Les faits : Une vidéo relayée massivement sur les réseaux sociaux montre un couple de parents adoptifs, âgés de 68 et 70 ans, se faisant notifier une ordonnance d’expulsion de la demeure qu’ils avaient eux-mêmes donnée, sans réserve d’usage, à leur fille adoptive. Le bien, fruit de plus de quarante ans de travail et d’économies, avait été transféré en donation pure et simple, dans un acte notarié, sans clause de droit d’usage ou d’habitation. Aujourd’hui, privés de toit et privés de la reconnaissance pour leur sacrifice, ces parents se retrouvent mis à la porte de leur propre maison par celle qu’ils ont élevée. C’est la générosité qui se retourne contre les donateurs. Mais qu’en est-il en droit ?
En Droit : Cette situation dramatique soulève d’importantes questions juridiques quant aux droits des donateurs (les parents adoptifs) après une donation, aux recours possibles lorsqu’un donataire (bénéficiaire) abuse de la situation (en l’occurrence en expulsant les donateurs de leur logement) tant en France qu’en RDC.
En droit français, une donation entre vifs est en principe irrévocable. D’après l’article 894 du Code civil français, dès lors que la donation est consentie et acceptée dans les formes légales (acte notarié pour les immeubles, selon l’article 931 du Code civil), le bien sort définitivement du patrimoine du donateur pour entrer dans celui du donataire. Le donateur perd tout droit de propriété sur le bien donné, sauf stipulation contraire formelle dans l’acte. Dans le cas présent, les parents adoptifs ont fait une donation pure et simple, c’est-à-dire sans réserve d’usufruit, ni droit d’usage et d’habitation. Il est fréquent que des parents donnent un logement à leurs enfants en se réservant un usufruit viager ou au moins un droit d’usage et d’habitation viager, pour continuer à y vivre jusqu’à leur décès. Ici, aucune clause protectrice n’a été prévue dans l’acte notarié. Juridiquement, la fille adoptive est devenue pleine propriétaire de la maison dès la donation, et les parents donateurs ne disposent plus d’aucun titre juridique pour occuper le logement. Ils sont, en droit strict, de simples occupants sans droit ni titre. Ils n’ont plus de droit réel ni contractuel sur la maison. La fille, en tant que propriétaire, est en droit de disposer du bien, et notamment de le vendre ou d’en reprendre possession pour l’occuper elle-même. Si elle choisit de demander leur départ, et à défaut d’accord amiable, elle peut recourir à la justice pour obtenir leur expulsion en faisant valoir sa propriété. C’est bien ce qui est arrivé. Ça choque mais c’est légal ! Mais en pratique, le faire est un acte grave : avoir une pierre à la place du cœur.
En Droit Congolais, au regard du Code de la famille (loi n°87-010 du 1er août 1987 modifiée en 2016), la situation est semblable car l’article 873 dispose que la donation entre vifs est un contrat de bienfaisance par lequel une personne, le donateur, transfère actuellement et irrévocablement un droit patrimonial à une autre, le donataire qui l’accepte. L’acceptation est faite du vivant du donataire soit par acte authentique soit par acte sous seing privé. Il est permis au donateur de faire la réserve à son profit ou de disposer au profit d’un autre de la jouissance ou de l'usufruit des biens meubles ou immeubles donnés. [ Art. 888.]. Ainsi, l’adoptée est donc propriétaire du bien et peut en jouir comme elle veut. Si comme en droit français, les donateurs congolais n’ont pas réservé d’usufruit ou droit d’habitation, ils sont également sans protection d’occupation. La propriété ayant été transférée à l’enfant, les parents n’ont plus qu’un espoir moral que l’enfant les laisse habiter, mais aucun droit opposable.
Quels sont les droits et recours possibles ? En droit français comme en droit congolais, le donateur d’un bien immobilier se prive en principe de tout droit sur ce bien une fois la donation réalisée, surtout s’il n’a pas pris la précaution de se réserver un usufruit ou un droit d’habitation. La dure réalité est qu’il peut alors être légalement expulsé, le nouveau propriétaire exerçant son droit. C’est pourquoi il est conseillé de mettre des clauses de protection lors de donations aux enfants (ce qui fait cruellement défaut dans notre cas).
Cependant, les deux systèmes juridiques offrent une issue juridique exceptionnelle : la révocation de la donation pour ingratitude du donataire. Mettre à la porte des parents âgés qui vous ont tout donné s’apparente clairement à un comportement ingrat de la part du donataire, justifiant que le juge puisse annuler la donation. En France, ce recours est encadré par les 955 et suivants du Code civil. (délai d’un an, appréciation au cas par cas), mais il a des chances de succès s’il est mené promptement et que les faits choquent la conscience du tribunal. En RDC, le même principe existe et pourrait être accueilli favorablement par des juges sensibles à la solidarité familiale. [Art. 891] La révocation de la donation pour cause d’ingratitude trouve sa justification car en effet, les mobiles qui déterminent, dans le chef du donateur, l'acte de libéralité résidant généralement dans le souci de maintenir les bonnes relations d'amitié ou de sauvegarder la solidarité familiale. Or, tout acte d’ingratitude que pourrait commettre le bénéficiaire de la libéralité à l'égard du disposant détruit l’amitié, désunit les familles. Il est dès lors conforme à l’équité, que le droit autant que la morale puissent sanctionner pareil acte par sa révocation dans les cas suivants : si le donataire a attenté à la vie du donateur ; s’il s’est rendu coupable envers lui des sévices ou injures graves ; s’il lui refuse aide et assistance en cas de besoin. [Art. 892].
Ce troisième cas est particulièrement pertinent en contexte familial. Cela signifie refuser d’apporter l’aide matérielle nécessaire en cas de détresse du donateur. Juridiquement, cela recoupe l’idée que l’enfant a une obligation d’aliments envers ses parents dans le besoin. Refuser de remplir cette obligation de secours peut être considéré comme de l’ingratitude justifiant la révocation de la libéralité, si la situation remplit les critères de gravité requis. Dans l’affaire présente, le fait pour la fille de faire expulser ses parents âgés de la maison qu’ils lui ont donnée peut tout à fait être analysé comme une ingratitude caractérisée. On peut y voir à la fois une injure grave (sur le plan moral, la trahison de la confiance parentale) et un refus de porter assistance (puisque les parents se retrouvent potentiellement sans logement malgré leur grand âge et état de santé, ce qui revient à leur refuser les aliments et l’hébergement nécessaire). Donation ou pas, un enfant ne peut laisser ses parents dans le besoin.
En définitive, quelles que soient les pays, ce drame met en lumière la nécessité pour les personnes envisageant une donation de leur vivant de prévoir contractuellement leur protection (usufruit, droit d’habitation, clause de retour conventionnelle en cas de prédécès du donataire, voire charge d’entretien du donateur). Si la donation est déjà faite et le mal est constaté, il reste aux donateurs la voie judiciaire de l’annulation pour ingratitude, en croisant les doigts pour que justice leur soit rendue avant qu’il ne soit trop tard.
Me Joseph YAV KATSHUNG