Les jugements rendus par le tribunal administratif de Paris les 14 février 2013 et 4 juillet 2013 permettent sérieusement de douter des critères choisis par le Ministre de l’intérieur pour établir les tableaux d’avancement des policiers (cf. notes de bas de page n°1 et 2).
I Dans un précédent article nous avions déjà relevé les irrégularités qui présidaient à l’établissement des tableaux de mutation en constatant que des agents jouissant d’une ancienneté très inférieure à d’autres se trouvaient propulsés comme par enchantement dans les circonscriptions répondant à leur souhait.
Or, si les irrégularités dont sont entachés les tableaux de mutation pénalisent sévèrement les agents et leur famille, que dire des tableaux d’avancement qui, s’ils ne sont pas établis avec objectivité, portent un coup sévère à l’ensemble de la carrière du fonctionnaire et diminuent singulièrement le montant de sa retraite future.
Dans le jugement du 14 février 2013, un brigadier de police avait attaqué devant le tribunal administratif de Paris le tableau d’avancement au grade de brigadier 2012.
Le gardien de la paix contestait devant le tribunal le fait que cinq de ses collègues aient pu bénéficier d’une promotion alors que lui-même n’était pas inscrit au tableau. Il faisait pourtant valoir que la notation de sa manière de servir le rangeait parmi les meilleurs et qu’il pouvait se prévaloir d’une ancienneté supérieure aux fonctionnaires promus.
Le Ministère de l’intérieur s’est alors vu demandé par le tribunal la justification du choix des fonctionnaires promus.
Le jugement relève que l’Etat n’a pas été en mesure de satisfaire la requête du tribunal : « cette autorité (...) s’est bornée à transmettre les fiches individuelles synthétiques qui ne comportent que les notes chiffrées et leur variation définitive sans donner suite à l’intégralité de la mesure d’instruction qui tendait aussi à la production des notes desdits collègues, retenues pour l’avancement, notes qui précisent aussi les éléments d’appréciation des agents, les aptitudes manifestées dans les fonctions ainsi que l’aptitude à l’exercice des fonctions plus importantes et contiennent une appréciation littérale »
Le ministre de l’intérieur s’est borné (...) à des rappels généraux des règles de droit, sans donner aucune explication de nature à justifier que malgré des notations chiffrées des trois fonctionnaires susmentionnées inférieures de deux niveaux à celles du requérant, il avait pu estimer, sans commettre d’erreur manifeste dans son appréciation, que leur valeur professionnelle était cependant supérieure à la sienne ».
Ainsi, le tribunal administratif de Paris, peu convaincu par la défense opposée par le ministre de l’intérieur qui, en refusant de lui produire les informations qu’il détenait dans ses dossiers, ne lui a pas permis d’apprécier les mérites respectifs des fonctionnaires, décidera finalement d’annuler le tableau d’avancement en considérant qu’il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.
II Le jugement rendu le 4 juillet 2013 est quant à lui intéressant sur deux points de droit : il tranche d’une part, la question du devenir des agents figurant sur le tableau d’avancement annulé ; d’autre part, il aborde la question de la responsabilité de l’administration.
Dans cette affaire le requérant, gardien de la paix, avait non seulement demandé l’annulation du tableau d’avancement mais avait également exercé un recours contre deux décisions individuelles de nomination au grade de brigadier.
Le tribunal sur ce point précis donne raison au requérant en annulant également les nominations.
« qu’il suit de ces dispositions que du fait de l’annulation du tableau d’avancement litigieux, M. X et M.Y ne pouvaient être légalement promus au grade de brigadier, que par suite M. J est fondé à obtenir l’annulation de leur nomination au grade de brigadier de police »
Pour être efficace juridiquement, il convient donc non seulement de contester le tableau d’avancement mais encore de critiquer les décisions individuelles de nomination qui sont en définitive les plus importantes puisque ce sont elles qui entravent l’avancement futur des recalés au tableau.
Enfin le jugement du 4 juillet 2013 est également instructif en ce qu’il tranche la question de la responsabilité de l’administration dans l’établissement d’un tableau d’avancement illégal.
Toute illégalité étant aussi une faute, le fonctionnaire lésé par les pratiques de l’administration est en droit d’obtenir réparation des préjudices qui lui ont été causés par cette faute.
Au cas particulier, le tribunal administratif de Paris après avoir minutieusement comparé les éléments d’appréciation relatifs à la manière de servir d’un agent illégalement promu, a accepté de réparer les préjudices subis par le requérant en reconnaissant qu’il avait subi une perte de chance d’être promu à la place de la personne favorisée indûment. Elle lui a accordé une indemnité de 3000€.
On insistera jamais assez sur la nécessité d’adopter dans ce type de contentieux une stratégie globale qui vise à l’efficacité en présentant dans un seul et même recours à la fois des requêtes dites objectives dirigées contre le tableau d’avancement et les décisions individuelles de nomination et une requête plus subjective en responsabilité dont l’objectif est d’obtenir des dommages et intérêts au titre des préjudices qui résultent de l’action fautive de l’administration.
Jean-Yves TRENNEC.
Notes.
1 Tribunal administratif de Paris, 14 février 2013 M.A c/ Ministre de l’intérieur, 14 février 2013, req. n°1220743.
2 Tribunal administratif de Paris, 4 juillet 2013 M.L c/ Ministre de l’intérieur, req. n°1202189/5-2.