La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt rendu le 19 novembre 2014, que la règle de conflit de juridictions édictée pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services est applicable à une action en justice relative à des droits tirés d’un contrat de distribution exclusive. (Cass. civ 1ère, 19 novembre 2014, pourvoi n° 13-13405)
Pour mémoire, l’article 5-1 du Règlement Bruxelles I dispose :
« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;(…) »
En l’espèce, une société ayant son siège social en France, se prévalant d’un droit de distribution exclusive sur le territoire français, a assigné devant une juridiction française deux sociétés établies en Allemagne en résolution d’un contrat de concession et le paiement de dommages-intérêts pour manquement à leurs obligations contractuelles.
Les sociétés allemandes ont soulevé une exception d’incompétence sur le fondement de l’article 5-1, a), du Règlement Bruxelles I dont la mise en oeuvre aboutissait à la compétence des juridictions allemandes.
La Cour d’appel de Colmar avait rejeté cette exception d’incompétence en jugeant que les éventuelles infractions à l’obligation d’exclusivité dont se prévalait la société établie en France ayant été commises en France, l’engagement de ne contracter qu’avec cette société devait y être localisé de sorte que les tribunaux français étaient compétents pour connaitre du litige.
Contestant la compétence du juge français, les sociétés allemandes ont formé un pourvoi en cassation en invoquant l’application des dispositions de l’article 5-1 a) du Règlement Bruxelles I. Leur unique moyen est divisé en trois branches.
Elles font, d'abord, valoir que le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, au sens de l’article 5-1 a) du Règlement Bruxelles I doit être déterminé en fonction de la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflit de juridictions du pays du défendeur; qu’en l’espèce, il s’agit de la loi allemande (l’article 269, alinéa premier, du code civil allemand).
Elles relèvent, ensuite, que l’obligation d’assurer à la société Française l’exclusivité de la distribution sur le territoire français des produits litigieux dont se prévalait celle-ci à l’appui de sa demande de dommages-intérêts, s’analysait en droit allemand comme une obligation de ne pas faire dont le lieu d’exécution se déterminait non en fonction du lieu de l’infraction, mais du domicile du débiteur, soit en l’espèce le siège social des sociétés allemandes, situé en Allemagne.
Elles relèvent, enfin, que le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande, au sens de l’article 5-1 a) du Règlement Bruxelles I, doit être déterminé conformément à la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie et lorsque la loi en question est une loi étrangère, il incombe au juge français, avec le concours des parties et le cas échéant personnellement, d’en rechercher et d’en analyser le contenu exact ; qu’en écartant l’application des dispositions de l’article 269, alinéa premier, du code civil allemand, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Cependant, la Cour de cassation confirme la décision des juges d'appel et rejette le pourvoi en se référant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12).
Pour la Haute juridiction, « la règle de compétence édictée à l’article 5-1, b) du Règlement Bruxelles I, pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services, est applicable à une action en justice par laquelle le demandeur, établi dans un Etat membre, fait valoir, à l’encontre d’un défendeur établi dans un autre Etat membre, des droits tirés d’un contrat de concession, ce qui implique que le contrat liant les parties comporte des stipulations particulières concernant la distribution par le concessionnaire, choisi par le concédant à la suite d’une sélection, des marchandises vendues par ce dernier ».
Estimant alors, « qu’aux termes de cette jurisprudence, la prestation caractéristique fournie par le concessionnaire consiste à assurer la distribution des produits du concédant et, partant, à participer au développement de leur diffusion », la Cour de cassation relève qu’en l’espèce, « la règle de compétence énoncée à l’article 5-1,b) du Règlement Bruxelles I, a vocation à s’appliquer, ce qui exclut l’application de celle prévue à l’article 5-1, a) »
Cet arrêt de la Cour de cassation est important car il revient sur la solution donnée par un autre arrêt par lequel la Cour avait jugé que viole l'article 5-1 b) du Règlement Bruxelles I, la Cour d’appel qui retient que le contrat cadre par lequel une société étrangère confie la distribution exclusive en France de ses produits à une société française s'apparente à un contrat de fourniture de services en France ; « alors que [selon la Cour] le contrat de distribution exclusive n'est pas un contrat de fourniture de services». (Cass civ 1ère, 5 mars 2008, pourvoi n° 06-21949)
Ce faisant, l’arrêt du 19 novembre 2014 rejoint un autre arrêt rendu en 2010 par lequel la Cour de cassation a jugé que le contrat qui donnait mandat exclusif à une société de vendre en France des produits ayant principalement pour objet des services fournis, la cour d’appel, en a justement déduit que le tribunal français était compétent en application de l’article 5-1b du Règlement Bruxelles I ; dès lors est non fondé le moyen qui soutenait que la convention par laquelle est consentie la distribution exclusive de produits d’assurance n’est ni un contrat de vente ni un contrat de fourniture de services. (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, pourvoi n°09-16063)
Désormais, le contrat de distribution exclusive s’apparente à un contrat de fourniture de services, ce qui implique que l’article 5-1,b) du Règlement Bruxelles I, a vocation à s’appliquer en cas de conflit de juridictions intra-européen.
Yaya MENDY