Les faits : Le 1er septembre 2025, Nestlé a annoncé le licenciement immédiat de son directeur général, invoquant la violation du Code de conduite interne. L’enquête interne, menée avec l’appui de juristes indépendants, a établi que Mr LF entretenait une relation avec une collaboratrice placée sous son autorité directe, sans en avoir informé l’entreprise. Depuis, cela fait couler plus d’encre que de lait concentré.
Dans un monde où les multinationales vendent du rêve en boîte et du lait en poudre, la frontière entre l’ivresse du lait et celle de l’amour devient parfois aussi floue qu’une clause contractuelle mal rédigée. Si l’amour, en tant que fait humain, échappe à toute sanction juridique directe, il devient juridiquement indigeste lorsqu’il interfère avec la gouvernance, l’éthique et la prévention des conflits d’intérêts. Cette affaire, survenue dans un contexte suisse, offre un terrain d’analyse comparée, en particulier sur la manière dont chaque système encadre les interactions entre sphère intime et obligations professionnelles.
En Droit : En Suisse, la liberté de la vie privée est garantie par l’article 13 de la Constitution fédérale et l’article 8 de la CEDH. Toutefois, l’article 321a du Code des obligations impose au travailleur et plus encore au dirigeant, un devoir de fidélité envers l’employeur, dont la violation peut justifier un licenciement immédiat. En d’autres termes, on peut aimer qui l’on veut, mais pas au point de transformer la hiérarchie en romance verticale non déclarée. L’article 321a alinéa 1 dispose que « le travailleur exécute avec soin le travail qui lui est confié et sauvegarde fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur ».
Ce devoir de fidélité comporte deux dimensions ; négative, en s’abstenant de tout comportement susceptible de nuire à l’employeur et ; positive, en informant l’employeur de tout fait pouvant compromettre ses intérêts. La jurisprudence du Tribunal fédéral précise que ce devoir est apprécié avec une rigueur accrue pour les cadres supérieurs. Dans l’arrêt 4A_297/2016, la Haute Cour a jugé qu’un dirigeant qui omet d’informer son employeur d’irrégularités commises par ses subordonnés viole son devoir de fidélité.
Dans le cas Nestlé, la non-divulgation d’une relation hiérarchique directe est l’équivalent juridique d’un lait laissé trop longtemps hors du frigo ; le risque de fermentation est certain, et l’odeur peut vite devenir insupportable pour la gouvernance. En France, la vie privée est protégée par l’article 9 du Code civil et l’article L1121‑1 du Code du travail. Toutefois, la Cour de cassation admet que, pour des postes à haute responsabilité, un comportement privé portant atteinte à l’image ou créant un risque de partialité peut justifier un licenciement (Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22‑16.218).
En RDC, le Code du travail protège également la vie privée, mais ne prévoit pas explicitement l’obligation de déclarer une relation hiérarchique. La sanction disciplinaire n’est possible que si l’employeur prouve un préjudice concret ou un trouble objectif (art. 61 et 62.) Autrement dit, en RDC, l’amour au bureau n’est pas interdit par la loi, mais il vaut mieux éviter qu’il ne se transforme en feuilleton administratif ou en harcèlement sexuel.
L’affaire Nestlé illustre un paradoxe, la protection de la vie privée, principe fondamental, peut être restreinte au nom de la loyauté et de la gouvernance. Dans les trois systèmes, la vie privée est protégée, mais la loyauté et la prévention des conflits d’intérêts peuvent justifier une restriction. En Suisse et en France, la jurisprudence encadre déjà ces situations en élargissant - progressivement - la portée du devoir de fidélité, au risque de transformer le bureau en zone de surveillance sentimentale. En RDC, la sanction serait possible mais plus difficile à justifier, sauf à s’appuyer sur un règlement interne clair et sur la preuve d’un préjudice concret. L’absence de cadre normatif précis laisse aux employeurs une marge d’appréciation importante, mais aussi une insécurité juridique. Il sied d’encadrer clairement des conflits d’intérêts personnels, afin de concilier protection de la vie privée et exigences de transparence.
La tendance internationale est à la transparence proactive, condition essentielle pour préserver la confiance dans la gouvernance. Et si l’on devait résumer cette affaire en une formule : A Nestlé, mieux vaut que le lait reste pur et que l’amour ne se mêle pas aux affaires car dans la gouvernance, les mélanges laiteux-sentimentaux finissent rarement par un dessert.
Me Joseph YAV KATSHUNG