1. Liminaires
Le législateur congolais en droit du travail a prévu la conciliation préalable des litiges individuels du travail avant toute saisine du juge du travail. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 298 du code du travail, « les litiges individuels ne sont recevables devant le tribunal du travail s’ils n’ont été préalablement soumis à la procédure de conciliation, à l’initiative de l’une des parties, devant l’inspecteur du travail du ressort ». C’est la phase administrative du litige individuel du travail dont l’examen préalable du litige par l’inspecteur du travail est une condition sine qua non de la saisine du juge du travail.
S’agissant de la procédure, dès la réception de la demande de conciliation de l’une des parties en matière de litige individuel du travail, l’inspecteur saisi, adresse une invitation à comparaitre en séance de conciliation avec accusé de réception ou par pli recommandé, dans les quinze jours et les parties ne devront se présenter qu’au-delà̀ d’un délai de trois jours. A la séance de conciliation, l’inspecteur du travail tente de concilier les parties sur base de normes fixées par la législation, la règlementation, les conventions collectives ainsi que le contrat de travail ; déjà à cette étape de la procédure, les parties peuvent se faire assister ou représenter. A la fin de cette séance, l’inspecteur établit le procès-verbal de conciliation ou de non-conciliation ou de carence selon le cas. Mais cette conciliation se fait devant quel Inspecteur du Travail ? Tout inspecteur du travail peut-il se déclarer compétent pour mener cette conciliation entre employé et employeur ?
2. De la compétence territoriale de l’inspection du travail pour mener la séance de conciliation
Le Code du Travail soumet le règlement des litiges individuels et des conflits collectifs à la conciliation préalable, comme relevé supra. Celle-ci relève de la compétence de l'inspecteur du travail territorialement compètent. C’est donc fort de cette règle d'ordre public que nous faisons la première observation dont la violation peut être invoquée à tout moment.
C’est ainsi qu’il a été jugé que la compétence territoriale en matière du travail est d'ordre public alors qu'elle n'est que relative en matière civile[1]. La conciliation est menée conformément aux articles 298 et 301 du Code du travail.
L'inspecteur du travail territorialement compètent est celui du lieu où s'effectuent les prestations de travail.[2] Est nul pour incompétence territoriale, le procès-verbal de non-conciliation établi en violation de l'article 298 du code du travail par un inspecteur du travail autre que l'inspecteur du travail du ressort, c'est-à-dire autre que celui du lieu de l'exécution du travail.[3]
C’est raison que le Professeur Jacques de BURLET enseigne que pour un inspecteur du travail qui est un fonctionnaire, la compétence n'est pas générale; chaque autorité administrative n'a que les pouvoirs que la loi lui attribue expressément; sa compétence est limitée rationae materiae, ratione tempore et ratione loci.[4] Des litiges de travail ne sont recevables devant les tribunaux que s'ils ont été préalablement soumis à la procédure de conciliation, à l'initiative de l'une des parties, devant l'Inspecteur du travail géographiquement compétent[5].
Mais pour éviter des conflits d’interprétation et/ou des chevauchements de compétences suite au démembrement des provinces, l’ARRÊTÉ MINISTÉRIEL n° 030/CAB/MINETAT/MTEPS/FBKJ01/2018 fixant la dénomination, le siège, la compétence et le ressort territorial des services de l’Inspection Générale du Travail, publié au Journal Officiel de la RDC du 1er octobre 2018, n° 19, a été pris. Il institue donc vingt-six (26) inspections provinciales du travail relevant directement de l’administration centrale de l’Inspection générale du travail dont le siège est à Kinshasa. Cet arrêté fixe également les dénominations, sièges, compétences et ressorts territoriaux des inspections provinciales du travail ainsi instituées.
D’une manière pratique, prenant exemple sur deux provinces issues du démembrement de l’ancienne province du Katanga, le Haut-Katanga et le Lualaba, nous pouvons lire à l’article 19 de cet arrêté que l’Inspection provinciale du travail du Haut-Katanga a pour siège la ville de Lubumbashi et comprend dans sa compétence et son ressort territorial quatre (4) Inspections locales du travail qui lui sont subordonnées, dont la dénomination, le siège, la compétence et le ressort territorial sont fixés comme ci-après:
· Inspection provinciale du travail du Haut-Katanga, ayant son siège à Lubumbashi et dont la compétence est toute l’étendue de la province du Haut-Katanga ;
· Inspection urbaine du travail de Lubumbashi, ayant son siège à Lubumbashi et dont la compétence est la ville de Lubumbashi ;
· Inspection urbaine du travail de Kipushi, ayant son siège à Kipushi et dont la compétence couvre la ville de Kipushi et le territoire de Sakania;
· Inspection urbaine du travail de Likasi, ayant son siège à Likasi et dont la compétence couvre la ville de Likasi et le territoire de Kambove;
· Inspection locale du travail de Kasenga, ayant son siège à Kasenga et dont la compétence s’étend sur les territoires de Kasenga, de Mitwaba et de Pweto.
Qu’ à son article 21, l’Inspection provinciale du travail du Lualaba a pour siège la ville de Kolwezi et comprend dans sa compétence et son ressort territorial deux (2) Inspections locales du travail qui lui sont subordonnées, dont la dénomination, le siège, la compétence et le ressort territorial sont fixés comme ci-après:
· Inspection provinciale du travail du Lualaba, ayant son siège à Kolwezi et dont la compétence est toute l’étendue de la province du Lualaba ;
· Inspection urbaine du travail de Kolwezi, ayant son siège à Kolwezi et dont la compétence est la ville de Kolwezi et les territoires de Lubudi et de Mutshatsha ;
· Inspection locale du travail de Kasaji, ayant son siège à Kasaji et dont la compétence s’étend sur les territoires de Mutshatsha, de Dilolo, de Sandoa et de Kapanga.
De ce qui précède, pour un travail réalisé dans la Province du Lualaba ou celle du Haut-Katanga, en cas de conflit de travail, au regard des articles 28 et 29 dudit arrêté, la compétence et le ressort territorial des inspecteurs du travail affectés à l’Inspection urbaine ou locale du travail s’étendent sur toute l’étendue de la ville ou localité concernée. La compétence et le ressort territorial de inspecteurs du travail affectés à l’Inspection provinciale du travail s’étendent sur toute l’étendue de la province concernée. Il est serait donc inconcevable que l’inspection urbaine du travail de Lubumbashi [Kolwezi] ou l’Inspection provinciale du travail de la Province du Haut-Katanga [ Lualaba] puisse connaitre de ce dossier, car incompétents au regard de l’article 298 du code du travail et des dispositions pertinentes de l’ARRÊTÉ MINISTÉRIEL numéro 030/CAB/MINETAT/MTEPS/FBKJ01/2018.
Dans la plupart des cas, pour justifier la compétence des inspections provinciales situées en dehors des lieux de travail des plaignants, ces derniers tentent de se retrancher sur des hypothétiques cas des maladies survenues après le conflit de travail, les poussant à se retrouver en dehors du ressort et donc dans l’impossibilité de se rendre devant l’inspecteur urbain ou provincial du lieu d’exécution du travail.
A ce stratagème, il sied d’opiner que ce « forum shopping » ne peut prospérer car ils n’ont pas été mis dans l’impossibilité par le fait des employeurs. Ils ne peuvent donc prétendre à un empêchement – à saisir l’Inspecteur urbain du travail ou l’inspecteur provincial du travail compétent - du fait de la maladie, car la Province du lieu d’exécution de travail [Lualaba ou Haut-Katanga] et les villes de Kolwezi et de Lubumbashi regorgent des hôpitaux et centres de santé susceptibles de les prendre en charge en cas de besoin sanitaire. Cet argument est donc inopérant et en conséquence, les Procès-verbaux qui seront dressés dans ces circonstances, seront irréguliers et les procédures de conciliations nulles ou susceptibles de l’être.
[1] L'shi. 14.6.1974 - RJZ. 1975. p. 25
[2] DIBUNDA KABUINJI, le traitement juridictionnel des litiges individuels du travail en droit judiciaire in RJZ n 1,2 et 3, 1986, p. 3
[3] L'shi, 14.6.1974 in RJZ n° 3 p. 256
[4] Jacques de BURLET, Précis de Droit Administratif Congolais, T.I. Kinshasa, Bruxelles, 1969, p. 205 n°410.
[5] Kin, 12.10.1995, RTA 2868/2965, in RDT, n° 31, 1996, p. 27