU pour Médiapart (1er juin 2011)

Pour aller aller plus loin, vous pouvez consulter nos précédents articles :

http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/agressions-sexuelles-harcelement-responsable-5663.htm

http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/harcelement-sexuel-seduction-personnelle-limites-3261.htm

http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/harcelement-nouvel-arrete-ministeriel-juillet-2882.htm

http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/harcelement-moral-sexuel-quelles-sont-2787.htm
http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/mars-2010-harcelement-violence-travail-2279.htm

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