Diagnostiquer la non décence

Publié le 13/03/2023 Vu 1 485 fois 0
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En cas de bail d’habitation, le locataire peut suspendre le versement de son loyer si le logement n’est pas décent. Néanmoins, comment être certain qu’il y ait effectivement un tel défaut décence ?

En cas de bail d’habitation, le locataire peut suspendre le versement de son loyer si le logement n’est pa

Diagnostiquer la non décence

Une cause de conflits

 

Lorsqu’un logement est loué et qu’il constitue l’habitation principale du locataire, le bailleur est tenu de délivre un logement décent (art. 1719 du Code civil).

 

Dans le cas contraire, le locataire peut suspendre le paiement de son loyer et réclamer le remboursement des loyers versés durant la période où son logement n’était pas décent.

 

Cela découle de l’important arrêt du 17 décembre 2015 (Cass. 3e civ., 14-22.754) qui a déjà été cité sur ce blog à ce titre.

 

Cependant, qui définit et déclare l'indécence du logement ? En quels termes ? Il en résulte souvent un conflit supplémentaire entre bailleur et locataire !

 

Même si les caractéristiques de la non décence semblent concrètes, techniques et peu susceptibles de débats, leur repérage n’est, en effet, jamais simple.

 

Critères du décret

 

Les éléments constituants du logement décent sont définis dans le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.

 

La pièce principale du logement doit faire soit 9 m2, avec une hauteur sous plafond minimale de 2,2 m, soit 20 m3.

 

Le logement doit assurer le clos et le couvert et permettre de lutter contre les infiltrations d’eau.

 

Les pièces annexes non chauffées doivent être pourvues de fenêtres ou de portes.

 

Les dispositifs de retenue de personnes doivent être en bon état (garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias).

 

Les revêtements intérieurs ne doivent pas présenter de danger pour la santé (ni moisissures, ni plomb). L’alimentation électrique ou au gaz ainsi que la production d’eau chaude doivent être conformes aux normes réglementaires.

 

L’aération doit être suffisante et un éclairage naturel doit exister dans les pièces principales.

 

Un coin cuisine avec évier doit exister et un réseau électrique permettant le branchement des appareils nécessaires à la vie quotidienne doit avoir été installé.

 

Pour les baux d’habitation conclus à compter du 1er janvier 2023, la consommation d’énergie doit être inférieure à 450 kilowatt/heures par mètre carré habitable et par an.

 

Mesurages plus ou moins complexes

 

Vérifier que des fenêtres existent ou qu’un évier soit présent et branché sur le tout-à-l’égout est facile.

 

Constater que des infiltrations d’eau surviennent relève également de l’évidence. Les testeurs d’humidité pour les murs coûtent entre 60 et 90 € sur internet.

 

Le mesurage de la surface d’une pièce est également assez simple, puisqu’il suffit d’un télémètre laser (entre 60 et 200 € sur internet).

 

Si de telles vérifications sont effectuées par constat d’huissier, cela suffira au juge pour dire que le locataire a un motif sérieux concernant la retenue de son loyer.

 

Pour ce qui est de la présence du plomb ou de l’amiante, de la conformité des installations électriques ou de l’alimentation au gaz ainsi que de la consommation d’énergie, les choses sont totalement différentes.

 

Diagnostics obligatoires

 

Avant la vente ou la location d’un logement, de nombreux diagnostics doivent être présentés (sur les termites, le champignon mérule, la performance énergétique, la gestion des déchets, l’installation électrique intérieure, l’installation intérieure de gaz, les sols ainsi que les risques naturels et technologiques, le plomb et l’amiante voire même l’assainissement non collectif s’il en existe un ou l’exposition au bruit en zone proche d’aéroport).

 

Tous ces diagnostics sont visés à l’article L. 126-3 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH) et à l’article 3.3 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

 

La qualité des certificats a pu poser problème, et pas toujours à cause des professionnels qui les établissent. Cela concerne surtout les DPE.

 

DPE et instabilité normative

 

En matière de DPE (Diagnostic de Performance Énergétique), des critères différents en fonction de la date de la construction avaient été initialement prévus (voir Gatien CASU, « Loi Climat et diagnostic de performance énergétique : nouvelles modifications », JCP N, n° 42-43, 22 oct. 2021, pp. 29 à 32, ainsi que Thibaut GEIB et Anaïs LELIÈVRE, « Refonte du diagnostic de performance énergétique au 1er juillet 2021 », AJDI, oct. 2021, pp. 645 à 651).

 

Cela conduisait à des incohérences. Une nouvelle méthode de calcul pour le DPE a donc été imposée, par modification de l’arrêté du 31 mars 2021 suite à un arrêté du 8 octobre 2021 (Vivien ZALEWSKI-SICARD, « Une nouvelle méthode de calcul pour le DPE », JCP N, n° 42-43, 22 oct. 2021, pp. 5 et 6). L’arrêté du 3 novembre 2022, applicable au 1er janvier 2023, a encore modifié cette méthode de calcul (JCP N, n° 49, 9 déc. 2022, p. 7).

 

Désormais, il existe une classification des logements de A à G (du plus performant au moins performant) (art. L. 173-1-1 du CCH) et à partir du 1er janvier 2025, un calendrier a été mis en place pour interdire progressivement la location des logements les plus énergivores (art. 6, loi n° 89-462 du 6 juill. 1989 dans sa version applicable au 1er janv. 2025) (voir Marie LAMOUREUX, « Performance énergétique et baux d’habitation », JCP G, n° 34, 29 août 2022, pp. 1532 à 1538). Ainsi, à terme, en 2034, les logements ayant une étiquette inférieure à D seront interdits à la location en métropole.

 

Question de surface

 

D’autres difficultés doivent être notées. Désormais, la surface habitable, qui doit obligatoirement être indiquée dans le bail d’habitation, peut être mesurée par le bailleur lui-même. Les erreurs sont extrêmement fréquentes car le calcul de la surface habitable (art. R. 156-1 du CCH) n’est pas exactement le même que celui de la loi CARREZ pour mesurer les lots de copropriété avant leur vente (art. 46 de la loi n° 65-557 du 10 juill. 1965 et art. 4-1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967).

 

Si le locataire a un gros doute, il peut faire opérer un diagnostic de surface habitable pour moins de 100 € en présence d’un huissier. Ce dernier aura sans doute du mal à opérer ce diagnostic lui-même, bien que ce ne soit pas techniquement impossible.

 

Toutefois, il arrive que des dispositions du règlement sanitaire départemental soient plus exigeantes que le décret du 30 janvier 2002 au plan de la surface. Dans ce cas, ces dispositions plus dures ne s’appliquent que si elles ne sont pas incompatibles avec celles du décret.

 

Or, des dispositions qui interdisent la prise en compte de la surface des culs-de-sac d’une largeur de moins de 2 m dans le calcul de la surface de la pièce principale ne sont pas incompatibles avec le décret (Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, n° 14-22.754 et Cass. 3e civ., 3 mai 2018, n° 17-11.132).

 

Cependant, si un règlement sanitaire départemental supprime l’option alternative donnée par le décret du 30 janvier 2002 (9 m2 avec 2,2 m sous plafond OU 20 m3), la disposition du règlement sanitaire ne s’applique pas, car au plan de la hiérarchie des normes, le décret du 30 janvier 2002 est supérieur au règlement sanitaire départemental (Cass., 3e civ., 20 avr. 2017, n° 16-13.821).

 

Les diagnostiqueurs doivent rester vigilants et les habitants néophytes peuvent se faire accompagner par une association habilitée à défendre les mal-logés pour opérer les vérifications nécessaires.

 

Vers l’exigence d’une attestation de décence

 

Le fait qu’un certificat de mesurage de la surface habitable compatible avec la réglementation applicable ne fasse pas partie des éléments obligatoirement joints au bail est donc particulièrement regrettable. Si ce certificat était impératif et établi par un tiers aux capacités certifiées, cela simplifierait la vie des ménages vulnérables.

 

En effet, les erreurs sont fréquentes, car les critères de la surface habitable (où l’on ajoute toutes les pièces) ne sont pas ceux des caractéristiques de décence du logement au plan de la surface (qui concernent la pièce principale).

 

Avant la mise en location, il serait logique qu’un tiers aux qualifications certifiées vérifie la décence du logement sur tous les critères réglementaires et fournisse une attestation en ce sens. Certains diagnostiqueurs le proposent, mais ce document est purement facultatif, alors qu’il devrait être obligatoire.

 

Néanmoins, les locataires confrontés à ces difficultés disposent d’une arme fatale qu’ils doivent employer plus souvent. Les aides personnelles au logement (APL) sont suspendues en cas de non décence et les CAF (Caisses d’Allocation Familiale) sont habilitées pour faire des vérifications sur place pour suspendre de tels versements.

 

Là où ça fait mal !

 

Les propriétaires peu réactifs doivent donc être attaqués là où ça fait mal, c’est-à-dire au porte-monnaie. Ils comptent très souvent sur les APL pour disposer d’un loyer régulier car celles-ci peuvent être versées entre les mains du bailleur lorsqu’il en fait la demande (art. L. 821-6 du CCH). Or, le logement pour lequel des APL sont versées doit être décent (art. R. 822-24 du CCH).

 

Quand ce n’est pas le cas, le versement des APL peut être suspendu. Les APL cessent d’être dues au premier jour suivant le mois où la non décence est connue (art. R. 823-12 du CCH). Si elles ont malgré tout été versées ensuite, elles peuvent être récupérées par la CAF, sous réserve du respect d’une prescription biennale (Conseil d’État, 5e et 6e ch. réunies, 29 nov. 2022, n° 450275, qui sera mentionné aux tables du Recueil).

 

La CAF, informée de la non décence d’un bien pour lequel des APL continuent d’être versées, a donc intérêt à agir ! Si elle traîne, elle peut perdre sa créance…

 

Les CAF encouragent donc les locataires à les contacter s’ils ont de grosses suspicions en matière de non décence. Elles opèrent ensuite volontiers des contrôles sur place (voir en ligne, site des CAF). Amis locataires, ne l’oubliez pas ! Faites-vous accompagner par une association d’aide aux mal-logés si la CAF n’est pas assez réactive.

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