1. Liminaires
L’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d'Exécution fait parler de lui avec sa révision lors de la 56 eme session tenue à Kinshasa, le 16 octobre 2023.
Cet acte poursuit une finalité : la quête d'efficacité du recouvrement des créances dans l'espace OHADA. Ainsi, lorsque le débiteur ne satisfait pas à son obligation en payant sa créance, le créancier est en droit d’obtenir un titre exécutoire en vue de procéder à l’exécution forcée. Il exerce une poursuite sur les avoirs de son débiteur et, lorsqu’il découvre que cette dernière loge dans ses comptes auprès d’une banque un montant capable de le désintéresser ne serait-ce que partiellement, y fait pratiquer une saisie-attribution.
Toutefois, cette quête d'efficacité de l’AUPSRVE se heurte à des obstacles et génère un abondant contentieux, y compris à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage [CCJA] où l’interprétation et l’application de l’AUPSRVE sont en cause dans plus de la moitié des affaires soumises à la Cour[1]. Les difficultés et controverses se rapportent à certaines questions telles que la notion du tiers saisi, ses obligations et aux conditions de mise en œuvre de sa responsabilité. Ici, nous ne nous focaliserons que sur l’obligation de déclaration faite aux banques en tant que tiers saisis qui fait couler tant d’encre.
C’est avec raison que certains juristes - dont le Bâtonnier Kayudi Misamu Coco, [2018][2] - fustigent qu’il se développe, de plus en plus, dans le chef des créanciers saisissant, un certain acharnement à l’endroit des tiers saisi, surtout lorsque ceux-ci sont des banques. Cette attitude se justifie d’une part, par le désarroi des créanciers qui, après moult tentatives, éprouvent encore des sérieuses difficultés à recouvrer auprès des débiteurs et, d’autre part, par l’idée d’une certaine faciliter à obtenir recouvrement, même au préjudice du tiers saisi, le recours de ce dernier contre le débiteur saisi n’étant pas toujours concluant. Heureusement que la CCJA devient quelque peu regardant après des siècles de sévérité presqu’aveugle.
2. De la rigidité de la CCJA face au défaut de déclaration des banques en tant que tiers saisis.
L'article 156 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution [AUPSRVE] traite du rôle, au demeurant central, que doit jouer le tiers saisi, ici les banques, dans cette mesure d'exécution forcée, ou mieux, détermine l'attitude qu'il est appelé à adopter à l'occasion de la saisie-attribution, ainsi que les sanctions applicables en cas de défaillance. En effet, aux termes de l'article 156 de l'Acte uniforme susvisé : « le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s'il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures. Il doit communiquer copie des pièces justificatives. Ces déclaration et communication doivent être faites sur le champ à l'huissier ou l'agent d'exécution et mentionnées dans l'acte de saisie ou au plus tard, dans les cinq jours si l'acte n'est pas signifié à personne. Toute déclaration inexacte, incomplète ou tardive expose le tiers saisi à être condamné au paiement des causes de la saisie, sans préjudice d'une condamnation au paiement de dommages-intérêts ».
Notons que l’Acte révisé sous réserve de la publication au journal officiel pour sa version finale, tout en sanctionnant toute déclaration inexacte, incomplète ou tardive, modifie ce délai en ce sens à son article 156 : « … Ces déclaration et communication doivent être faites dans les deux jours à l’huissier de justice ou l’autorité chargée de l’exécution et mentionnées dans l’acte de saisie ou, au plus tard, dans les cinq jours si l’acte n’est pas signifié à personne…»
La pertinence de cette disposition – même modifiée - réside dans le fait que la mesure ne peut pas être menée jusqu'à son terme, ou produire le résultat escompté si la tierce personne, le détenteur des sommes appartenant au débiteur, n'apporte pas son concours, en toute bonne foi. Le tiers saisi est, en effet, tenu d'apporter son concours aux mesures d'exécution lorsqu'il en est légalement requis, toute défaillance de sa part pouvant aussi bien entraîner des conséquences fâcheuses pour le saisissant ou le saisi qu'engager sa responsabilité personnelle. C'est ainsi que, de son attitude, dépendra ou non la poursuite de l'opération de saisie. D'où son importance.
Ainsi, le caractère fautif d’une déclaration a toujours été corrélatif d’une intention manifeste du tiers saisi de faire obstacle à la bonne exécution de la saisie, notamment, en posant des actes de nature à empêcher le recouvrement forcé de la créance. On observe qu’à chaque fois qu’elle est arrivée à la conviction que le tiers saisi, dans son attitude, a tenté de faire ou a fait obstacle à l’exécution de la saisie, la CCJA n’a pas manqué de le condamner.
Cette position de la CCJA, – qui semble être très sévère - , s’explique par application de l’ article 38 de l’AUPSRVE qui dispose que les tiers saisis ne peuvent faire obstacle aux procédures en vue de l’exécution ou de la conservation des créances. Ils doivent y apporter leur concours lorsqu’ils en sont légalement requis. Tout manquement par eux à ces obligations peut entraîner leur condamnation à verser des dommages-intérêts. Le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut également et sous les mêmes conditions, être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf son recours contre le débiteur.
Très souvent, il règne une certaine confiance, voire une complicité, dans les relations entre le tiers saisi et le débiteur saisi, soit du fait de leurs rapports d’affaires, soit du fait de leurs affinités, car ce n’est pas par pur hasard que le tiers détient les biens du débiteur. Il n’est donc pas rare que le tiers saisi adopte une attitude tendant à protéger les intérêts du débiteur au détriment du créancier saisissant.
Aussi, l’Acte uniforme après avoir posé le principe de la condamnation du tiers saisi à l’article 38, a prévu des dispositions visant à dissuader toute attitude à entraver. Il s’agit, des articles 81, 154 et 156 de l’AUPSRVE. La seule sanction retenue par l’Acte uniforme en cas d’inexécution des obligations prévues aux articles 38 et 156 de l’Acte uniforme par le tiers saisi, en l’occurrence, l’interdiction de faire obstacle à l’exécution de la saisie et l’obligation de déclarer dans le délai prescrit, est la condamnation de ce dernier au paiement de dommages-intérêts et non le paiement des intérêts de droit.
Selon l’article 156 de l’AUPSRVE, la responsabilité personnelle du tiers saisi est engagée dès lors qu’il fait une déclaration inexacte, incomplète ou tardive.[3]
· Une déclaration est dite inexacte lorsqu’elle ne suit pas rigoureusement la vérité de la situation des avoirs du débiteur saisi. En d’autres termes, une déclaration inexacte est celle par laquelle le tiers saisi ne dit pas clairement ce qu’il détient à l’égard du débiteur. Des telles déclarations inexactes sont fautives. Aussi, le juge se doit de les condamner. Pour la CCJA, les tiers saisis doivent être condamnés à payer les causes de la saisie et le paiement solidaire de dommages-intérêts, dès lors que d’une part, ils ont refusé de payer les causes de la saisie, violant ainsi les dispositions de l’article 164 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution, et d’autre part, ont fait des déclarations inexactes et incomplètes.
· Une déclaration incomplète est celle par laquelle le tiers saisi met à la disposition de l’agent de saisie des informations insuffisantes en occultant ou en taisant certains éléments relatifs soit à l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur, soit aux modalités qui les affectent. Il en est ainsi de la déclaration par laquelle le tiers saisi se contente simplement de déclarer le solde négatif du compte saisi, vingt-quatre heures après la signification de l’acte de saisie, sans mentionner les modalités pouvant affecter ses obligations vis-à-vis du débiteur, ni les éventuelles cessions de créances, délégations ou saisies antérieures, et sans communiquer les pièces justificatives de sa déclaration.
· Une déclaration est mensongère lorsqu’elle contient des mensonges, des faussetés ou des contrevérités. C’est une déclaration inadéquate à la réalité des avoirs du débiteur saisi. Il s’agit, en effet, d’une déclaration par laquelle le tiers saisi déclare une situation des avoirs du débiteur saisi diamétralement opposée à la réalité.
· Une déclaration est tardive lorsqu’elle est faite hors délai, selon que la signification de l’acte de saisie est faite à personne ou non, au tiers saisi. Celui-ci est tenu de faire la déclaration sur le champ lorsque la signification de l’acte de saisie lui est faite à personne [désormais dans les deux jours à l’huissier de justice ou l’autorité chargée de l’exécution et mentionnées dans l’acte de saisie] ou dans les cinq jours lorsque qu’elle ne lui est pas faite à personne. En pareille occurrence, le tiers peut avoir fait une déclaration fidèle à la réalité de la situation des avoirs du débiteur, mais pèche quant au délai dans lequel il adresse sa déclaration à l’agent de saisie.
· Le refus de déclaration. Le tiers saisi qui refuse de déclarer l’étendue de ses obligations en faveur du débiteur saisi ou de communiquer les pièces justificatives commet une faute qui donne lieu à condamnation au paiement des causes de la saisie. L’article 38 de l’Acte uniforme réaffirme l’esprit du législateur communautaire qui considère, notamment, le refus de déclarer, comme un obstacle aux procédures d’exécution ou de conversion des saisies.
3. La CCJA temporise face aux déclarations des banques en tant que tiers saisis.
Dans une espèce récente sous CCJA, 2ème ch., n°202/2021 du 25 novembre 2021, la CCJA fut saisie du recours en cassation d'un arrêt de la Cour d'appel d'Abidjan[4]. Il fut reproché à ce dernier d'avoir violé l'article 156 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AUPSRVE) en estimant qu'un établissement de crédit a fait une déclaration incomplète en ne mentionnant pas des virements exécutés la veille, sur le compte du débiteur.
La Haute juridiction devait dire si l'établissement de crédit avait manqué à son obligation de déclarations, justifiant qu'il soit condamné au paiement des causes de la saisie. Pour ce faire, la Cour procéda à la lecture combinée des articles 156 et 161 de l'AUPSRVE. Elle conclut que l’étendue des obligations d’un établissement bancaire, en tant que tiers saisi, porte sur la nature du ou des comptes du débiteur ainsi que leur solde au jour de la saisie. Par conséquent, un établissement de crédit ne fait pas de déclaration incomplète en omettant de mentionner des transactions effectuées la veille de la saisie sur le compte du débiteur. L'arrêt d'appel est cassé en conséquence.
4. Que conclure ?
La jurisprudence renseigne que la CCJA n’a pas hésité de condamner les tiers saisis à chaque fois qu’elle a tiré la conviction qu’il y avait dans leurs attitudes, l’intention de faire obstacle à la saisie. Le tiers saisi qui manquerait à cette exigence découlant de l’article 156 de l’AUPSRVE s’exposerait à une condamnation aux causes de la saisie. Quoi qu'il en soit, l'article 156 sanctionne les déclarations aussi bien tardives, incomplètes qu'inexactes. Ainsi, la banque comme tiers saisi est appelée à coopérer dès lors qu’elle réceptionne de l’huissier un acte de saisie.
Toutefois, dans l’espèce étudiée supra, la Cour a clarifié les obligations précises des établissements bancaires en matière de saisie. De façon souple, la CCJA, dans son raisonnement, a examiné conjointement les articles 156 et 161 de l’AUPSRVE. Elle a conclu que l'obligation d'un établissement de crédit, en tant que tiers saisi, était de préciser la nature du ou des comptes du débiteur et leur solde au jour de la saisie. Par conséquent, le fait de ne pas mentionner des transactions effectuées la veille de la saisie n'était pas une omission constitutive d’une déclaration incomplète. La rigidité à l’aveuglette semble laisser la place à la tempérance pour plus d’objectivité et de sécurité juridique. Qu’il en soit ainsi avec l’acte révisé.
[1] Les données de la CCJA indiquent qu’un pourcentage de près de 75% des litiges soumis à la haute juridiction implique l’AUPSRVE, ce qui dénote des problèmes posés aux acteurs économiques par l’application de ce texte
[2] Kayudi Misamu Coco, “Le tiers saisi en droit Ohada”, Exposé au 62ème Congrès de l’Union Internationale des Avocats, UIA, Porto, 0ctobre 2018, p. 9
[3] Lire à ce sujet, Maître Abaya Koy Pépé, Les limites à la condamnation du tiers saisi au paiement des causes de la saisie en droit Ohada, in LegalRDC, mars 10, 2021
[4] Arrêt n° 01/20 COM-P rendu le 24 janvier 2020 par la Cour d’appel d’Abidjan