Les faits : La proposition du gouverneur de Kinshasa visant à instaurer une alternance de circulation basée sur le dernier chiffre de la plaque d’immatriculation s’inscrit dans une réponse urgente aux embouteillages chroniques de la ville de Kinshasa. Le dispositif prévoit – excepté le dimanche - que les véhicules à chiffres pairs circulent exclusivement lors des jours pairs et, inversement, que ceux à chiffres impairs soient restreints aux jours impairs. S’il paraît innovant en surface, ce mécanisme soulève cependant des questions tant sur le plan juridique que pratique, en particulier en raison des exceptions accordées à certaines catégories de véhicules. Au cœur de la problématique se trouve également le manque de civisme routier, facteur déterminant de l’efficacité de toute mesure de régulation.
En Droit : La mesure de restriction de mobilité Pair/Impair à Kinshasa s’appuie principalement sur les dispositions de la loi n°78-022 du nouveau Code de la route qui confère au pouvoir exécutif une marge d’intervention pour préserver l’ordre public et fluidifier le trafic. Cependant, l’application d’un critère purement numérique, sans considération des diverses réalités du parc automobile, peut être perçue comme arbitraire. En limitant la liberté de mouvement et en créant une catégorisation expéditive des usagers de la route, cette réglementation risque de violer le principe fondamental d’égalité devant la loi. Un contrôle de proportionnalité apparaîtrait alors nécessaire pour s’assurer que la restriction aux droits individuels soit justifiée par des bénéfices tangibles en matière de décongestionnement et d’ordre public.
L’efficacité et la proportionnalité de la mesure font l’objet d’un débat important. La stratégie pair/impair, en se limitant à un ajustement temporel de la circulation, apparaît simpliste face à la complexité du problème de congestion. En effet, l’astuce ne prend pas en compte d’autres leviers essentiels tels que le développement des infrastructures routières ou l’amélioration du réseau de transport en commun. De plus, les multiples exceptions – qui concernent notamment les véhicules officiels, diplomatiques, scolaires, les ambulances et les transports en commun – risquent d’affaiblir l’impact de la mesure. Ces dérogations, souvent détournées dans la pratique, contribuent à engendrer des comportements déviants, comme l’abus des privilèges par les officiels ou encore le stationnement anarchique des taximen et taxi motos, ce qui contrecarre l’objectif initial de fluidifier le trafic.
Face à ces défis, l’intégration d’un véritable civisme routier apparaît comme indispensable. La réussite d’une telle politique ne se limite pas à la mise en place d’un dispositif coercitif assorti de sanctions. Elle nécessite également des actions de sensibilisation et d’éducation en faveur d’un comportement responsable sur la voie publique. L’implantation de systèmes de contrôle technologiques - par exemple via la vidéosurveillance et la géolocalisation - combinée à une communication transparente sur les règles et leurs fondements, peut contribuer à instaurer une discipline collective. Une gestion rigoureuse des exceptions, assujettie à des audits réguliers et assortie de sanctions dissuasives en cas d’abus, doit venir renforcer le dispositif afin de garantir l’équité et la crédibilité de l’ensemble de la politique de mobilité.
En conclusion, la mesure alternée de circulation à Kinshasa, bien qu’animée par la volonté de désengorger les routes, soulève des interrogations quant à sa légitimité juridique, sa proportionnalité et sa mise en œuvre effective. Les dérogations accordées aux véhicules officiels et autres services essentiels, par leur application souvent inégale et parfois détournée, risquent de miner la confiance des citoyens et d’aggraver le problème de congestion. Pour que cette initiative atteigne ses objectifs, il est capital que le gouverneur et son équipe adoptent une approche globale intégrant la modernisation des infrastructures, le renforcement des dispositifs de contrôle et, surtout, une réelle promotion du civisme routier. Seule une stratégie concertée et multidimensionnelle peut relever les défis de mobilité tout en préservant l’État de Droit et en instaurant une culture de responsabilité partagée sur les routes de Kinshasa.
Me Joseph YAV KATSHUNG