Arbitrage international et controverses contractuelles en RDC : Analyse du cas Manono Lithium

Publié le 21/07/2025 Vu 474 fois 0
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Le différend sur le lithium de Manono en cours avec AVZ Minerals , la RDC, signe un autre accord avec Kobold Metals. Qu’en est-il en droit d'arbitrage et des investissements ? Que faire au finish?

Le différend sur le lithium de Manono en cours avec AVZ Minerals , la RDC, signe un autre accord avec Kobold

Arbitrage international et controverses contractuelles en RDC : Analyse du cas Manono Lithium

Joseph YAV KATSHUNG

 

Professeur des Universités, Avocat ; Arbitre Agréé auprès du CAMC/O ; Mandataire Agréé en Propriété Industrielle et Membre du comité de l’AIFOD [Artificial Intelligence for Developing Countries Forum]

 

 

1.    Liminaires

 

Le développement des projets miniers dans des zones à forte richesse naturelle s’accompagne souvent de tensions politiques, juridiques et économiques. Le cas du projet Manono Lithium et étain en République Démocratique du Congo (RDC) illustre à quel point les litiges entre États et investisseurs privés peuvent affecter la stabilité juridique, les perspectives économiques et la confiance des partenaires internationaux.

 

Manono, territoire du sud-est de la RDC, regorge de lithium, métal stratégique pour la transition énergétique mondiale. Mais ce trésor souterrain, qui pourrait transformer la vie de milliers d’habitants, est aujourd’hui prisonnier d’une bataille juridique complexe. Derrière les documents officiels, les ordres de procédure et les promesses d’investisseurs, une réalité brutale se dessine : celle d’un peuple oublié. Depuis plusieurs années, le projet Manono Lithium et Étain porté par AVZ Minerals[1] s’enlise dans des querelles administratives et arbitrales avec le gouvernement congolais. Au cœur du litige : le refus d’accorder le permis d’exploitation PR 13359 à Dathcom Mining SA, filiale d’AVZ, malgré une ordonnance du tribunal international CIRDI exigeant cette reconnaissance.

Mais au lieu de se conformer à cette décision, le gouvernement congolais a pris une autre direction : celle de la signature d’un accord-cadre parallèle avec Kobold Metals[2], une entreprise américaine qui ambitionne de développer la même zone litigieuse. Depuis, des interrogations persistent quant au respect des engagements antérieurs, notamment vis-à-vis de la société australienne AVZ Minerals Limited et les espoirs de la population locale.

 

2.    Cadre juridique de l’arbitrage international : entre obligations et contournements

 

L’arbitrage international, notamment celui institué par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)[3], permet aux investisseurs d’attaquer les États en cas de violation de leurs obligations contractuelles ou conventionnelles. Dans le cadre du différend opposant AVZ Minerals à la RDC, les sociétés AVZ International Pty Ltd, Green Lithium Holdings Pte Ltd et Dathcom Mining SA ont saisi le CIRDI (affaire ARB/23/20) pour contester le refus de la RDC d’octroyer un permis d’exploitation minière (PE) pour le périmètre PR 13359 à Dathcom.

 

En droit international des investissements, notamment tel que codifié dans les traités bilatéraux d’investissement et les règles du CIRDI, un État a l’obligation de respecter les principes de traitement juste et équitable, non-discrimination, et surtout le respect des décisions arbitrales en cours. Cette procédure incarne une tentative de faire respecter le droit international des investissements, y compris les garanties contre l’expropriation injustifiée et le traitement équitable et non discriminatoire des investisseurs étrangers. Le 16 janvier 2024, le tribunal arbitral CIRDI a adopté une ordonnance procédurale (PO3) imposant à la RDC de reconnaître Dathcom comme titulaire légitime du PR 13359, en excluant le périmètre PR 15775. Cette décision provisoire visait à préserver les droits d’AVZ pendant la procédure arbitrale et à éviter toute action unilatérale du gouvernement pouvant compromettre la finalité du litige.

 

3.    La signature du contrat avec Kobold Metals : une entorse au processus arbitral ?

La récente signature en date du 17 juillet 2025 d’un accord entre la RDC et Kobold Metals[4], visant à développer la section sud du projet Manono,  terrain inclus dans PR 13359, s’apparente à une violation manifeste de l’ordonnance PO3 du tribunal arbitral. En effet, en dépit de l’interdiction implicite contenue dans PO3, la RDC a semblé ignorer les injonctions du tribunal en concluant des engagements commerciaux contradictoires avec des tiers. Cet acte peut être analysé comme une violation supplémentaire des obligations procédurales pouvant renforcer l’argument de l’inexécution fautive du gouvernement congolais. Selon le droit procédural arbitral, une telle conduite peut être considérée comme une atteinte aux droits procéduraux de l’investisseur, voire une forme de déni de justice. Le CIRDI, par sa jurisprudence constante, considère que l’inexécution des décisions provisoires peut aggraver la responsabilité de l’État hôte et conduire à des sanctions financières ou politiques[5]. Les standards de traitement équitable et non-discriminatoire, reconnus par la Convention CIRDI et les traités bilatéraux d’investissement, sont ici mis à l’épreuve.[6]

 

Cette situation révèle un dilemme complexe entre souveraineté nationale et engagement international. D’un côté, la RDC dispose du droit de gérer ses ressources naturelles et de nouer des partenariats stratégiques, notamment pour améliorer sa position dans les chaînes d’approvisionnement mondiales du lithium. De l’autre, elle est tenue de respecter les engagements pris avec les investisseurs et les arbitrages en cours. L’incohérence entre ses actes unilatéraux et les mécanismes internationaux pourrait éroder la crédibilité de son système juridique et affecter sa capacité à attirer de futurs capitaux.

 

4.    Souveraineté étatique et responsabilité internationale

 

La RDC, comme tout État souverain, conserve le droit de réguler l’accès à ses ressources naturelles. Toutefois, cette souveraineté est encadrée par des obligations internationales lorsqu’elle s’est engagée contractuellement via des traités d’investissement ou en acceptant la compétence du CIRDI. La doctrine reconnaît que l’État ne peut invoquer sa souveraineté pour se soustraire à des obligations juridiques consenties librement.[7] En signant un nouvel accord sur un périmètre en litige, la RDC contrevient au principe de bonne foi et met en péril la cohérence de sa politique d’investissement. Le droit international impose notamment : le respect des décisions arbitrales ; le traitement équitable et non discriminatoire des investisseurs étrangers ; l’interdiction de mesures arbitraires ou abusives et ; le devoir de bonne foi dans la conduite des relations économiques.

 

La signature de l’accord avec Kobold Metals[8] sans résolution préalable du litige avec AVZ peut être interprétée comme une violation du principe de sécurité juridique et une conduite non conforme aux standards internationaux de gouvernance et surtout une responsabilité envers ses citoyens. Signer un contrat sur une zone en litige fragilise la sécurité juridique du nouveau partenaire, expose l’État à des dommages et intérêts en cas de manquement reconnu, et surtout, prolonge inutilement le blocage du projet, retardant les bénéfices pour le peuple de Manono.

 

5.    Les impacts sociaux du blocage du projet Manono : Le peuple au centre des tensions

 

Loin des considérations juridiques et stratégiques des entreprises et des gouvernements, la population locale de Manono vit au rythme des espoirs miniers suspendus. Le projet Manono Lithium ne représente pas uniquement un enjeu économique pour la RDC, mais incarne également un levier potentiel de transformation socio-économique pour une région longtemps marginalisée. Ce trésor, qui pourrait transformer la vie de milliers d’habitants, est aujourd’hui prisonnier d’une bataille juridique complexe. Derrière les documents officiels, les ordres de procédure et les promesses d’investisseurs, une réalité brutale se dessine, celle d’un peuple qui se sent oublié.

 

Depuis plusieurs années, le projet Manono Lithium et Étain porté par AVZ Minerals s’enlise dans des querelles administratives et arbitrales avec le gouvernement. Chaque retard, chaque signature contestée, chaque manœuvre politique a une répercussion directe sur les habitants de Manono. Ils attendent depuis des années les retombées de ce projet : emplois, routes, infrastructures de santé, éducation… En somme, une vie meilleure. Ce qui leur est offert à la place : silence, confusion, promesses reportées.

 

L’article 1er   de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement (1986)[9] affirme que « le droit au développement est un droit inaliénable de toute personne et de tous les peuples ». Or, la paralysie du projet Manono prive les communautés locales de retombées socio-économiques significatives. Cela laisse place à des frustrations croissantes et alimente la perception d’un mépris gouvernemental envers les populations qui devraient pourtant être les premières bénéficiaires du boom minier.

 

La RDC ne peut aspirer à une gouvernance minière moderne tout en écartant ses citoyens des discussions. Il ne suffit pas de vanter les mérites du lithium dans les cénacles internationaux, il faut aussi garantir que ce développement ne s’effectue pas aux dépens des droits humains et du progrès social.

 

Les litiges entre AVZ Minerals et le gouvernement sont complexes, certes. Mais dans cette bataille, le plus urgent n’est pas la victoire d’un groupe minier sur un autre. Le plus urgent, c’est la dignité de Manono. Il est temps de changer de cap en accélérant une résolution équitable du litige pour débloquer le développement. Le monde surveille les ressources stratégiques. Le lithium de Manono est convoité, certes, mais son exploitation ne doit pas se transformer en nouvelle malédiction des ressources. Oui, le peuple de Manono mérite mieux qu’une place en bas de page des contrats internationaux. Il est temps que les promesses minières deviennent des réalités humaines. Que faire dans l’entre-temps ?

 

6.    Possibilités de résolution et implications pour les chaînes d’approvisionnement mondiales du lithium

 

Le projet Manono se situe à un moment stratégique pour l’industrie mondiale du lithium. Les tensions commerciales entre superpuissances et la transition énergétique rendent la sécurisation de l’approvisionnement en lithium critique. La résolution rapide et équitable du litige permettrait à la RDC de jouer un rôle plus affirmé sur la scène mondiale. Toutefois, pour que des discussions aboutissent à un accord durable, il est impératif que la RDC démontre une volonté de respecter les décisions arbitrales et intégrent ses obligations dans le processus de négociation avec Kobold Metals et AVZ.

 

Le chevauchement contractuel entre AVZ et Kobold expose la RDC à des revendications en dommages-intérêts devant les juridictions arbitrales, à une insécurité juridique décourageant les futurs investisseurs et à une perte de crédibilité internationale en matière de gouvernance minière. La pratique internationale impose à l’État de garantir la stabilité des engagements contractuels, conformément au principe du pacta sunt servanda. Il est temps que le gouvernement adopte une posture cohérente avec ses engagements en évitant la duplication contractuelle sur des zones litigieuses et en assurant la transparence sur la nature des accords conclus. Au demeurant, le droit ne doit pas être un outil de manœuvre politique, mais un cadre de protection pour tous les acteurs, surtout les plus vulnérables.

 

7.    Que conclure ?

 

Sauf constater que le cas du projet Manono illustre les frictions entre ambitions économiques, respect du droit international et souveraineté nationale. L’arbitrage devant le CIRDI constitue un test du sérieux des engagements de la RDC envers les investisseurs internationaux. Alors que les enjeux du développement durable et des chaînes d’approvisionnement en matières premières critiques s’intensifient, il devient crucial que les États africains comme la RDC adoptent une gouvernance juridique cohérente, transparente et respectueuse des engagements contractuels. Le respect de l’ordre arbitral, associé à un dialogue constructif entre les partenaires concernés ; consolider la transparence contractuelle et intégrer les populations locales dans les processus décisionnels est la clé pour transformer le potentiel minier en une réalité bénéfique pour tous les acteurs.

 

Au finish, l’exploitation minière ne peut être dissociée du respect du droit et de l’éthique. La RDC, en tant que pays au potentiel minier immense, doit démontrer sa capacité à conjuguer souveraineté, intégrité juridique et inclusion sociale. Le cas Manono offre une opportunité unique de redéfinir les standards de gouvernance minière dans la région. Faisons qu’il en soit ainsi à l’heure des engagements avec les USA sur les minerais stratégiques !



[1] AVZ Minerals Limited est une société australienne d'exploration minière principalement active dans des projets d'extraction de lithium, notamment le projet de lithium Manono-Kitolo, situé en RDC.

[2] Fondée en 2018, KoBold Metals est une start-up américaine spécialisée dans la recherche de gisements de métaux critiques comme le cobalt, le cuivre ou le lithium.

[3] Le CIRDI est issu de la Convention de Washington du 18 mars 1965. Il s’agit d’une organisation internationale générant des moyens de conciliation et d’arbitrage œuvrant à régler les conflits relatifs aux investissements opposant des États membres à des ressortissants d’autres États contractants (article 25 de la Convention de Washington). Ce dernier traité fixe un code des règles utilisées par le tribunal ad hoc créé pour l’occasion par les parties.

 

[4] Amira Mahfoudi, RD Congo : ce qu’il faut savoir sur l’accord minier avec l’entreprise américaine KoBold Metals, TV5, 19 juillet 2025, https://information.tv5monde.com/afrique/rd-congo-ce-quil-faut-savoir-sur-laccord-minier-avec-lentreprise-americaine-kobold-metals-2785095

 

[5] Cf. Técnicas Medioambientales Tecmed S.A. c. Mexique, Affaire No. ARB(AF)/00/2.

 

[6] NANTEUIL, Arnaud (de),  Les attentes légitimes en droit international des investissements en quête d’unité conceptuelle. In ROBERT-CUENDET, Sabrina (ed.), La protection des attentes légitimes en droit public : approche comparée en droit international, droit européen et droit interne, Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2020, p. 77

 

[7] Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), lire : Jean Charpentier,  L'affaire de la Barcelona Traction devant la Cour internationale de Justice (arrêt du 5 février 1970), Annuaire Français de droit International,  Année 1970,  pp. 307-328

 

[8] Le protocole d’accord a été signé par le ministre des Mines, Kizito Pakabomba, et le directeur général de Kobold Metals en RDC, Benjamin Katabuka. Selon l'entreprise américaine ce partenariat s’articulera autour de trois axes principaux : La numérisation des données géologiques du pays, L’utilisation de technologies avancées, dont l’intelligence artificielle, Et le développement d’un projet de lithium à Manono, dans la province du Tanganyika.

[9] UN General Assembly, Declaration on the Right to Development, A/RES/41/128 (4 December 1986)

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