Le 10 février 2015, la Cour de cassation a jugé que l’empêchement légitime résultant du secret bancaire ne cesse pas du seul fait que l'établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n'est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n'a pas lui-même renoncé. (Cass. com. 10 février 2015, pourvoi n° 13-14779)
Pour mémoire, l’article 145 du Code de procédure civile dispose :
«S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.»
Ainsi, la procédure de l'article 145 du Code de procédure civile permet à une partie d’empêcher le dépérissement de preuves qui feront peut-être défaut lors d’un procès futur.
En effet, une partie peut - avant tout procès et sous réserve d’en démontrer néanmoins le sérieux - recueillir les éléments nécessaires aux succès de ses prétentions (ex. preuve du comportement déloyal, preuve de l’existence d’un contrat, preuve de la connaissance de faits litigieux...)
Pour ce faire, le requérant devra saisir le président du Tribunal de grande instance ou du Tribunal de commerce, sur requête, pour lui exposer brièvement les faits du litige.
Ce dernier pourra rendre une ordonnance autorisant un huissier à obtenir copie de «tous fichiers» (emails, contrats, factures…) détenus par la partie adverse en lien avec le litige, ce qui confère un avantage stratégique déterminant à la partie qui cherche à recueillir des éléments de preuve.
Toutefois, la mise en œuvre de la procédure de l’article 145 du Code de procédure civile peut, dans certains cas, se heurter au secret professionnel. C’est le cas notamment du secret bancaire.
En effet, le secret bancaire - prévu à l’article L. 511-33 du code monétaire et financier pour les établissements de crédit et à l'article L 531-12 dudit code pour les prestataires de services d’investissements (PSI) - interdit toute divulgation d’informations confidentielles sans le consentement des clients qui seuls peuvent y renoncer.
Dès lors, le secret bancaire est opposable à tout tiers sauf à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, la Banque de France et l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale.
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que même si le débiteur du secret bancaire est partie au litige, il est fondé à l’opposer pour refuser la communication d’informations protégées, si son contradicteur n’est pas lui-même le bénéficiaire du secret. (Cass. com. 13 novembre 2003, pourvoi n°00-19573 ; Cass. com. 25 janvier 2005, pourvoi n°03-14693 ; Cass. com. 21 février 2012, pourvoi n°11-10900)
Seules les mesures d'instruction qui figurent aux articles 232 à 281-1 du code de procédure civile constituent des mesures « légalement admissibles » au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ce qui exclut les demandes uniquement destinées à obtenir de simples pièces. (Cass. civ. 2e, 8 février 2006, pourvoi n° 05-14198)
L’arrêt rapporté vient rappeler la permanence de cette solution.
L’affaire opposait deux sociétés ayant pour objet le courtage d’instruments financiers.
L’une des sociétés reprochant à l’autre d’avoir provoqué la désorganisation de son activité en débauchant un grand nombre de ses salariés, avait été autorisée sur requête, sur le fondement de l’article 145 précité, à faire procéder à un constat au siège de la seconde et sur les outils de communication mis à la disposition de ses anciens salariés.
La seconde - considérant que la mesure litigieuse portait atteinte au secret bancaire, ainsi qu'à la confidentialité de l'activité réglementée de courtage financier, en ce qu'elle permettait notamment d'identifier ses clients - a alors introduit une requête tendant à la rétractation de cette autorisation.
Pour confirmer la décision du juge des référés ayant rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, la Cour d’appel de Paris avait retenu :
- que le secret des affaires ne constituait pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145, dès lors le Juge avait constaté que les mesures ordonnées procédaient d’un motif légitime et étaient nécessaires à la protection des droits de la partie qui les avaient sollicitées, et
- qu’en ordonnant la mise sous séquestre par l’huissier de justice des copies de documents/fichiers réalisées dans le cadre de sa mission et en précisant qu’il ne pourrait être procédé à la mainlevée du séquestre qu’à l’issue d’un débat contradictoire en référé, le Juge avait assuré la préservation du respect du secret bancaire ou du secret des affaires et de la confidentialité.
Finalement, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond sous le visa de l’article L. 511-33 du code monétaire et financier en énonçant que :
«l'empêchement légitime résultant du secret bancaire ne cesse pas du seul fait que l'établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n'est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n'a pas lui-même renoncé»
La Cour de cassation considère ainsi que, même si le débiteur du secret bancaire est partie au litige, il est fondé à l’opposer pour refuser la communication d’informations protégées, si son contradicteur n’est pas son client, bénéficiaire du secret et y ayant renoncé, mais un tiers.
Dès lors, le secret bancaire est opposable dans le cadre d’instances engagées devant des juridictions civiles.
Yaya MENDY