A propos de la mise en œuvre de la règlementation des exportations des concentrés de cuivre et de cobalt au Congo

Publié le 10/09/2020 Vu 2 713 fois 0
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Au Congo, la question de mise en œuvre de la règlementation des exportations des produits miniers marchands fait la une. Cet article en trace les péripéties, relève les incohérences et débouche sur un plaidoyer.

Au Congo, la question de mise en œuvre de la règlementation des exportations des produits miniers marchands

A propos de la mise en œuvre de la règlementation des exportations des concentrés de cuivre et de cobalt au Congo

Les Provinces du Haut-Katanga et du Lualaba qui regorgent la plupart des sociétés minières du pays furent inquiètes de la décision du  Gouvernement de la République à travers  le Ministère des Mines par sa lettre référencée CAB.MIN/MINES/01/00252/2020 du 22 février 2020 mettant fin au moratoire  de mise en œuvre de la règlementation des exportations des produits miniers marchands, principalement les concentrés de cuivre et de cobalt, six mois après ladite lettre, soit ce 22 août 2020. 

 

Pour rappel, la Fédération des Entreprises du Congo avait saisi, en 2019, le Ministère des Mines sollicitant la prorogation du moratoire en évoquant les difficultés liées au déficit énergétique. Le Gouvernement avait reconduit, en mars 2019, le moratoire accordé aux sociétés minières qui produisent les concentrés de cuivre et de cobalt. A cette occasion, elles avaient été appelées à tout mettre en œuvre pour obtenir, à la fin de leur processus de traitement, des produits marchands plus élaborés, à même de leur permettre, ainsi qu’à l’État, de tirer les meilleures recettes de la production. Mais – à date - sans  une évaluation sérieuse, il est difficile pour quiconque d’apprécier l’opportunité de la levée ou du maintien de ce moratoire. 

 

1.    DU DEFICIT DE L’ENERGIE ELECTRIQUE COMME FONDEMENT DU MAINTIEN OU DE LA PROLONGATION DU MORATOIRE

 

Le Gouvernement de la République ayant constaté que le secteur des mines ne bénéficiait pas à l’économie congolaise, du fait du manque de la valeur ajoutée a à travers la révision, en mars 2018, du Code minier de juillet 2002 levé des grandes options pour le développement socio-économique de la République Démocratique du Congo. Entre autres options, l’industrialisation du secteur minier, lequel est consacré par l’article 108 bis du code minier et est libellé comme suit : 

 

« Sans préjudice des articles 64 alinéa 1er littéra e, 88, 99 et 146 du code minier, le titulaire d’un droit minier d’exploitation ou d’une autorisation d’exploitation de carrière permanente est tenu de traiter ou de faire traiter les substances minérales en produits marchands dans ses propres installations ou auprès des entités de traitement agréées établies sur le territoire national… »

 

En effet, nous partageons la noble ambition d’encourager une valeur ajoutée aux minerais extraits en RDC mais les sociétés minières établies dans nos provinces  font face à  plusieurs défis  dont le déficit en énergie électrique pouvant leur permettre de transformer directement et de façon efficiente, leurs produits.  Conscient de cela, le Gouvernement leur accorde un moratoire qui ne date pas d’aujourd’hui : 

·      Depuis 2013 jusqu’à 2016, les ministres des mines et des finances ont pris des arrêtés accordant des moratoires annuels suite au déficit énergétique.[1]  

 

·      Depuis 2017 jusqu’à l’avènement du nouveau code minier, la situation de déficit énergétique persista raison pour laquelle les ministres des mines et des finances ont pris successivement  deux arrêtés interministériels portant réglementation de la commercialisation et de l’exportation des produits minerais marchands.[2]  Dans ces deux arrêtés, l’on peut y lire que  « les exportations des concentrés de cuivre et de cobalt sont interdites.  Toutefois, un moratoire allant jusqu’à la résolution définitive du déficit énergétique, est accordé à tous les opérateurs miniers qui produisent des concentrés de cuivre et de cobalt. ». 

 

Par cette disposition le Gouvernement avait fait le choix non plus d’allonger annuellement le moratoire sur l’application de l’interdiction d’exportation de concentré de cuivre et de cobalt, mais de le maintenir tant que le déficit énergétique n’est pas résolu de manière définitive et ce n’est pas aujourd’hui que le déficit énergétique sera résolu. 

 

Du reste, en marge de la 5ème édition du Forum Investir en Afrique (FIA) qui  a lieu le 10 septembre 2019 à Brazzaville, dans le souci de booster le développement,  Son Excellence Monsieur le Président la République, Félix-Antoine TSHISEKEDI avait affirmé que le Gouvernement  travaillait sur les voies et moyens pouvant permettre à notre pays de transformer localement ses minerais et qu’en dehors du Grand Inga, la construction des centrales hydroélectriques de taille moyenne et des microcentrales capables de faciliter l’accès à l’eau et à l’électricité dans toutes les provinces du pays sont une nécessité pour ce modèle de développement.

 

Par cette vision, il est rassurant de constater que le Chef de l’État a conscience que la transformation de minerai est liée à un meilleur accès à l’énergie. Cependant, sur terrain, la réalité est autre car il est sans conteste que le déficit énergétique persiste, étant donné que les travaux de certaines centrales telle que celle de BUSANGA ou de  INGA sont encore en chantier et la plupart des unités de transformation sont confrontées à ce déficit énergétique (la demande en énergie électrique des industries minières a été évaluée à 1411 Mw contre seulement 751 Mw, il se dégage ainsi un déficit de 860 Mw pour l’année 2019 [selon le Président de la FEC Grand Katanga lors de 4ème édition de la conférence sur l’énergie tenue à Katebi/Kolwezi Lualaba]  rendant difficile la transformation des concentrés de cuivre ainsi que des hydroxydes de cobalt, malgré que la Société Lualaba Copper Smelter a financé la Société Nationale d’Electricité  pour la construction d’un poste d’électricité au Sud de Kolwezi avec un répartiteur de 300 MVA.

2.    DE LA CAPACITE D’ABSORPTION DES CONCENTRES DE COBALT ET DE CUIVRE DU HAUT-KATANGA ET DU LUALABA PAR CERTAINES NOUVELLES ENTITES DE TRAITEMENT  

Il ressort de la lettre du Ministre des Mines citée supra que l’état des lieux du secteur minier montre qu’aujourd’hui, certaines Entités de traitement ont la capacité  d’absorber toute la production des concentrés de cobalt et de cuivre du Haut-Katanga et du Lualaba. 

Aussi curieux que cela puisse paraitre, comment sans faire une évaluation, l’on peut être sûr de la capacité d’absorption de ces jeunes Entités de traitement qui pour la plupart traiteront des produits des tiers par contrat à façon et qui n’achèteront qu’en petite quantité des produits pour faire fonctionner leur usine.   

Les sociétés minières de nos provinces craignent déjà l’institution des monopolesvoire des cartels qui sont préjudiciables aux consommateurs et à la société dans son ensemble du fait que les entreprises impliquées appliqueront des prix plus élevés (et réaliseront des bénéfices plus importants) que sur un marché concurrentiel.

D’un point de vue purement technique, l’on peut se rendre compte que seulement une entité de traitement (Lualaba Copper Smelter) transforme les concentrés de cuivre sulfureux.  Installée depuis le début de l’année 2020 dans le Lualaba avec comme capacité de production de 600.000 tonnes par an, tout en notant qu’il s’agit ici des concentrés sulfurés et non pas des concentrés oxydés qui sont exportés ;

 

Il n’existe, donc pas dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba, à nos jours une entité de traitement pouvant transformer les concentrés de Cobalt (hydroxyde de Cobalt)  et la quasi-totalité de la production du cobalt de la RDC est  sous forme des hydroxydes de cobalt (concentré de cobalt)et est exporté sous cette forme.

 

Pour décider du maintien ou non du moratoire des exportations des concentrés de cuivre et cobalt, il sera indispensable à l’avenir de procéder  à l’évaluation de la demande en énergie électrique de l’industrie minière (besoin en énergie électrique des unités de production de concentrés de cuivre et cobalt ainsi que les hydroxydes de cobalt) et la capacité offerte pour estimer l’écart (déficit) et voir comment le combler éventuellement et faire une déduction de la possibilité d’absorption de ces entités de traitement.    

 

3.    LE MAINTIEN DU MORATOIRE CONSACRE PAR LE CODE MINIER REVISE JUSQU’EN MARS 2021 POUR LES TITULAIRES DES DROITS MINIERS EN COURS DE VALIDITE 

 

Comment concilier le moratoire de six mois accordé par la lettre du Ministre des Mines et qui expire ce 22 août 2020 et les dispositions pertinentes du code minier révisé ?

 

A ce sujet, la Loi n°18/001 du 09 mars 2018 modifiant et complétant la Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier dispose en son article 342 bis que : « les titulaires des droits miniers en cours de validité disposent d’un délai de trois ans pour procéder, sur le territoire de la République Démocratique du Congo, au traitement et à la transformation des substances minérales par eux exploitées

 

Le délai prévu à l’alinéa premier du présent article ne peut être réduit ou prorogé que par une modification de la présente disposition par les deux chambres du Parlement. La présente disposition produit ses effets dès l’entrée en vigueur de la présente loi (9 mars 2018)». 

Ainsi, pour les sociétés minières du Lualaba et du Haut-Katanga qui  sont titulaires des droits miniers en cours de validité, la fin du moratoire de ce 22 aout 2020 est inopérante.  

 

4.    DU SORT DES PROJETS ET CREANCES GARANTIS PAR LES FONDS DECOULANT DE LA TAXE SUR CONCENTRES EN PROVINCES ?   

Les édits provinciaux de deux provinces instituent la taxe d’incitation à la transformation locale des concentrés des minerais [Taxe sur Concentrés] qui trouve son fondement dans l’Ordonnance-loi 18/004 du 13 mars 2018 fixant la nomenclature des impôts, droits, taxes et redevances de la province et de l’entité territoriale décentralisée ainsi que les modalités de leur répartition qui la reprend à son point VII.1 dans la rubrique des taxes spécifiques de la compétence de la Province.

Dans l’ensemble, outre les impôts qui comprennent les actes générateurs de recettes tous actifs dont l'impôt sur la superficie des propriétés foncières bâties et non bâties , l'impôt sur les véhicules automoteurs, l'impôt sur les revenus locatifs et l'impôt sur la superficie des concessions minières ainsi que les taxes d’intérêt commun répertoriés dans la nomenclature des taxes rétrocédées aux provinces, nos Provinces perçoivent des taxes spécifiques notamment la taxe de réhabilitation de la voirie urbaine (taxe voirie) et la taxe d’incitation à la transformation des minerais bruts (taxe sur les concentrés) ainsi que la redevance minière telle qu’institué par le code minier révisé et cela depuis juillet 2018.

 

Pour réaliser les objectifs des programmes d’action inscrits dans nos plans quinquennaux, nos gouvernements provinciaux recourent à chaque fois que cela est nécessaire, à des montages financiers avec les banques commerciales, montages réalisés sur fond de nantissement des différentes recettes des taxes spécifiques. Décréter la fin du moratoire – ce mois d’aout - signifierait la mise en défaut de paiement des créances et charges fixes. Il sied donc qu’un délai raisonnable soit accordé après une évaluation de toute la situation.        

 

 

5.    DES CONSEQUENCES DECOULANT DE LA SUPPRESSION DU MORATOIRE D’EXPORTATION DES CONCENTRES DE CUIVRE ET DE COBALT

Au regard de l’analyse ci-haut,  la suppression du moratoire d’exportation des concentrés de cuivre et de cobalt conformément à la loi minière, aura plusieurs conséquences, telles que :

 

-        Plus ou moins 190.000 tonnes des hydroxydes de cobalt produits ne seront pas exportés et commercialisés avec un grand impact négatif sur les taxes de l’Etat (Redevances minières etc…) ce qui va empêcher d’atteindre les assignations budgétaires en terme des recettes ;

-        L’arrêt de production de toutes les entreprises produisant les hydroxydes de cobalt avec comme impact la mise en congé technique de nos compatriotes en attendant la construction des usines appropriées ;

-        Étant donné que Lualaba Copper Smelter ne consomme que les concentrés de cuivre sulfureux, toute la production des concentrés de cuivre oxydé sera arrêté avec un impact négatif sur les taxes de l’État et la mise en congé technique de nos compatriotes en attendant la construction des usines appropriées ;

 

-        Les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba étant à vocation minière, elles  seront amputées de la taxe sur le concentré et voirie ce qui pourra freiner leur élan de développement.

 

Pour toutes ces raisons évoquées supra, il sied pour le Gouvernement  d'accompagner  les Provinces ainsi que les entreprises minières dans la démarche de reconsidérer la décision de levée de moratoire  de mise en œuvre de la règlementation des exportations des produits miniers marchands, jusqu’à nouvel ordre. 



[1] Arrêté interministériel n°0794/CAB.MIN/FINANCES/2014 du 30 décembre 2014 modifiant l’arrêté interministériel n°0122/CAB.MIN/MINES/01/2013 et n°782/CAB.MIN/FINANCES/2013 du 05 avril 2013 portant réglementation des exportations des produits miniers marchands; Et l’arrêté interministériel n°0945/CAB.MIN/MIN ES/01/2015 et n° 329/CAB. MIN/FINANCES/ 2015 du 31 décembre 2015 modifiant l’Arrêté interministériel n° 0122/CAB.MIN/MINES/01/2013 et n° 782/CAB.MIN/FINANCES/2013 du 05 avril 2013 portant règlementation des exportations des produits miniers marchands; 

 

[2] Arrêté interministériel n°0129 CAB.MIN/MINES/01/2017 et n°032/CAB.MIN/FINANCES/2017 du 08 juillet 2017 et l’arrêté interministériel n°913/CAB.MIN/MINES/01/2018 et n°243/CAB.MIN/FINANCES du 21 novembre 2018 portant réglementation de la commercialisation et de l’exportation des produits minerais marchands ;  

 

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