Les faits : Les conflits armés entraînent souvent l’effondrement des structures judiciaires étatiques et, par conséquent, l’émergence de mécanismes alternatifs de règlement des litiges. En RDC, la prise de contrôle de Goma a conduit à la fermeture des tribunaux étatiques. Face à ce vide, les autorités de fait ont mis en place, dès le 29 mai 2025, un « Tribunal d’arbitrage des conflits » chargé de traiter tous les dossiers judiciaires. Il appert dès lors, une tension entre besoins immédiats de justice et exigences de légitimité à l’aune de la réunification future. Cette brève souligne la double réalité d’une justice de fait utile en situation d’urgence et de ses limites durables pour la sécurité juridique et la réconciliation.
En Droit : Les situations de conflit dissocient le pouvoir de juger de la légitimité institutionnelle. Le tribunal arbitral de Goma se présente comme un centre d’arbitrage civil, doté d’arbitres et d’avocats. Si la population y voit le retour d’une justice structurée, l’institution demeure dépourvue de tout statut légal reconnu par l’État congolais. Est-ce un arbitrage institutionnel défini par une institution permanente qui administre la procédure, fournit un greffe, un règlement type et une liste d’arbitres agréés ; exige une clause compromissoire précisant l’institution choisie et son règlement d’arbitrage ? Ou un arbitrage ad hoc organisé « à la carte » par les parties : elles nomment elles-mêmes arbitres et fixent règles et calendrier, sans recours à un centre permanent ; nécessite néanmoins une convention d’arbitrage écrite (compromis ou clause) qui confie expressément le litige à l’arbitrage ?
Le « Tribunal d’arbitrage » de Goma ne correspond ni à un arbitrage institutionnel classique, ni à un arbitrage ad hoc au sens technique : Il s’agit d’une véritable chauve-souris de l’arbitrage qui a des allures d’institution (comme un oiseau) et des ingrédients d’un arbitrage ad hoc (comme une souris), mais il n’est ni l’un ni l’autre. À la manière du mammifère volant, il opère dans l’obscurité du « vide » laissé par la disparition des tribunaux : On a l’impression d’un dispositif solide (greffe, audience publique, actes écrits), alors que tout repose sur une légitimité factuelle, non légale. Comme la chauve-souris qui émet ses ultrasons pour se guider, ce tribunal utilise des procédures empruntées pour statuer, sans suivre aucun règlement institutionnel connu ou acte ad hoc valide. Sous sa peau d’« arbitrage » se cache une mécanique de pouvoir exercée par un mouvement armé : La compétence n’est pas issue du consentement libre et éclairé des parties, mais d’une décision unilatérale de l’autorité de fait. Ni oiseau, ni souris : Quelles conséquences ?
Sur le plan juridique, on ne peut ni l’homologuer comme un arbitrage institutionnel, ni l’appeler ad hoc faute de clause écrite. La seule qualification réaliste demeure celle de sui generis : Un mécanisme hybride, inclassable, qu’il faudra soit intégrer dans un cadre transitoire sur-mesure, soit neutraliser purement et simplement en le renvoyant aux oubliettes du non-droit.
En somme, comme la chauve-souris fascine par son étrangeté, ce tribunal auto-institué suscite l’interrogation : Comment traiter dans un même élan la nécessité d’une justice d’urgence et l’exigence d’une légalité reconnue ? Le tribunal arbitral de Goma illustre ainsi, la dualité de la justice en période de conflit : Outil indispensable pour limiter l’anomie, mais source d’insécurité juridique à long terme. La phase post-conflit exige une politique prudente afin de garantir la restauration de l’État de Droit tout en préservant la stabilité sociale. Nous y reviendrons !
Me Joseph YAV KATSHUNG, Arbitre agréé.