Les faits : En RDC, on constate dans certains discours institutionnels, même ceux émanant du Conseil supérieur de la Magistrature, que le Président de la République est désigné, comme « Magistrat suprême ». La problématique de cette appellation a intéressé Me Bia qui sur sa page Linkedin, après avoir suivi une vidéo d’un compatriote qui affirmait que l’appellation « magistrat suprême » était un « titre honorifique » du Président de la République. Me Bia argue qu’un titre honorifique est d’abord un titre officiel, reconnu par un texte (constitution ou loi) ; l’expression « magistrat suprême » n’est reprise ni dans la Constitution ni dans aucune loi « judiciaire » en RDC. C’est tout au plus une « appellation officieuse ». On peut même dire que c’est un abus de langage, car il pèche contre la séparation des pouvoirs (nonobstant le fait que le président intervienne dans la nomination des magistrats). Qu’en dire de plus ?
En Droit : L’appellation « magistrat suprême » est présente dans plusieurs bouches et têtes des congolais et un post intitulé « La grâce présidentielle relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la République, en tant que Magistrat Suprême » disponible sur la toile (https://www.charitenewsrdcongo.com) tente de donner l’explication – même tirée par les cheveux. Dans ce post, l’auteur relève que « Magistrat suprême, un Président peut être ainsi désigné pour multiple raisons. S’agissant du droit de grâce, il a ce pouvoir extrêmement grand de remettre, de commuer ou de réduire les peines, selon qu’il en juge l’opportunité. Ce faisant, bien que sans traverser la barre, sans audience publique et en dehors de tout procès, il fait œuvre des juges, donc des magistrats…»
Du point de vue juridique, attribuer une dimension quasi-judiciaire au rôle du chef de l’État soulève des questions quant au respect de la séparation des pouvoirs. En effet, la Constitution de la RDC garantit l’indépendance de la magistrature, essentielle pour préserver l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. L’emploi du terme « magistrat suprême » pour désigner le président tend ainsi à brouiller ces clivages et pourrait faciliter des ingérences politiques dans le domaine judiciaire, compromettant l’impartialité des décisions de justice et affaiblissant les mécanismes de contrôle institutionnels. Pareille confusion – présente même dans le chef des hauts magistrats - est un terrain fertile aux ingérences politiques dans la sphère judiciaire, ce qui, en retour, mine la crédibilité de l’État de Droit et favorise des dérives.
En définitive, si l’appellation « magistrat suprême » figure dans certains protocoles ou discours pour exalter le rôle du chef de l’État dans la sphère judiciaire, elle ne traduit pas une réalité opérationnelle. Elle demeure un marqueur symbolique, rappelant la haute importance de la justice tout en soulignant la nécessité impérative de préserver la séparation des pouvoirs et l’autonomie des magistrats dans l’État de Droit congolais. Demeurons donc dans la symbolique en mettant des garde-fous !
Me Joseph YAV KATSHUNG