A propos de l’exécution de la décision rendue par le Tribunal de Commerce de Lubumbashi nommant un Administrateur provisoire de Tenke Fugurume Mining [ TFM] en République Démocratique du Congo

Publié le 11/07/2022 Vu 3 000 fois 0
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La décision du Tribunal de Commerce de Lubumbashi nommant un Administrateur provisoire de Tenke Fugurume Mining au Congo, nous donne l’occasion d’étudier les questions de son exécution en droit.

La décision du Tribunal de Commerce de Lubumbashi nommant un Administrateur provisoire de Tenke Fugurume Mini

A propos de l’exécution de la décision rendue par le Tribunal de Commerce de Lubumbashi nommant un Administrateur provisoire de Tenke Fugurume Mining [ TFM] en République Démocratique du Congo

1.    Liminaires 

 

Toute décision judiciaire a vocation à être exécutée. Il y a là une exigence ontologique et téléologique : le procès est orienté vers la réalisation matérielle de la justice, pour que le gagnant voie son droit effectivement satisfait.  « Ce qui compte pour lui, ce n’est pas tant le brevet de satisfaction que constitue la décision de justice que la réalisation effective du droit litigieux »[1] ou, précise G. de Leval, « la suppression de l’état » qu’il a combattu.[2]

La force exécutoire dont le jugement[3] est revêtu, constitue une garantie de l’État de droit, lequel implique que les décisions de justice et autres titres exécutoires soient respectés, et proscrit que les particuliers puissent à cette fin se faire justice à eux-mêmes. C’est aussi, dans un cadre plus privé, quoique relevant de l’organisation des pouvoirs publics, une exigence du procès équitable, qui requiert que les décisions de justice soient opérantes et qu’elles ne restent pas lettre morte[4]C’est donc avec raison que G. de Leval affirme que « l’attribut essentiel de tout jugement est de s’imposer ; tout jugement doit être respecté »[5]. Mais, à quel prix et dans quelles conditions ?

La décision sous RAC 2924 rendue par le Tribunal de Commerce de Lubumbashi en date du 28 février 2022 nommant un Administrateur provisoire de la société  Tenke Fugurume Mining [TFM] en République Démocratique du Congo, et qui fait polémique dans les milieux politique, économique, social et juridique,  nous donne l’occasion d’étudier la question technique liée à son exécution du point de vue – purement- de droit en faisant abstraction à d’autres considérations factuelles voire les mérites des réclamations des parties quant au fond du litige.  

2.    Rappel du contentieux et survenance de la décision du Tribunal de Commerce 

Un différend oppose la société GECAMINES SA à China Molybdenum [CMOC], actionnaires de la Société TENKE FUNGURUME MINING [TFM] dont les gisements constituent l'une des plus importantes réserves de cuivre et de cobalt connues au monde. Le conflit entre les deux partenaires porte sur la hauteur des redevances dues à la partie Gécamines SA sur les réserves supplémentaires de cuivre ainsi que la réévaluation des parts de cette Société dont l’État est actionnaire unique. 

 

A la genèse du dossier CMOC-GECAMINES, une Commission spéciale a été mise en place par le Président de la République lui-même afin de régler ce différend avec des implications des ministres des finances et des mines sans réelles avancées. C’est ainsi que la Gécamines saisira la justice.    

L’on peut lire au premier feuillet du jugement sous RAC 2924 que par son assignation en désignation d'un administrateur provisoire datée du 23 décembre 2021, la Gécamines, a attrait par devant le Tribunal de Commerce de Lubumbashi, la Société TFM SA, pour s'entendre : 

-       Dire la présente recevable et amplement fondée, faire application de l’article 160-1 et suivants de l'acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et groupement d'intérêt économique ; 

-       Nommer un administrateur provisoire à la tête de la société TFM SA et lui investir des pouvoirs de gestion ; 

-       Dessaisir les actuels dirigeants sociaux de tous les pouvoirs de gestion sur la société perdant toute la période de l’administration provisoire ; 

-       Dire que l'administrateur provisoire dispose d'un mandat général de gestion sur la société ; 

-       Dire la décision à intervenir exécutoire sur minute et ce nonobstant les voies de recours.

Que faisant suite à cette assignation, le tribunal a fait droit à la requête de la Gécamines en nommant Monsieur NGOIE MBAYO Sage en qualité d'administrateur provisoire de la société TFM SA. Quant à l’exécution provisoire demandée, par la Gécamines comme relevé supra, le tribunal se limite à dire dans son dispositif que le présentjugement est exécutoire sur minute[Voir 13eme feuillet in fine]. Cela ressort même dans son développement fait au 12 eme feuillet en ces termes : que s’agissant de la clause d’exécution sur minute [sic] de la présente décision, la doctrine enseigne qu’en cas d’extrême urgence et de nécessité absolue, le président peut requérir dans son ordonnance de référé, l’exécution sur minute de celle-ci Que c'est pourquoi, compte tenu de l’urgence qu'entoure la désignation de l'administrateur provisoire et la nécessité d'assurer une paix entre les associés… »

Qu’il est clair que le jugement fait allusion à « l’exécution sur minute de la décision » en lieu et place de « l’exécution provisoire nonobstant tout recours » et que les conséquences de droit doivent être tirées.   

3.    Décision exécutoire sur minute et Décision dont l’exécution provisoire est décidée : Mêmes effets ou des oiseaux de mêmes couleurs ?     

Rappelons que l’exécution sur minute n’équivaut pas à l’exécution provisoire nonobstant tout recours. En d’autres termes, l’on ne doit pas confondre l’exécution sur minute d’avec l’exécution provisoire, même si les deux peuvent avoir la même finalité́. Si l’exécution sur minute a lieu sur simple orignal de la décision du juge c’est-à-dire qu’elle peut être exécutée, vu l’urgence, sur la seule présentation de la minute (l’original) de la décision du juge et sans qu’il soit nécessaire de signifier au préalable au débiteur une expédition (une copie) de la décision revêtue de la formule exécutoire[6]l’exécution provisoire quant à elle permet au gagnant d’exécuter la décision en dépit de l’effet suspensif des voies de recours ordinaires, mais l’oblige de faire apposer la formule exécutoire avant de procéder à l’exécution provisoire.

 

Comme relevé supra, il appert que le Tribunal de Commerce de Lubumbashi, en décrétant de façon expresse que « le présent jugement est exécutoire sur minute », ce qui n’est pas la même chose avec « l’exécution provisoire nonobstant tout recours », a été en défaut de prononcer l’exécution provisoire pourtant bien sollicitée par la partie demanderesse, la Gécamines ; et en conséquence, admet les voies de recours dont l’appel dans le cas d’espèce, qui est suspensif de son exécution.  

 

En effet, les décisions de justice ne sont pas toutes exécutoires dès qu'elles sont rendues par les juges car, le recours en appel suspend en principe les effets de la décision attaquée. Cependant, le principe de « l'exécution provisoire » est une exception à l’effet suspensif du recours en appel. Par conséquent, pour que les décisions de justice soient exécutoires malgré le recours en appel, il est nécessaire que le juge indique expressément à la fin de sa décision que celle-ci est exécutoire en ordonnant « l'exécution provisoire ». Cette formule apparait non seulement dans le corps de la décision et dans le "par ces motifs" qui est la conclusion du juge.

 

C’est dans ce sens que la Cour d’Appel de Kinshasa – Gombe a récemment tranché sous RMUA 670 du 26 février 2021, dans l’affaire société CINQ CONTINENTS SARL contre SCTP SA [ Ex- ONATRA] en arrêtant que : « …La Cour constate que la décision attaquée a été rendue exécutoire sur minute et non nonobstant tout recours, de sorte que le délai pour faire appel ainsi que la déclaration d’appel sont suspensifs d’exécution…”[7]

 

Cet arrêt de principe, n’est qu’une suite logique des prescrits légaux dont la loi portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce No 002-2001 du 03 juillet 2001 qui dispose en ses articles 32 2t 39 que « l’exécution provisoire du jugement nonobstant appel ou opposition, peut être ordonnée avec ou sans caution conformément à l’article 21 du Code de procédure civile » et « l’appel du jugement rendu par le tribunal de commerce est porté devant la Cour d’Appel. Il est suspensif, si le jugement ne prononce pas l’exécution provisoire. ».   

 

A défaut d'exécution provisoire, il faudra attendre le caractère définitif du jugement pour poursuivre l'exécution. Le jugement ne deviendra définitif qu’:

-       Après la signification d'une décision rendue en premier et dernier ressort ( non susceptible d'appel ) ;

-       Après l'expiration du délai d'appel 

-       En cas d'appel, après le prononcé de l'arrêt rendu par la cour.

 

4.    Que conclure ?

 

Sauf affirmer que le Tribunal de Commerce a usé de sa volonté de juge qui conserve le pouvoir de prononcer ou non l’exécution provisoire. Ainsi, le juge peut tout à fait écarter [sauf dans les cas où cela lui est expressément interdit] l’application de l’exécution provisoire dans les cas où il estime qu’elle serait en réalité incompatible avec la nature de l’affaire, s’appréciant in abstracto, c’est-à-dire, avec la nature de l’affaire et non au regard des circonstances de fait. 

Au regard des enjeux en la matière, tout laisse croire que - bon gré malgré - le tribunal s’est demandé s’il prenait le risque de rendre la situation irréversible en décidant de ne pas écarter l’exécution provisoire. Si la réponse à cette question est positive, alors le juge peut écarter l’application de l’exécution provisoire pour éviter qu’il ne soit un chèque en blanc en laissant les oiseaux faire leurs nids d’ouillet !

 

 

 



[1] Van Boxstael, Jean-Louis. L'exécution provisoire sauf opposition et nonobstant appel. In: Jean-François van Drooghenbroeck (dir.) ; "Le Code judiciaire en pot-pourri. Promesses, réalités et perspectives", Larcier, 2016, p. 289-323

[2] G. DE LEVAL, Traité des saisies. Règles générales, Liège, Faculté de droit, 1988, n° 3, pp. 6-7).

[3] Tout jugement, incluant donc dans cette catégorie les ordonnances et les mesures avant dire droit. Lire, Closset-Marchal, « Considérations sur la nature et le régime des décisions de justice», note sous Cass., 24 janvier 2013, R.C.J.B., 2014, p. 269, n° 15, et p. 276, n° 29. 

[4] J. VAN COMPERNOLLE, « Le droit à l’exécution : une nouvelle garantie du procès équitable », in G. DE LEVAL et M. Storme (éds.), Le droit processuel & judiciaire européen, Bruxelles, La Charte, et Brugge, die Keure, 2003, pp. 475 et s. 

[5] G. DELEVAL, « L’exécution provisoire des jugements en matière patrimoniale », in Liber amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou réalité ? Bruxelles, Larcier, 2007, p. 251 

 

[6] J. DJOGBENOU, OHADA : Exécution forcée, 2ème éd. CREDIJ, Cotonou, 2011, p. 71.

 

[7] Lire au 9 eme  feuillet, 3 eme paragraphe de l’Arrêt dans l’affaire société CINQ CONTINENTS SARL contre SCTP SA

 

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