Les faits : À l’aube du 65ème anniversaire de son indépendance, la RDC se trouve à un carrefour décisif. L’ampleur de ses ressources minières offre un potentiel de développement sans pareil, mais demeure souvent synonyme de « malédiction des ressources ». Oui, la RDC en est un cas emblématique car elle regorge de minerais stratégiques et d’autres richesses de valeur mondiale. Pourtant, cette abondance ne s’est pas traduite par le bien-être de la population. L’histoire post-coloniale de la RDC a été marquée par l’instabilité politique, des conflits armés récurrents et une gouvernance défaillante, souvent en lien avec la course au contrôle de ses ressources naturelles. Que faire, pour briser ce paradoxe et que ces richesses deviennent un véritable vecteur de stabilité et de prospérité inclusive ?
En Droit : la RDC dispose d’un cadre juridique visant à mieux gérer ses ressources, mais son application est plombée. La Constitution consacre la souveraineté de l’État sur les ressources du sol et du sous-sol, censées être exploitées dans l’intérêt du peuple. Le Code minier révisé en 2018, établit des règles plus strictes pour l’octroi des titres, augmente les taxes et redevances sur les substances stratégiques et prévoit une part des revenus miniers pour les communautés locales et un Fonds pour les générations futures – mais qui sont consommés actuellement. En théorie, ces dispositions devraient assurer une meilleure redistribution des richesses et financer l’après-mine. Mais hélas, l’instabilité et la prédation s’érigent en lois.
Dans un contexte de pressions géopolitiques croissantes, la RDC a opté pour la signature de deux accords majeurs : l’un avec le Rwanda, sous l’égide des États-Unis, visant à stabiliser l’Est du pays et à encadrer l’exploitation minière transfrontalière ; l’autre avec les États-Unis eux-mêmes, portant sur un partenariat stratégique autour des minerais critiques (cobalt, cuivre, lithium), en échange d’un soutien sécuritaire et d’investissements dans les infrastructures. Ces accords sont porteurs d’espoir mais soulèvent aussi des inquiétudes.
D’un côté, ils pourraient contribuer à briser le cycle de violence et à structurer une gouvernance régionale plus transparente des ressources. Le texte signé ce 27 juin à Washington avec le Rwanda prévoit notamment la création d’un cadre d’intégration économique régionale, la formalisation des chaînes de valeurs minières, et des audits conjoints.
De même, le projet de partenariat USA-RDC ambitionne de sécuriser les sites miniers, d’attirer des investissements responsables et de renforcer la traçabilité des minerais. Mais d’un autre côté, ces initiatives risquent de reproduire les logiques extractivistes du passé si elles ne s’accompagnent pas d’un renforcement effectif des institutions congolaises.
L’accord avec le Rwanda, bien qu’ambitieux, intervient dans un climat de méfiance persistante mais pose également un problème de droit concernant le cadre constitutionnel contraignant en matière de traités. En effet, la Constitution de la RDC, en son article 214, impose que certains types d’accords internationaux - notamment les traités de paix, d’alliance et de commerce - ne peuvent être conclus qu’après autorisation du Parlement. Le même principe est consacré par l’article 189 de la Constitution rwandaise de 2015. Ces articles traduisent une exigence démocratique fondamentale : soumettre les engagements internationaux sensibles à la délibération et au contrôle des représentants du peuple.
L’accord en question a été formulé pour entrer en vigueur dès sa signature, ce qui correspond à un accord en forme simplifiée. Ce type d’accord, bien que reconnu en droit international, est généralement réservé aux engagements de moindre portée. Or, ici, l’enjeu porte sur la paix, la sécurité transfrontalière, et l’exploitation de ressources stratégiques - autant de domaines hautement sensibles et politiquement engageants, qui exigent une ratification parlementaire formelle.
En faisant abstraction des procédures de ratification, les gouvernements de la RDC et du Rwanda ont non seulement violé leurs Constitutions respectives, mais également minoré la souveraineté parlementaire au profit d’une diplomatie exécutive expéditive. Cela crée un précédent dangereux : celui où des engagements internationaux structurants peuvent contourner les mécanismes de légitimation démocratique au nom de l’efficacité ou des intérêts stratégiques. En conséquence, du point de vue strictement juridique, cette absence d’autorisation parlementaire pourrait rendre l’accord contestable sur le plan interne, voire inopposable devant certaines juridictions. Elle expose également les parties à des critiques internationales, notamment sur leur respect de l’État de Droit. En somme, cette illégalité formelle jette une ombre sur la légitimité et la pérennité de l’accord. Quand un traité de paix viole les Constitutions des deux États signataires au nom d’une sécurité prométhéenne, que reste-t-il de notre foi dans l’État de droit ?
Quant à l’accord avec les États-Unis, certains analystes y voient une forme de « minerais contre influence », d’une logique d’échange « sécurité contre minerais» où la RDC pourrait céder une part stratégique de sa souveraineté économique en échange d’une paix incertaine. La clé réside dans la mise en œuvre. Si ces accords sont appliqués – de bonne foi - avec rigueur, transparence et participation citoyenne, ils pourraient marquer un tournant vers une exploitation plus équitable et durable des ressources. À l’inverse, s’ils servent de façade à des intérêts géopolitiques ou à des arrangements opaques, ils risquent de renforcer la malédiction plutôt que de la conjurer. L’avenir repose donc sur l’édification d’un État de Droit fort, capable de conjuguer pacification, transparence et développement endogène.
Ce triptyque conditionne non seulement la sauvegarde de la souveraineté nationale, mais aussi la conversion durable des minerais en richesse partagée. Ainsi, la RDC peut amorcer une nouvelle phase de son histoire, où la paix et ses ressources naturelles deviennent le socle de l’épanouissement de tous ses citoyens. Croisons donc nos doigts !
Me Joseph YAV KATSHUNG