Au-delà du jugement humain : Analyse critique de l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans l’arbitrage à travers l’affaire LaPaglia contre Valve Corp.

Publié le 21/04/2025 Vu 361 fois 0
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Cet article examine de manière critique l’intégration évolutive de l’intelligence artificielle (IA) dans l’arbitrage à travers l’affaire emblématique LaPaglia contre Valve Corp.

Cet article examine de manière critique l’intégration évolutive de l’intelligence artificielle (IA) dan

Au-delà du jugement humain : Analyse critique de l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans l’arbitrage à travers l’affaire LaPaglia contre Valve Corp.

1.    Introduction

 

L’arbitrage, en tant que méthode privilégiée de résolution des différends en dehors des tribunaux traditionnels, a toujours su allier efficacité et impartialité, tout en s’appuyant sur le jugement nuancé des arbitres humains. Ces dernières années, les outils fondés sur l’IA ont commencé à investir la pratique juridique, offrant le potentiel d’une efficacité accrue, d’une meilleure cohérence et d’une réduction des coûts.

 

Toutefois, lorsque l’IA intervient dans les fonctions juridictionnelles essentielles, des questions se posent en matière de responsabilité humaine, de transparence et de fiabilité des décisions rendues. L’affaire LaPaglia contre Valve Corp. constitue le point focal de cette analyse, en interrogeant le moment où l’IA, initialement considérée comme un simple outil de soutien, risque de compromettre l’essence même de la décision humaine.

 

L’évolution de l’Intelligence Artificielle – passée d’un simple mot à la mode à une force technologique majeure – a été remarquablement rapide.[1]

 

2.    Aperçu de l’affaire LaPaglia contre Valve Corp.

 

Dans l’affaire LaPaglia contre Valve Corp., le demandeur a contesté une sentence arbitrale en affirmant que l’arbitre avait excessivement recours à l’IA - faisant spécifiquement référence à l’utilisation de ChatGPT - pour rédiger des parties critiques de la décision.

 

Parmi les allégations principales, il est reproché à l’arbitre d’avoir admis avoir utilisé l’IA pour accélérer la rédaction, invoquant un déplacement imminent comme motif pour hâter la décision. De plus, la sentence est critiquée pour des inexactitudes factuelles, certains passages contenant des assertions et des faits absents du dossier, laissant supposer que du contenu généré par l’IA aurait influencé le résultat. Enfin, l’absence de transparence quant à l’utilisation de l’IA soulève d’importantes préoccupations quant au respect du droit à une décision pleinement motivée et rédigée par un humain, ce qui est fondamental au regard de l’accord d’arbitrage.

 

La pétition du demandeur fait référence à l’article 10(a)(4) du Federal Arbitration Act (FAA) et soutient qu’en « externalisant » ses fonctions juridictionnelles à l’IA, l’arbitre avait outrepassé les pouvoirs qui lui étaient conférés par l’accord d’arbitrage.

 

3.    Implications juridiques de l’utilisation de l’IA dans le cas sous examen.

 

3.1.        Délégation des fonctions juridictionnelles

 

En vertu du Federal Arbitration Act (FAA)  et de la jurisprudence établie aux USA, il incombe aux arbitres de rendre leurs décisions après un examen minutieux du dossier. La référence à l’article 10(a)(4) par le demandeur se rapporte à des affaires où des sentences ont été annulées pour cause de fausse représentation ou de délégation non autorisée du pouvoir décisionnel. Lorsque l’IA est utilisée au-delà d’un rôle de soutien, cela risque de perturber l’équilibre de la supervision humaine et de violer les attentes contractuelles des parties.

 

3.2.        Transparence et respect du droit à un procès équitable

 

Un principe fondamental de l’arbitrage exige que les sentences émergent d’un processus à la fois transparent et susceptible de révision. L’omission de divulguer l’utilisation de l’IA ou l’inclusion d’assertions factuelles non vérifiables obscurcit la logique décisionnelle et porte atteinte au droit des parties à obtenir une décision motivée et responsable. Dans de telles circonstances, une intervention judiciaire pourrait être justifiée si l’IA compromet l’intégrité de la procédure.

 

4.    Les avantages et inconvénients de l’utilisation de l’IA en arbitrage

 

4.1.        Avantages

 

-       Le premier avantage est l’efficacité accrue car les outils d’IA peuvent traiter rapidement de grands volumes d’informations, organiser les preuves et générer des modèles de rédaction. Cela conduit à la diminution du temps de traitement et de rédaction en contribuant à abaisser les coûts globaux de l’arbitrage, au bénéfice tant des arbitres que des parties.

-       Le second est la cohérence et la standardisation tant l’IA permet d’harmoniser le format et le style des sentences, limitant ainsi la variabilité liée à des erreurs humaines. Les systèmes automatisés peuvent également détecter et corriger les incohérences ou erreurs dans les documents.

-       Le troisième réside sur le plan de soutien à la prise de décision. Cela, lorsqu’elle est utilisée en tant qu’outil analytique, l’IA fournit une base de travail qui, après une révision humaine minutieuse, peut contribuer à une évaluation plus approfondie des faits et des précédents juridiques[2].

 

4.2.        Limites

 

Au-delà des avantages, les limites sont présentes et consistent entre autres en :

-       Une atteinte au jugement humain car, un recours excessif à l’IA peut diluer l’élément essentiel du raisonnement humain, indispensable pour apprécier les nuances éthiques et contextuelles. Ainsi, utiliser l’IA au-delà des tâches administratives peut mener à une délégation non souhaitée de fonctions juridictionnelles.

-       Des problèmes d’exactitude et de fiabilité dont les « Hallucinations » de l’IA ou des informations erronées ou fabriquées par les systèmes d’IA et qui peuvent générer des informations qui risquent d’introduire des erreurs dans la sentence finale. Ainsi, Il est impératif que chaque élément produit par l’IA soit vérifié minutieusement par un humain, ce qui peut réduire les gains d’efficacité.

-       L’absence de transparence quant à l’utilisation de l’IA qui peut compromettre la confiance des parties et le respect du droit à un processus équitable. Bien plus, le flou quant à la répartition de la responsabilité entre l’arbitre et l’outil d’IA peut compliquer le règlement des litiges post-sentence.

 

 

5.    Évaluation des principes clés des directives émergentes relatives à l’IA en arbitrage

 

Face à l’évolution rapide des technologies d’IA, la communauté arbitrale a élaboré des directives afin de définir le recours acceptable à l’IA sans compromettre le jugement humain. Deux cadres majeurs se distinguent :

 

5.1.        La non-délégation des fonctions juridictionnelles

 

Les directives du SVAMC (Directives du Silicon Valley Arbitration & Mediation Center)[3] et du Ciarb (Chartered Institute of Arbitrators)[4] insistent sur le fait que, bien que l’IA puisse assister dans les tâches administratives ou de rédaction, elle ne doit en aucun cas remplacer l’analyse indépendante des faits, du droit et des preuves par l’arbitre.

C’est de la sorte que la Directive SVAMC 6 interdit la délégation des responsabilités décisionnelles à l’IA et l’article 8 des Directives du Ciarb autorise l’utilisation de l’IA pour améliorer l’efficacité des procédures, tout en exigeant que l’arbitre conserve le contrôle intégral sur la décision substantielle et vérifie de manière autonome tous les résultats.

Ces principes protègent la responsabilité fondamentale de l’arbitre et garantissent que l’authenticité du jugement humain soit préservée.

 

5.2.        Transparence et divulgation

 

La transparence constitue un pilier essentiel des directives. La Directive SVAMC 7 et l’article 9 du Ciarb imposent la divulgation à toutes les parties de toute information générée par l’IA utilisée dans le processus d’arbitrage. De même, les dispositions de la EU AI Act (Règlement (UE) 2021/XXX sur l’intelligence artificielle)[5], notamment l’Article 52, et les Directives de l’AAA pour l’utilisation de l’IA en arbitrage (2024[6]), Section 5, soulignent l'obligation de rendre compréhensible et accessible la méthode de prise de décision automatisée aux parties concernées.

Une divulgation complète permet aux parties de comprendre et de contester, si nécessaire, l’utilisation de l’IA, garantissant ainsi un processus équitable et transparent.

 

5.3.        Vérification et responsabilité

 

Face au risque que l’IA produise des « hallucinations » ou des informations erronées, les directives imposent une vérification rigoureuse par l’arbitre de tout contenu généré par l’IA. Ce contrôle humain renforcé vise à éviter l’intégration d’éléments infondés dans la sentence finale, garantissant ainsi la responsabilité de l’arbitre et la cohérence de la décision.

 

6.    Défis et perspectives d’avenir

 

Bien que ces directives représentent une avancée majeure, elles demeurent actuellement des instruments de soft law et ne possèdent pas encore de force contraignante uniforme à travers les juridictions. Les défis majeurs existent dont le manque de soutien réglementaire formel peut entraîner des disparités dans le recours et la divulgation de l’IA, rendant leur application inégale ; les systèmes d’IA continuent de progresser rapidement, ce qui risque de rendre obsolètes les directives actuelles. Les futurs outils pourraient intégrer des mécanismes de vérification plus fiables, nécessitant une mise à jour constante des cadres en vigueur. Ainsi, exiger la vérification systématique de chaque contenu généré par l’IA peut représenter une charge supplémentaire pour les arbitres, pouvant atténuer les gains d’efficacité espérés. Bien plus, la frontière entre l’assistance administrative et la prise de décision substantielle peut être floue, ce qui pourrait entraîner des litiges sur le moment où l’utilisation de l’IA excède les limites admissibles, nécessitant éventuellement une intervention judiciaire.

 

Pour l’avenir, il est essentiel que les institutions arbitrales collaborent avec des experts en technologie, des universitaires et des praticiens afin d’élaborer des cadres contraignants, adaptatifs et intégrés aux règles institutionnelles et aux législations nationales. La formation continue des arbitres aux dernières innovations de l’IA et à leurs enjeux devra également être priorisée pour conserver un équilibre entre innovation technologique et intégrité décisionnelle.

 

Que conclure ?

 

Saut dire que l’affaire LaPaglia contre Valve Corp. illustre parfaitement la tension qui existe entre l’avancée technologique et la préservation du jugement humain en arbitrage. Bien que l’IA offre des avantages notables en termes d’efficacité, de réduction des coûts et de standardisation, son intégration soulève d’importantes questions quant à l’érosion de l’autorité juridictionnelle humaine, à la transparence et au respect d’un procès équitable. Les directives émergentes comme celles du SVAMC et du Ciarb constituent une première étape encourageante pour encadrer l’utilisation de l’IA en arbitrage. Toutefois, des questions subsistent concernant leur mise en œuvre, leur obligation et leur adaptation face à l’évolution technologique.

 

L’avenir durable de l’arbitrage intégrant l’IA dépendra de la capacité à développer des normes contraignantes qui sauront évoluer avec la technologie tout en préservant les principes fondamentaux du raisonnement et de la responsabilité humaine. Un dialogue constant entre universitaires, praticiens et experts en technologie est indispensable pour affiner ces cadres et garantir que l’IA demeure un outil d’aide à la décision et non un substitut au jugement humain. Le débat entre technologie et discernement humain en arbitrage ne fait que commencer et influencera inévitablement l’avenir de la résolution des différends.

 

Par Prof. Joseph Yav 

 

 

Arbitre, Avocat et Professeur des Universités [ www.yavassociates.com]

 



[1] Par exemple, une étude récente de Goldman Sachs indique qu’en moyenne 25 % des tâches professionnelles pourraient être automatisées grâce à l’IA, tandis que dans le domaine juridique, ce pourcentage atteint 44 %, signalant ainsi un véritable changement de paradigme ([Global Economics Analyst, The Potentially Large Effects of Artificial Intelligence on Economic Growth, Briggs/Kodnani, 26 mars 2023]). Cependant, l’intégration quotidienne de l’IA par les professionnels de l’arbitrage reste encore relativement modeste. Ainsi, une étude de 2021 menée conjointement par White & Case et l’Université Queen Mary de Londres a révélé que 49 % des praticiens en arbitrage utilisent rarement, voire jamais, d’outils d’IA tels que l’analyse de données ou la révision de documents assistée par technologie. Une autre étude réalisée par le Groupe International d’Arbitrage de BCLP indique des chiffres similaires en 2023 ([BCLP ARBITRATION SURVEY 2023 AI IN IA: THE RISE OF MACHINE LEARNING, 09 novembre 2023]).

[2] Hogan Lovells, “The future of arbitration: New technologies are making a big impact – and AI robots may take on ‘human’ roles,” consulté le 13 mars 2025

[3] Directives du Silicon Valley Arbitration & Mediation Center (SVAMC), publiées le 30 avril 2024.

[4] Directives du Chartered Institute of Arbitrators (Ciarb), publiées en 2025

[5] EU AI Act (Règlement (UE) 2021/XXX sur l’intelligence artificielle).

 

[6] Directives de l’AAA pour l’utilisation de l’IA en arbitrage, 2024.

 

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