Les faits : Dans les villes congolaises en pleine expansion, la cohabitation entre activités industrielles et zones résidentielles devient un enjeu majeur de gouvernance urbaine et de justice environnementale. Dans un quartier de la ville de Lubumbashi, l’implantation d’une fabrique de blocs ciments au cœur d’un espace résidentiel soulève des interrogations fondamentales sur la portée du droit congolais en matière de responsabilité civile, de protection de l’environnement et de police administrative. L’activité de cette entreprise se traduit par un bruit industriel constant, une pollution atmosphérique due à la dispersion de poussières, et une dégradation progressive de la chaussée entretenue par les résidents eux-mêmes. Ces nuisances ont des répercussions directes sur la salubrité du logement, la santé des occupants, et la qualité de vie dans le voisinage immédiat. Ce cas, invite à une relecture critique des mécanismes juridiques disponibles pour encadrer les nuisances industrielles en milieu urbain.
En Droit : Le droit congolais offre plusieurs fondements pour encadrer ce type de situation, notamment à travers la théorie du trouble de voisinage, les dispositions relatives à la responsabilité environnementale, et les pouvoirs de police administrative reconnus aux autorités locales. La jurisprudence congolaise s’aligne progressivement sur les principes généraux du droit civil selon lesquels nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Ce principe, d’inspiration jurisprudentielle, ne repose pas nécessairement sur la démonstration d’une faute, mais sur le caractère anormal du trouble. En RDC, les nuisances sonores excessives constituent ce que le Code civil congolais qualifie de trouble anormal de voisinage (Article 545). Ce concept signifie qu’un propriétaire ou locataire ne peut causer à ses voisins des désagréments dépassant les inconvénients normaux de la vie en communauté. Bien plus, l’article 1er du décret n°14/012 portant réglementation de la production sonore du 8 mai 2014 dispose : « Il est interdit sur toute l’étendue de la RDC de se livrer à toute activité susceptible de créer ou de provoquer des bruits qui par leur intensité, leur fréquence et leur répétition, sont constitutifs de nuisances sonores ».
Bien plus, la Constitution de la RDC, en son article 53, consacre le droit de toute personne à un environnement sain. Ce droit est renforcé par la Loi n°11/009 du 09 juillet 2011 relative aux principes fondamentaux de la protection de l’environnement, qui impose aux opérateurs économiques des obligations de prévention, de réduction et de réparation des dommages environnementaux. L’absence de dispositifs de confinement des poussières, le non-respect des normes de salubrité, et l’impact sur la santé des riverains peuvent être interprétés comme une violation de ces obligations. Dans le cas d’espèce, l’implantation d’une activité industrielle dans une zone résidentielle constitue en soi une source de déséquilibre. Le bruit excessif, la pollution de l’air et la détérioration des infrastructures dépassent manifestement les seuils de tolérance admis dans un environnement domestique. L’exploitant pourrait donc être tenu responsable sur le fondement du trouble de voisinage, indépendamment de la régularité administrative de son activité.
En effet, le droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue est limité par l’obligation de ne causer à des tiers aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du trouble de voisinage, notion dont les éléments méritent d’être précisés. Le concept prétorien de trouble de voisinage ou d’inconvénients excessifs est désormais bien ancré dans le droit de la responsabilité et soulagé de la tutelle du droit de propriété. Cette théorie s’est aussi émancipée de la faute en même temps qu’elle a gagné son autonomie au regard de la théorie de l’abus de droit. Le trouble anormal est une condition nécessaire et suffisante de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. La jurisprudence a construit avec la théorie des troubles anormaux de voisinage un régime particulier de responsabilité civile extracontractuelle détaché de la responsabilité civile pour faute. L’action en réparation des troubles anormaux du voisinage constitue un régime de responsabilité objective qui s’appuie sur la constatation du dépassement d’un seuil de nuisance et rend inefficace la quasi-totalité des arguments avancés en vue de l’exonération de responsabilité.
L’entreprise pourrait ainsi voir sa responsabilité engagée, tant sur le plan civil que sur le plan administratif, pour atteinte à l’environnement et manquement à ses devoirs de diligence.
Le Bourgmestre et le Maire disposent, en vertu de la Loi organique Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des ETDs et leurs rapports avec l’État et les Provinces, de pouvoirs de police administrative leur permettant d’intervenir en cas de trouble à l’ordre public, à la tranquillité ou à la salubrité. Ils doivent être interpellés sur leur obligation d’agir, soit par la suspension temporaire de l’activité, soit par l’imposition de mesures correctives, soit encore par l’ouverture d’une enquête environnementale. Le silence ou l’inaction des autorités locales dans un tel contexte pourrait être interprété comme une carence administrative, susceptible d’engager leur responsabilité pour abstention fautive.
En définitive, ce cas illustre les tensions croissantes entre développement industriel et droits fondamentaux des citoyens à un cadre de vie sain. Il sied donc de garantir une justice environnementale effective en RDC.
Me Joseph YAV KATSHUNG