La sélection universitaire au risque des algorithmes : quelle transparence ?

Publié le 12/02/2019 Vu 1 448 fois 0
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L’orientation des lycéens dans l’enseignement supérieur, s’opère désormais à travers des processus automatisés de sélection. La connaissance des codes source ou algorithmes qui permettent le tri des données est devenue nécessaire pour rendre intelligible les décisions préparées par ces mécanismes. C’est également un enjeu de démocratie.

L’orientation des lycéens dans l’enseignement supérieur, s’opère désormais à travers des processus

 La sélection universitaire au risque des algorithmes : quelle transparence ?

Le récent jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en date du 4 février 2019 pose le problème de l’accès aux sources des procédures de sélection automatique mises en place dans l’enseignement supérieur (1).

 

Modèles mathématiques, algorithmes, les données collectées dans notre vie quotidienne sont désormais soumises à des procédés d’exploitation informatique pour en faciliter la gestion (2).

 

Les enjeux que représentent les études supérieures pour les lycéens fraîchement bacheliers justifient le mélange de curiosité et d’appréhension manifesté pour les procédures de tri mises en œuvre à l’entrée de l’université pour orienter les candidats vers les filières qui leur sont les mieux adaptées.

 

L’inscription sur Parcoursup, première démarche à entreprendre, ne représente en effet qu’une étape dans le processus d’accès à l’enseignement supérieur, la phase déterminante se jouant désormais dans les commissions d’examen des voeux instituées dans chaque université.

Ce sont ces commissions qui déterminent les critères qui  président à la hiérarchisation des candidatures en s’appuyant, le cas échéant, sur la mise au point d’un algorithme permettant mécaniquement d’opérer un premier travail de sélection.

 

Même si les commissions d’examen des vœux sont juridiquement tenues d’examiner, après le travail de l’algorithme, chaque dossier individuel,) on est en droit de s’interroger légitimement sur la teneur de leur délibération et la marge d’appréciation qu’elles se donneront pour évaluer la qualité des candidats. La tentation de s’en remettre passivement aux résultats d’un l’algorithme, plutôt que de se livrer à une analyse fastidieuse des pièces d’un dossier particulier semble irrésistible et fait donc douter de l’existence d’une étude des dossiers en commission.

 

Le contrôle de l’effectivité de l’examen individuel par l’administration est, au demeurant, difficile à mettre en œuvre. En cas de contentieux, le procès-verbal de la commission d’examen des vœux qui sera produit risque d’être décevant et de se présenter sous la forme d’un document laconique indiquant au mieux que chaque dossier a donné lieu à un examen particulier sans pour autant que cette mention garantisse le fait que chaque lycéen a eu droit à un traitement individuel de son dossier.    

 

Dans ce contexte, on comprend que les étudiants, par l’intermédiaire d’un syndicat, aient entendu connaître les secrets des procédés algorithmiques susceptibles d’influencer, en amont, les décisions de la commission d’examen des vœux et de déterminer ainsi leur avenir dans l’enseignement supérieur.

 

A la suite d’une requête de l’ UNEF, c’est sur cette question de communication des procédés algorithmiques utilisés par l’université pour traiter les candidatures des étudiants qu’a dû se prononcer le tribunal administratif de la Guadeloupe dans un jugement du 6 février 2019.

 

Deux obstacles juridiques s’opposaient à priori à ce qu’une telle démarche aboutisse favorablement.

 

En premier lieu, la demande de communication des procédés algorithmiques semblait être vouée à l’échec dès lors qu’un dispositif spécial avait été édicté dans le code de l’éducation pour protéger le secret des délibérations des équipes pédagogiques.

 

 Ainsi, alors que les articles L.311-3-1 et R. 311-3-1-1 du code des relations entre le public et l’administration prévoient la communication à la personne faisant l’objet d’une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique d’avoir communication des règles définissant ce traitement et des caractéristiques de sa mise en œuvre, l’article L.612-3 du code de l’éducation a limité le droit d’information des candidats à la simple communication des critères et modalités d’examen des candidatures et aux motifs pédagogiques justifiant la décision prise.

Autrement dit, à lire attentivement le texte dérogatoire, les lycéens n’ont accès qu’à des informations à caractère secondaire relatives aux éléments de leur dossier scolaire pris en considération pour opérer la sélection mais sont privés de l’essentiel, c’est-à-dire du droit d’accéder à la formule régissant la combinaison des données qui permet seule de hiérarchiser les candidatures et qui constitue l’algorithme proprement dit.

 

En second lieu, la demande de communication du code source du traitement des candidatures se heurtait à un obstacle tenant à la recevabilité du demandeur.

Le code de l’éducation limitant le champ d’application du droit d’information aux seuls candidats, la demande d’un tiers, tel qu’un syndicat étudiant, pouvait être regardée à bon droit comme irrecevable.

 

Le tribunal administratif de la Guadeloupe a cependant surmonté ces deux obstacles au terme d’un raisonnement audacieux qui pourrait être critiqué comme s’affranchissant de la lettre de la loi.

 

Après avoir rappelé le caractère franchement dérogatoire des dispositions spéciales du code de l’éducation en matière de communication des traitements par algorithmes, le tribunal a contourné ces dispositions en considérant que les tiers comme le syndicat étudiant UNEF n’étaient pas concernés par ce texte, lequel n’avait vocation à s’appliquer qu’aux candidats lycéens.

 

 Pour asseoir le fondement juridique de sa décision, le tribunal a alors appliqué les dispositions générales des articles L.311-1 et L.300-2 du code des relations entre le public et l’administration en les combinant.   

 

Il a considéré dans un premier temps du raisonnement que l’article L.311-1 obligeait d’une façon générale les administrations à communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, ce qui lui a permis ainsi de faire entrer l’université des Antilles dans le champ d’application de la loi.

 

Dans un second temps, le tribunal a pris en considération les termes de l’article L. 300-2 qui élargit la notion de document aux codes sources.

Il en a déduit que le code des relations entre le public et l’administration autorisait un tiers, tel que le syndicat étudiant UNEF, a sollicité l’algorithme demandé.

 

 Quel que soit le sentiment de sympathie que puisse inspirer la solution adoptée par le tribunal administratif de la Guadeloupe, Il n’est pas certain, cependant, que son analyse soit avalisée par le Conseil d’Etat qui a été saisi par l’université des Antilles d’un pourvoi contre le jugement.

 

En droit, une règle fondamentale veut que la loi spéciale déroge à la loi générale et qu’elle en écarte l’application.

 

Or, au cas particulier, les dispositions sur les algorithmes et les codes source figurant dans le code de l’éducation, limitent expressément l’accès à ces données aux candidats.

 Cette règle pourrait être considérée par la haute juridiction comme ayant pour objet et pour effet, d’exclure du bénéfice de cette communication les tiers tel qu’un syndicat.

 

De même, la volonté du législateur de déroger aux dispositions du code des relations entre le public et l’administration en matière de transmission des algorithmes de tri propres aux universités transparaît dans la formulation utilisée à l’article L.612-3 qui indique que : « (…) les obligations résultant des articles L.311-3-1 et L.311-1-3 du code des relations entre le public et l’administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures (…) »

 

Si on avait estimé que le droit commun de la communication des documents administratifs eût dû s’appliquer aux codes source mis en place par les universités, on peut penser que le législateur n’aurait pas fait expressément référence aux dispositions du code des relations entre le public et l’administration pour signifier qu’il y était satisfait par des dispositions équivalentes quoique différentes.   

 

Quoi qu’il en soit, la décision juridictionnelle du tribunal administratif de Guadeloupe ouvre dans l’immédiat des perspectives de communication des codes source inédites aux tiers auxquelles les universités vont sans doute s’opposer en vue d’éviter des contentieux de masse et préserver la souveraineté des décisions de leurs jurys.

 

 Jean-Yves TRENNEC.

 

1.    TA de la Guadeloupe, 4 février 2019 req. n°1801094 https://bit.ly/2StWW36.

2.    Algorithmes, la bombe à retardement, Cathy O’Neil, édition les Arènes.

3.    CE, 13 oct 1989, req.n°95853 ; CE, 11 fév 1983, req.n°38176 ; CE, 27 oct 1972, Delle X, req. n°82912, Rec.p. 682.

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