Les faits : La protection du logement familial constitue une pierre angulaire du droit des régimes matrimoniaux. Dans un contexte africain où le domicile conjugal incarne plus qu’un simple bien immobilier, un symbole de stabilité sociale, sa vente unilatérale par un conjoint soulève une problématique cruciale, celle de la tension entre la protection du foyer conjugal et la sécurité des transactions immobilières. Le logement familial n’est pas seulement un bien immobilier ; il représente un espace de stabilité affective, de construction identitaire et de cohésion sociale. Sa mise en vente unilatérale par l’un des époux, souvent motivée par des considérations économiques ou personnelles, entraîne des conséquences juridiques importantes. Le droit burkinabè et le droit congolais, bien qu’issus de traditions civilistes, présentent des nuances notables dans leur approche de la nullité et des sanctions en cas de vente sans consentement du conjoint, révélant des philosophies juridiques distinctes en matière de protection de la cellule familiale.
En Droit : En droit burkinabè, l’article 305 du Code des personnes et de la famille érige en principe que nul époux ne peut disposer seul du domicile commun sans l’accord de son conjoint. Cette disposition s’applique quelle que soit la propriété du bien ou le régime matrimonial des parties. En cas de violation de cette règle, la vente est frappée de nullité absolue. Cette nullité vise à préserver l’intégrité du foyer familial, même lorsque l’acquéreur est de bonne foi, soulignant ainsi la primauté de la stabilité conjugale sur les intérêts commerciaux.
C’est ce qui est arrivé dans un cas d’espèce où, un époux en instance de divorce a cédé sans l’accord de son épouse le logement familial à un tiers qui s’est prévalu d’un acte de vente dûment enregistré. Estimant que son droit au domicile conjugal lui était violé, l’épouse a saisi le juge afin de faire annuler la vente et d’obtenir l’expulsion de l’acquéreur. La Cour de cassation du Burkina Faso, par son arrêt n° 24/2023 du 1er juin 2023, a rappelé que, tant que le divorce n’a pas acquis l’autorité de la chose jugée, les droits et devoirs matrimoniaux subsistent pleinement. La protection du logement familial perdure pendant toute la procédure de divorce, empêchant qu’un époux ne profite de la situation pour aliéner le toit commun.
Le droit congolais propose une protection analogue, mais plus large, par les articles 499 et 500 de la loi n°87-010 du 1er août 1987, modifiée par la loi n°16/008 du 15 juillet 2016 portant Code de la famille. L’article 499 exige l’accord écrit des deux époux pour toute aliénation, hypothèque ou constitution de droits réels portant sur un immeuble, qu’il soit commun ou propre. Ce verrou s’applique peu importe le régime matrimonial choisi. Même si un bien immobilier appartient en propre à un seul époux, il ne peut en disposer unilatéralement dès lors que l’acte envisagé fait partie des opérations listées par la loi dont la vente, qui nous intéresse ici. Tel a été le cas d’une décision du TGI de Lubumbashi sous RC.33476, ayant ordonné l’annulation de la vente de l’immeuble. (Lire : Me Hubert KALUKANDA : « Action en annulation de la vente de l’immeuble pour défaut de l’accord de l’un des époux en droit positif congolais », in Village de la Justice, 2022.
L’article 500 du CF prévoit qu’en l’absence d’opposition écrite du conjoint dans les six mois suivant l’acte, son silence vaut consentement tacite. Par ailleurs, le tiers de bonne foi peut mettre en demeure l’époux absent de confirmer son accord ; passé trente jours sans réponse, l’acte est définitivement validé. La comparaison révèle que, si le Burkina Faso adopte une posture de rigueur en sanctionnant ces actes par la nullité absolue et concentre sa protection sur le seul logement familial en faisant peser un risque durable sur l’acquéreur, la RDC étend la cogestion à tous les immeubles du couple tout en assurant une sécurité juridique renforcée au tiers par un mécanisme de forclusion et de ratification tacite qui témoigne d’un souci de pragmatisme. Dans les deux cas, la vente sans consentement est frappée de nullité et expose l’acquéreur à l’éviction.
Me Joseph YAV KATSHUNG