1. Liminaires
Le 2 septembre 2025, la Cour de cassation de la RDC a condamné Constant Mutamba, ancien ministre de la Justice. L’accusation ? Avoir transféré 19 millions de dollars, destinés à la construction d’une prison à Kisangani, vers une société privée présumée fictive. Un geste qui, selon la Cour, constitue un détournement de deniers publics. Cette décision a été saluée par certains comme la preuve que « nul n’est au-dessus de la loi », mais elle a aussitôt suscité le doute, était-ce vraiment un acte de délinquance intentionnelle ou une faute de gestion maladroite aux conséquences politiques désastreuses ?
Ainsi, en RDC, il est parfois plus périlleux de signer un virement que de traverser le boulevard du 30 Juin. L’« affaire Mutamba » en offre une illustration grinçante, un ministre de la Justice qui promettait de réformer l’appareil judiciaire, de traquer les détourneurs et de redorer le prestige de la fonction publique. Las ! À vouloir manier la guillotine judiciaire contre d’autres, il s’y est retrouvé lui-même, les cheveux maladroitement entremêlés dans la lame. Trois ans de travaux forcés et cinq ans d’inéligibilité, voilà le sort du « réparateur de la justice malade », piégé par la mécanique institutionnelle qu’il espérait dompter.
2. Faute de gestion, infraction pénale ou quand le dol tricote ses preuves ?
Il ne faut pas confondre l’acte criminel et la bévue administrative. Mal signer un contrat, accélérer une procédure, choisir des exécutants douteux, tout cela peut relever de la faute de gestion, punissable par le contrôle administratif, la Cour des comptes, l’Inspection Générale des Finances ou des sanctions disciplinaires. Grave, oui, mais pas forcément pénal. Dans une démocratie, les maladresses bureaucratiques devraient mener au blâme, non à la cellule. L’infraction pénale, elle, suppose un dol spécial, cette intention maligne, tapie derrière les chiffres. Dans l’affaire Mutamba, les 19 millions de dollars n’ont jamais quitté le giron de l’État grâce à un blocage bancaire opportun. Mais la Cour a retenu qu’en les détournant de leur affectation légale, même pour un instant, le ministre avait franchi la ligne rouge de l’article 145 du Code pénal. Autrement dit, pas besoin d’une manne évaporée dans les paradis fiscaux, quelques clics suffisent, si leur logique est frauduleuse.
3. Le paradoxe Mutamba, du justicier au condamné et la criminalisation excessive
Dans cette affaire, l’ironie est mordante. Celui qui rêvait de guillotiner les détourneurs finit par s’y coincer lui-même. On retient la métaphore historique de ROBESPIERRE, guillotiné par la Révolution qu’il avait servie. Ici, Mutamba n’a pas trouvé l’échafaud place publique, mais un arrêt cinglant de la Cour de cassation congolaise. Un symbole cruel, la justice qu’il voulait réinventer l’a englouti, démontrant que nul n’échappe à ses engrenages, quitte à ce qu’elle coupe indistinctement têtes corrompues et chevelures d’idéalistes imprudents. Certains crient à une criminalisation excessive comme une arme politique et un piège administratif. Pour eux, faire de toute maladresse une infraction pénale n’est pas seulement injuste, c’est dangereux. Cela transforme la justice en guillotine administrative, abattant indistinctement l’incompétence – la maladresse - et la corruption. Le risque est alors double ; d’un côté, les juges deviennent bourreaux symboliques ; de l’autre, les ministres n’osent plus agir, paralysés par la peur. Une gouvernance efficace ne peut vivre dans l’ombre permanente du couperet pénal.
4. Que conclure ?
L’affaire Mutamba restera dans les annales de la justice congolaise, moins pour son verdict que pour les questions qu’elle soulève : comment punir efficacement les vrais détournements, sans criminaliser chaque erreur de gestion ? Ce que révèle l’affaire Mutamba, au-delà du destin d’un homme, c’est le besoin vital de cartographier correctement la frontière entre faute de gestion et crime financier. Faute de ce GPS juridique, la justice congolaise ressemble encore à une guillotine aveugle, elle frappe durement, mais sans toujours discerner s’il s’agit d’un détourneur cynique ou d’un gestionnaire maladroit. Un État de Droit digne de ce nom doit réprimer les voleurs publics, certes, mais sans transformer chaque erreur d’un ministre réformateur en condamnation expiatoire. La réponse appartient aux réformes à venir. Un État de droit équilibré devrait protéger les deniers publics sans transformer chaque ministre imprudent en délinquant patenté. Mais quand l’on persiste dans l’erreur, que faire ? C’est repréhensible !
Prof. Joseph YAV KATSHUNG