Les faits : Il fut un temps où la toge universitaire incarnait la noblesse du savoir, la rigueur intellectuelle et le respect républicain. En RDC, elle semble désormais servir de serviette de table. Il y a quelques jours, des professeurs d’université, porteurs de revendications légitimes : le paiement de leurs émoluments, le respect de leur statut, la reconnaissance de leur dignité sont venus réclamer leurs droits à la Primature et rappeler leur rôle dans la formation des élites nationales. Mais à la fin de cette journée de mobilisation, ce n’est ni une oreille attentive ni une parole engageante qu’ils ont reçue. C’est un pain et une boîte de sardines à huile.
Dans une vidéo devenue virale, on voit ces hommes de savoir, ces bâtisseurs de l’intelligence nationale, se lécher les doigts, visiblement affamés ou résignés. L’image est cruelle. Elle dit tout. Elle dit le mépris institutionnalisé. Elle dit l’abandon de ceux qui forment les cadres et les leaders de demain. Mais au-delà de l’humiliation, c’est une question de droits. Et ces droits ne sont pas anecdotiques : ils sont inscrits dans les textes fondateurs de la République.
En Droit : Le professeur d’université occupe une place centrale dans la construction intellectuelle, civique et économique d’une nation. En RDC, cette fonction est encadrée par des textes juridiques clairs. La Loi n°18/038 reconnaît aux enseignants du supérieur un cadre de carrière structuré, une rémunération équitable, et des conditions de travail dignes. Elle consacre également leur rôle dans le développement national et la transmission du savoir. L’Ordonnance n°81-160 du 7 octobre 1981 précise les grades, les échelons et les obligations du personnel académique, tandis que l’Arrêté départemental n°E.S.U./CABCE/035/83 du 31 janvier 1983 encadre la moralité et la responsabilité des autorités académiques. Pourtant, les conditions de vie et de travail des enseignants du supérieur demeurent précaires, et leur reconnaissance institutionnelle semble de plus en plus symbolique.
Ces textes, bien que toujours en vigueur, semblent relégués au second plan dans la pratique administrative. Les professeurs ont droit à une rémunération conforme à leur grade et à leur ancienneté ; à des conditions de travail décentes et sécurisées ; à une reconnaissance institutionnelle de leur rôle dans le développement national et ; à une protection sociale et à une retraite digne. Mais ce jour-là, tout cela a été réduit à une boîte de conserve. Comme si l’éducation pouvait se troquer contre une sardine. Comme si la dignité pouvait se diluer dans un pain sec. Le pain sec et la boîte de sardines ne constituent pas seulement une réponse logistique à une mobilisation. Ils incarnent une dévalorisation symbolique du savoir. Offrir un tel repas à des professeurs en toge, venus réclamer le respect de leurs droits, revient à nier leur rôle dans la société.
Cette scène, captée et diffusée, devient une métaphore de la condition enseignante : marginalisée, négligée, et parfois tournée en dérision. La réaction des enseignants eux-mêmes - certains se léchant les doigts dans la vidéo - interroge sur le niveau de résignation atteint. Peut-on revendiquer la dignité le matin et l’accepter en conserve le soir ? Cette contradiction révèle une fatigue morale, mais aussi une urgence ; celle de reconstruire une conscience académique collective, capable de refuser l’humiliation et d’exiger l’application des textes.
Au demeurant que dire de plus, sauf affirmer que l’épisode de la sardine n’est pas anecdotique. Il est révélateur d’un malaise profond dans la relation entre l’État et ses enseignants. Il est temps que les autorités appliquent les lois qu’elles ont elles-mêmes promulguées et les accords pris. Il est également temps que les professeurs cessent de se contenter de miettes et réclament le respect, les droits et la reconnaissance qu’ils méritent. Car un pays qui nourrit ses professeurs de sardines ne peut espérer nourrir son avenir de grandeur.
Cette réflexion soulève, en effet, de nombreuses interrogations, notamment celle-ci : le sort du professeur congolais changera-t-il un jour ? L’autorité budgétaire, c’est le Parlement, présidé aujourd’hui par un professeur d’université. Dans le bureau de l’Assemblée nationale siège également au moins un professeur. À la Présidence de la République, les conseillers issus du corps professoral ne manquent pas. Au sein même de l’Union sacrée, plusieurs professeurs occupent des fonctions politiques de premier plan. Alors, comment comprendre que, malgré cette forte présence académique dans les hautes sphères de décision, on ne songe presque jamais à honorer ni à améliorer réellement les conditions du professeur resté dans l’ombre de l’enseignement ? Faut-il en conclure que le professeur congolais devenu homme politique se transforme en loup pour son collègue demeuré sans mandat ?
Prof. Joseph YAV KATSHUNG