1. Liminaires
La République démocratique du Congo (RDC) fournit plus de 70 % du cobalt mondial, indispensable aux batteries lithium-ion et aux véhicules électriques. En février 2025, l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Marchés des Substances Minières Stratégiques (ARECOMS) a suspendu les exportations de cobalt pour cinq mois, puis prolongé l’interdiction de trois mois supplémentaires afin de juguler une surabondance d’offre et stabiliser les cours. Cette décision soudaine a conduit certains acheteurs à évoquer la force majeure. C’est le cas du négociant en métaux IXM, filiale du groupe chinois China Molybdenum (CMOC), qui a annoncé le 30 juin avoir déclaré un cas de force majeure sur ses contrats de fourniture de cobalt. Dans un communiqué, IXM précise que cette interdiction prolongée « rend légalement et pratiquement impossible à ses fournisseurs, dont Tenke Fungurume Mining et CMOC Kisanfu Mining, d’exporter des produits à base de cobalt depuis la RDC », affectant directement sa capacité à honorer ses engagements contractuels. L’objectif de la présente note est de déterminer si une telle intervention réglementaire peut être considérée comme cas de force majeure au regard des clauses contractuelles usuelles, puis d’en tirer des enseignements pour l’élaboration de contrats miniers.
2. Notion de force majeure : définitions et déclencheurs contractuels
La force majeure est communément définie comme un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, rendant impossibles l’exécution des obligations contractuelles. Les critères principaux sont :
- L’imprévisibilité : l’événement ne doit pas pouvoir être raisonnablement anticipé lors de la formation du contrat.
- Le lien de causalité : l’incapacité à exécuter doit découler directement de l’événement.
- L’impossibilité réelle : la performance doit être objectivement impossible, non simplement plus onéreuse ou complexe.
La plupart des clauses de force majeure incluent explicitement les « actes de gouvernement » ou les « changements réglementaires », reconnaissant que les interventions souveraines peuvent affecter les chaînes d’approvisionnement de manière imprévue.
3. Contexte et portée de la suspension des exportations du Cobalt de la RDC
Le 22 février 2025, ARECOMS a interdit l’exportation de tout cobalt, pour les raisons suivantes :
- Écoulement des stocks excédentaires et pressions sur les prix mondiaux.
- Mesure d’application générale, impactant notamment les gisements de Tenke Fungurume et de Kisanfu.
- Retrait estimé à 100 000 tonnes de cobalt du marché mondial sur une période de sept mois.
- Prolongation de l’interdiction le 3 juillet 2025 pour trois mois supplémentaires.
Cette décision, bien qu’orientée vers la stabilisation des prix, a pris de nombreux acheteurs au dépourvu, ne laissant guère de temps pour identifier des sources alternatives ou engager des recours juridiques.
4. Étude de cas : l’invocation de la force majeure par IXM
Le 3 juillet 2025, IXM, entité commerciale de CMOC Group, a notifié la mise en œuvre de sa clause de force majeure sur les contrats d’approvisionnement en cobalt. L’événement déclencheur est la prolongation de l’interdiction d’exportation par ARECOMS et les contrats visés sont les accords d’offtake à long terme portant sur la production de Tenke Fungurume et de Kisanfu. Comme argument évoqué, figure l’impossibilité matérielle de livraison et absence d’alternatives viables à court terme. Cette situation a des effets en chaîne car, Glencore a suivi en déclarant la force majeure, tandis que Cobalt Holdings a annulé son introduction en Bourse de 230 M£.
Malgré ces justifications, l’on peut bien retorquer que l’interdiction relevait d’une décision politique raisonnée plutôt que d’un événement imprévisible, et qu’elle demeurait dans le champ d’exercice normal de l’autorité publique. La portée de la clause contractuelle demeure donc déterminante.
5. Enjeux juridiques et recommandations en matière de rédaction contractuelle
Pour renforcer l’efficience des contrats face à des risques similaires, il convient – entre autres pour l’avenir - de :
- Inscrire explicitement les « interdictions d’exportation », « restrictions commerciales » et « retards de licences » parmi les éléments déclencheurs de force majeure.
- Définir un régime d’alerte gradué, imposant la notification rapide des décisions gouvernementales et la documentation des efforts de recherche d’approvisionnements alternatifs.
- Préciser les seuils d’« impossibilité » en distinguant l’interruption totale de la simple augmentation du coût ou de la complexité.
- Introduire des clauses de flexibilité, permettant l’ajustement des calendriers de livraison ou l’acceptation de livraisons partielles lorsque cela reste envisageable.
Ces aménagements ont pour finalité de clarifier la répartition des risques et limitent les litiges lors de crises géopolitiques ou réglementaires.
6. Conclusion
La suspension des exportations de cobalt décidée par la RDC, et l’appel à la force majeure par IXM, illustrent la vulnérabilité des contrats de matières premières face aux décisions souveraines. Pour qu’une telle invocation soit jugée valide, il faut démontrer l’imprévisibilité de la mesure, un lien direct avec l’impossibilité d’exécution et une clause contractuelle rédigée avec précision.
À l’avenir, les acteurs du secteur minier gagneront à intégrer de manière proactive les risques politiques et réglementaires dans leurs accords, afin de préserver la stabilité de leurs chaînes d’approvisionnement et d’éviter des contentieux coûteux.
Prof. Joseph Yav Katshung
Cabinet YAV & ASSOCIATES
www.yavassociates.com