Prof. Joseph YAV KATSHUNG
1. Liminaires
Le 30 juin, date emblématique de l’indépendance de la République Démocratique du Congo, devrait incarner un moment d’unité mémorielle et de transmission intergénérationnelle. Pourtant, l’affiche commémorative récemment publiée par la RTNC, censée illustrer la trajectoire présidentielle du pays, suscite une controverse de taille. La publication d’une affiche officielle à l’occasion du 65eme anniversaire de l’indépendance, ne représentant que quatre des cinq présidents de la RDC, soulève des interrogations d’ordre juridique, historique et institutionnel. L’absence remarquée de Joseph Kabila, quatrième président de la RDC durant 18 années, y résonne moins comme une omission que comme une tentative de réécriture historique. Elle cristallise une dérive plus profonde de l’instrumentalisation de la mémoire collective par l’appareil étatique. Cette dynamique survient paradoxalement à un moment où la RDC vient de signer un accord de paix avec le Rwanda - une démarche censée promouvoir la pacification et l’unité sur le plan interne et régional.
2. L’effacement institutionnalisé d’une mémoire controversée
Au regard du droit constitutionnel, la présidence est une institution permanente, non soumise à la subjectivité des narrations officielles. En effaçant un ancien président dans une affiche émise par un organe public, l’État adopte une posture partisane contraire au principe de continuité institutionnelle. Une telle exclusion porte atteinte au droit à la vérité historique, qui conditionne le droit des citoyens à une mémoire collective complète, base même de la citoyenneté constitutionnelle. La mémoire collective, pour être légitime, ne peut s’accommoder d’une vérité partielle. Car dès lors qu’un pouvoir choisit ce qu’il convient de se souvenir ou d’oublier, il transforme l’histoire en outil d’hégémonie. Cette instrumentalisation affaiblit non seulement l’indépendance des institutions médiatiques, mais elle fragilise aussi le socle démocratique d’un pays déjà éprouvé par les récits concurrents et les fractures institutionnelles.
Diriger un État pendant 18 ans ne saurait être anecdotique. Quelles que soient les controverses entourant son passif et son actif, Joseph Kabila demeure une figure centrale de l’histoire politique congolaise contemporaine.
3. La RTNC : service public ou relais de la mémoire du pouvoir ?
Le service public de l’audiovisuel est constitutionnellement tenu à une mission de neutralité et de pluralisme. En agissant comme un relai de la mémoire sélective, la RTNC compromet sa légitimité, trahit le droit à l’information objective et affaiblit la fonction pédagogique qu’elle doit exercer dans un État de Droit. L’omission de l’image de Kabila dans une représentation officielle orchestrée par le média public national – qui se targue d’être une église au milieu du village - ne saurait être neutre : elle reflète une forme de narration orientée où le silence devient discours. C’est dangereux car c’est une manipulation symbolique et un effritement démocratique.
Cette posture n’est pas anodine dans un contexte où la presse publique joue un rôle crucial dans la formation de la conscience nationale. En devenant tributaire de l’agenda politique du moment, elle trahit sa vocation première : informer, documenter et transmettre sans filtre partisan. Le traitement historique ne saurait être gouverné par des intérêts partisans sans mettre en péril la culture démocratique.
4. Que dire de plus pour une vérité historique constitutionnalisée ?
L’exclusion volontaire de segments de l’histoire dans les représentations officielles constitue une atteinte à la mémoire constitutionnelle du pays. À l’heure où des accords de paix sont signés, cette pratique risque d’instiller davantage de méfiance que de réconciliation. En effet, la signature récente d’un accord de paix entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, aurait pu constituer une opportunité stratégique pour raviver l’esprit d’unité nationale autour d’un projet de cohésion régionale. Au lieu de cela, l’effacement de figures-clés du passé renforce la suspicion quant à la sincérité du processus. Comment construire la paix avec l’« Autre » si l’on n’est pas capable d’assumer l’intégralité de son propre récit politique ? La paix repose d’abord sur l’intégration des récits, pas sur leur censure.
L’histoire, en tant que pilier de la cohésion nationale, ne peut être à géométrie variable. Elle doit être complète, assumée et mise au service de la vérité, condition sine qua non de la légitimité institutionnelle et de la paix durable. L’histoire d’un peuple n’appartient ni à un régime ni à une idéologie. Elle est un héritage partagé, complexe et parfois contradictoire. Effacer un pan, aussi controversé soit-il, revient à fragiliser notre capacité collective à tirer des leçons du passé, à nommer les erreurs, et à construire un avenir ancré dans la vérité. La cohésion nationale commence par un respect rigoureux de notre mémoire collective - dans sa totalité. Faisons qu’il en soit ainsi !