Les faits : En Afrique noire, l’enfant est perçu comme un don de Dieu, un membre précieux de la communauté, et son bien-être est une priorité. Il est souvent intégré dans la société par des rituels et des processus de socialisation qui lui attribuent des rôles spécifiques. Ainsi, l’idée d’un accord prénuptial par lequel deux futurs époux conviennent de ne pas avoir d’enfants, étonne et soulève à la fois d’importantes questions juridiques et sociales. Dans le contexte de la RDC, où la famille et la descendance occupent une place centrale, un tel pacte apparaît atypique et potentiellement conflictuel. Comment le droit congolais de la famille appréhende cet accord, quelles en sont les conséquences juridiques et quelles implications sociales et éthiques en découlent ?
En Droit : Le mariage est envisagé en RDC, comme une institution tournée vers la vie commune et la procréation. L’article 349 du Code de la famille (CF) énonce que « Le mariage a pour but essentiel de créer une union ... pour perpétuer leur espèce ». En conséquence, l’article 350 déclare nulle toute stipulation visant à écarter l’une des fins essentielles du mariage. Autrement dit, une clause où les époux s’engagent à ne pas avoir d’enfants est juridiquement dépourvue d’effet. Ainsi, la convention par laquelle les époux ... ne désirent pas avoir d’enfants doit être déclarée nulle, car elle va à l’encontre de l’une des fins essentielles du mariage, à savoir la procréation.
Il est toutefois précisé que le fait, en pratique, pour un couple de ne pas avoir d’enfants n’est pas en soi une cause de nullité du mariage – seule la volonté contractuelle exprimée de s’abstenir définitivement de procréer constitue une entorse au principe d’ordre public familial. Il s’ensuit les conséquences juridiques principales suivantes : - L’accord prénuptial de ne pas avoir d’enfants est réputé nul de plein droit. Il ne lie donc pas les époux et ne pourra jamais être homologué par un officier d’état civil ni invoqué devant un tribunal ; - La présence d’une telle clause n’annule pas automatiquement le mariage lui-même, sauf si l’absence de volonté procréative de l’un des époux a vicié le consentement initial. En pratique, le juge écarterait la clause illicite et maintiendrait le lien matrimonial, l’obligation de procréer n’étant pas coercitive ; Si ultérieurement l’un des conjoints change d’avis et souhaite un enfant, l’autre conjoint ne peut légalement opposer le pacte initial - dénué de valeur juridique. Un conflit insurmontable à ce sujet pourra aboutir au divorce pour destruction irrémédiable de l’union conjugale, conformément à l’article 549 du CF. Chaque époux a la faculté de demander le divorce en démontrant que la vie commune est intolérable du fait de divergences profondes telles que le désaccord sur la question des enfants.
Notons que sur le plan social, la pression familiale et culturelle autour de la procréation est très forte en RDC. Dans la plupart des communautés, avoir des enfants est perçu comme un accomplissement naturel du mariage. Les couples sans enfant, qu’importe la raison, subissent souvent un stigmate ou des interrogations. Le professeur Abbé Augustin MILAMBO BAÏKA MUNGANGA [2024] souligne que les sociétés africaines traditionnelles considèrent la procréation comme « la vocation première d’une union conjugale. Ne pas donner naissance après quelques années de mariage est généralement mal compris et peut être source de tensions ».[1] Des enquêtes menées ont révélé que près de 50 % des unions sans enfants se soldent par un divorce prématuré, souvent sous la pression de la famille ou à cause du désespoir des époux[2]. Des expressions populaires relevées témoignent même du « mépris » ou du « désarroi » qu’inspire l’infécondité – même présumée - au sein de la population. Dans ce contexte, un accord prénuptial stipulant l’intention délibérée de rester sans enfant va à l’encontre des attentes sociales. Concrètement, même si deux époux s’accordent en privé sur le choix de ne pas fonder de famille, ils risquent de faire face à l’incompréhension des proches, les familles élargies pourraient contester moralement cet accord, y voyant une transgression des valeurs traditionnelles axées sur la descendance ; des conflits de couple car, la pression extérieure pourrait éprouver l’entente conjugale.
Si l’un des époux venait à regretter l’accord sous l’influence de son entourage ou d’un désir personnel d’enfant, le couple pourrait entrer en crise et ; faute de compromis, la séparation demeure l’issue fréquente. Soit l’un des conjoints finit par céder et consentir à avoir un enfant, rompant de fait le pacte initial, sans aucune sanction, puisque ce pacte est nul, soit le refus persistant d’enfanter conduit l’autre à demander la dissolution du mariage pour refaire sa vie avec la possibilité d’avoir une descendance.
Parallèlement, au-delà des conséquences juridiques et sociales, il y a des considérations éthiques et doctrinales à considérer. Un dilemme éthique peut émerger entre le respect de l’autonomie du couple et les principes sociojuridiques établis. D’un côté, chaque individu dispose du droit légitime de décider de ne pas avoir d’enfants, sans avoir à se justifier face aux injonctions de la société ou de la famille. Cette liberté fait écho aux droits fondamentaux de la personne dont le droit au respect de la vie privée et du projet de vie et aux engagements internationaux reconnaissant aux couples le droit de déterminer librement le nombre et l’espacement de leurs enfants. De l’autre côté, les normes religieuses et culturelles dominantes en RDC valorisent la fécondité. Les grandes religions monothéistes encouragent la procréation – par exemple, le précepte biblique « Croissez et multipliez » souvent cité dans la tradition chrétienne – ce qui imprègne les représentations collectives.
Pour beaucoup, refuser la venue d’enfants peut apparaître contraire à une obligation morale envers la famille notamment la lignée des parents et envers la société. Mais en vrai, bien que l’on ne saurait marchander ou négocier contractuellement la venue d’un enfant, l’on doit tout de même s’interroger sur l’évolution de ces conceptions.
Cette vision traditionnelle du mariage devrait s’adapter aux réalités actuelles. La nullité automatique d’une clause de non-procréation reflète une volonté de protéger l’ordre public démographique, mais semble en décalage avec l’affirmation moderne des droits reproductifs, incluant le choix de rester sans enfants. Ainsi, la décision personnelle des époux de ne pas avoir d’enfants constitue l’expression d’une liberté individuelle protégée. Sur le plan éthique, elle reflète la maîtrise de son corps, de son temps et de ses ressources. Juridiquement, ce choix ne contrevient pas aux dispositions pénales ou civiles, tant qu’il n’est pas scellé dans l’acte de mariage. Pourtant, l’interdiction de toute clause d’exclusion de la procréation soulève un paradoxe : la loi reconnaît la liberté contraceptive des époux, mais interdit qu’elle soit anticipée dans le contrat matrimonial. On assiste alors à un conflit entre deux impératifs, respecter l’autonomie privée sans pour autant éroder les finalités protectrices du mariage. Pour concilier ces exigences, il faut de la souplesse, c’est ainsi par exemple que la convention postnuptiale peut formaliser la volonté de ne pas procréer, tout en évitant le formalisme d’une clause prénuptiale interdite. Cette convention, conclue après la célébration, échappera au régime de nullité mais permettra d’engager moralement les époux. Mais à l’état actuel de la législation, le législateur privilégie l’intérêt de la famille au sens large et la protection de la potentialité de la vie.
En définitive, en droit congolais, toute promesse prénuptiale de renoncer à la parentalité est sans portée juridique et réputée nulle. Les époux sont libres de changer d’avis et la société ne saurait entériner une renonciation anticipée au droit d’avoir des enfants. Les conséquences principales d’un tel accord se jouent davantage sur le plan pratique et social ; pression familiale, conflits internes au couple et issue éventuelle du mariage par un divorce si la divergence devient insurmontable. Cette question met en lumière la tension entre la règle de droit – ancrée dans la conception du mariage comme vecteur de procréation – et l’évolution des valeurs vers une plus grande autonomie des individus dans leurs choix de vie. Elle nous invite à une réflexion continue sur l’adaptation du droit de la famille, afin de concilier le respect des libertés personnelles avec la préservation des repères essentiels de la société. En somme, l’accord de ne pas avoir d’enfants demeure un enjeu juridique sensible, révélateur des interactions entre normes légales, attentes sociales et convictions personnelles au Congo.
Me Joseph YAV KATSHUNG
[1] Abbé Augustin MILAMBO BAÏKA MUNGANGA, De la problématique de la fécondité dans le ménage : droit face aux réalités sociodémographiques in Mouvements et Enjeux Sociaux - Revue Internationale des Dynamiques Sociales , No135, vol. 1., Juillet - Août 2024
[2] L. NDIAYE, Entrée en union et divorce, in y charrbit, L. Gueye et S. Ndiaye ; Nuptialité et fécondité au Sénégal,
Travaux et documents de l’INED, Cahier n°112, pp.37-58