Les faits : L’accord de paix signé le 27 juin 2025 entre la RDC et le Rwanda est présenté comme une avancée diplomatique majeure en faveur de la stabilité régionale. Toutefois, sa mise en œuvre immédiate dès la signature, sans aucune autorisation parlementaire préalable, soulève une question fondamentale : peut-on légitimement rechercher la paix durable en contournant le droit constitutionnel ?
En Droit : Les Constitutions congolaise et rwandaise tracent pourtant une ligne claire en matière de ratification des traités sensibles. L’article 214 de la Constitution de la RDC de 2006, révisée en 2011 stipule que les traités de paix ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi votée par le Parlement. La Constitution rwandaise de 2015, en son article 189, consacre la même exigence. Ces dispositions traduisent une exigence démocratique fondamentale : soumettre les engagements internationaux sensibles à la délibération et au contrôle des représentants du peuple. C’est précisément cette étape fondatrice que l’accord du 27 juin semble avoir ignorée en n’ayant pas suivi le processus de sa naissance constitutionnelle prévu à l’article 214, qui exige son adoubement par une loi interne. Parler de « loi » implique un acte voté par l’Assemblée nationale, examiné et adopté par le Sénat, puis promulgué par le Président de la République et publiée au Journal officiel. Ce processus est le sceau républicain de la légitimité normative.
L’accord en question a été formulé pour entrer en vigueur dès sa signature, ce qui correspond à un accord en forme simplifiée. Ce type d’accord, bien que reconnu en droit international, est généralement réservé aux engagements de moindre portée. Or, ici, l’enjeu porte sur la paix, la sécurité transfrontalière, et l’exploitation de ressources stratégiques - autant de domaines hautement sensibles et politiquement engageants, qui exigent une ratification parlementaire formelle. En faisant abstraction des procédures de ratification, les gouvernements de la RDC et du Rwanda ont non seulement violé leurs Constitutions respectives, mais également minoré la souveraineté parlementaire au profit d’une diplomatie exécutive expéditive. Cela crée un précédent dangereux : celui où des engagements internationaux structurants peuvent contourner les mécanismes de légitimation démocratique au nom de l’efficacité ou des intérêts stratégiques. Cette pratique pose deux problèmes majeurs :
D’une part, elle contrevient à la hiérarchie des normes, reléguant les constitutions nationales au second plan au profit d’une logique de gouvernance exécutive rapide. La paix, pourtant un bienfait en soi, ne peut devenir le prétexte à une suspension des règles fondamentales qui structurent l’État de Droit. D’autre part, cet arrangement met en cause la légitimité démocratique de l’accord. Sans débat parlementaire (même si ça ne pourrait rien changer au vu de sa composition), les citoyens sont exclus du processus décisionnel sur des enjeux critiques : sécurité, ressources stratégiques, souveraineté territoriale. Cette marginalisation institutionnelle fragilise la réception nationale de l’accord et ouvre la voie à sa contestation juridique, possible.
L’enjeu minier sous-jacent à cet accord complique davantage la donne. L’alliance « sécurité contre minerais », dont les contours ont été publiquement évoqués par les autorités américaines, insinue que l’accord répond aussi à des intérêts économiques étrangers, notamment pour garantir l’accès aux métaux critiques de la région. Un tel contexte rend d’autant plus impérieux le respect des procédures constitutionnelles, seules à même d’encadrer démocratiquement ce type de partenariats. En somme, la violation des exigences de ratification ne saurait être banalisée. Elle interroge le fondement même de la gouvernance constitutionnelle : peut-on accepter qu’au nom de la paix ou de la realpolitik, les règles garantes de l’État de Droit soient mises entre parenthèses ?
Face à ce précédent, la vigilance s’impose. Il en va non seulement de la valeur juridique de l’accord du 27 juin, mais plus largement de l’avenir du constitutionnalisme en Afrique centrale ou de l’Est, à l’heure où les enjeux globaux tendent à précipiter les décisions au détriment des garanties démocratiques. Même dans l’hypothèse de la ratification après coup selon l’article 213 de la constitution de la RDC, qui parle d’informer l’assemblée et le sénat après ratification, la question demeure et ça dérange.
Me Joseph YAV KATSHUNG et Me Edo NTARIBI BAHUMBU, Avocats au Barreau du Lualaba