De quelques rappels sur « l’exécution provisoire » des décisions de Justice.

Publié le Modifié le 22/06/2012 Vu 230 938 fois 0
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L’exécution provisoire, ou par provision, constitue une réelle exception au principe de l’effet suspensif attaché à la voie de recours que constitue l’appel ( qui empêche la partie victorieuse d'exécuter les termes d'un jugement). Ici nonobstant l'appel, l'exécution sera possible, face à un jugement, pourtant non définitif mais rendu exécutoire. Une question se pose alors: Peut-on pallier ou ralentir une exécution provisoire ?

L’exécution provisoire, ou par provision, constitue une réelle exception au principe de l’effet suspens

De quelques rappels sur «  l’exécution provisoire »  des décisions de Justice.

L’article 514 du nouveau code  de Procédure Civile (NCPC) dispose :

« L'exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n'est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit. Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l'instance, celles qui ordonnent des mesures conservatoires ainsi que les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier »

 

L’article 515 du NCPC « Hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation. »

Il ressort de ces textes que l’exécution provisoire, ou par provision, constitue  une réelle exception au principe de l’effet suspensif attaché à la voie de recours représentée par l’appel.

Un jugement est de fait rendu exécutoire, bien que n'ayant pas acquis l'autorité de la chose jugée (non définitif) il pourra être exécuté nonobstant appel.

On remarque que cette  faculté est accordée à une partie victorieuse en Justice (ex créancier), lequel pourra poursuivre à ses propres risques et périls, l’exécution immédiate d’une décision judiciaire (risques et périls au cas où le créancier serait bien évidemment débouté en appel et devrait restituer l’argent).

L’exécution provisoire ordonnée par un juge peut être subordonnée à la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, pour répondre justement de toutes  les restitutions ou aux réparations dues au profit de la partie déboutée, qui  verrait réformer  en appel la décision exécutée provisoirement.

I- Quand l’exécution provisoire se conçoit-elle  ?

A) Certaines décisions de justice sont exécutoires de plein droit

- Les ordonnances de référé (rendues par le président du tribunal compétent statuant dans l’urgence pour prendre des mesures conservatoires ou lorsque la demande ne supporte  aucune  contestation sérieuse.)

 

- Les créances d’aliments ; (pensions alimentaires)

 

- Les mesures provisoires pour le cours de l'instance ;( ex en matière de divorce lors de la tentative de conciliation)

 

- Les ordonnances du juge de la mise en état accordant au créancier une provision ;

-" Les jugements et ordonnances rendus en matière de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires sont exécutoires de plein droit à titre provisoire" article R 661-1 du code de commerce

 

B) Certaines décisions sont exécutoires dès leur prononcé sur mention expresse dans le jugement.

Lorsque l’exécution n’est pas incompatible avec la nature de l’affaire, le Tribunal dans le dispositif de sa décision portera la formule suivante:

«  Ordonnons l’exécution provisoire de la décision ». Parfois est ajoutée la mention  "...qui est compatible avec la nature de l’affaire »

La conséquence immédiate fera que :

-  les voies d’exécution forcées par voie d’huissier peuvent être mises en place ( saisies...).

Ces frais s'ajoutent à la note du débiteur  déjà redevable du capital, et des intérêts en cas d'exécution non spontanée !

- Attention : deux mois après leur prononcé et à défaut d’exécution spontanée, les décisions emporteront majoration du taux de l'intérêt légal de 5 points.

article L 313-3 du code monétaire et financier "en cas de condamnation, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision".

En 2009 le taux d’intérêt a été fixé à 3,79% l’an.

Sa majoration le ferait donc passer à 8,79% ! Il y a un calcul à faire avant de différer un paiement.

En 2010: la chute de ce taux a été exceptionnelle et spectaculaire, puisqu'il est passé à un taux de 0,65% l'an , plus incitatif à la faveur d'une non exécution immédiate ! (Décret n° 2010-127 du 10 février 2010  ). Sa majoration n'étant plus que de 5,65% !

C) A défaut d’exécution provisoire de droit ou ordonnée par un juge, il faudra attendre le caractère définitif du jugement  pour poursuivre l’exécution.

 

Le jugement deviendra définitif :

 

1°- après la signification d'une décision rendue en premier et dernier ressort ( non susceptible d’appel ) ;

 

2°- après l’expiration du délai d’appel ( un mois  après la signification du jugement ) ;

Article 501 du NCPC

Le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire.

3°- en cas d’appel, après le prononcé de l’arrêt rendu par la cour.

Des voies d’exécution pourront être mises en œuvre par un huissier chargé de recouvrer les sommes accordées à la partie victorieuse avec les intérêts, et frais en sus !

L'usage de la force publique est rendu possible.

On parle d'exécution forcée.

L’article 31 alinéa 1 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution dispose que « l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’a son terme en vertu d’un titre exécutoire à titre provisoire"

II-Comment s’opposer à une exécution provisoire ?

A) Devant quel juge ?

1°) - Le  recours est à diligenter devant le Premier Président de la cour d’appel statuant en référé.

L’idéal sera d’interjeter appel de la décision au fond avec une saisine parallèle du Président de la cour d’appel statuant en référé.

Cela suppose à la fois la présence d’un avocat et d’un avoué dans ces procédures.

-L’appel au fond est le second degré de juridiction.

Il produit effet dévolutif (on rejuge tout). Ici nous est mis en echec du principe de l’effet  suspensif  (pas d’exécution). La cour d’appel saisie statuera sous plusieurs mois.

-L’appel aux fins de suspension de l’exécution provisoire est une procédure de référé devant le Premier Président de la cour.

Il ne portera pas sur le fond, mais sur les conséquences irrémédiables d’une exécution provisoire valablement ordonnée.( voire B)

Imaginons, si tout appel entraînait naturellement suspension d’une exécution provisoire, le dilatoire jouerait à plein et des recours systématiques seraient déposés.

C’est justement ce que les juges veulent éviter dans certaines circonstances. Il s’agira de veiller à la  protection d’une partie contre la fraude éventuelle d’une autre, en cas de suspension naturelle de l’exécution provisoire  d'une partie, profitant du délai d’appel pour ne pas exécuter ses obligations et de son effet suspensif.

C’est pour ces raisons que les recours à l’encontre de telles décisions aboutissent difficilement et sont rarement suivis d'effets positifs.

Le juge du fond, au fait d’un contrôle possible de l’exécution qu’il aura prononcée prend généralement soin de motiver les termes de son jugement, afin de ne pas risquer la censure du premier président.

2°- En cas d’appel au fond, dès lors qu’un magistrat chargé de la mise en état est désigné, c’est devant lui qu’il  faut agir en cas d'urgence.

3°- En cas de jugement rendu par défaut, le recours se fera par la voie de l'opposition  devant le Juge, qui aura rendu la première décision.

 

Cette voie de recours est  aussi ouverte à celui qui n’a pas reçu la signification d’une convocation en justice et n’a donc pu se présenter à la première audience pour motif légitime. C’est une voie de recours des jugements par défaut.

On rejuge tout en première instance, devant le premier juge et la première décision est réputée ne jamais avoir existé.

La suspension de l’exécution provisoire sera sollicitée  par voie de conclusions.

B) Que demander au juge ?

 

1°- Les demandes des parties

Il s’agira de :

- contester la décision de recourir à l'exécution provisoire ou son refus,

- demander l'exécution provisoire si elle n'a pas été demandée au moment du jugement ou si le juge n'a pas statué,

- contester le montant, la nature, les modalités de la garantie.

La motivation de la demande de suspension doit être justifiée par un péril particulier, suffisamment grave.

(exemple: le risque d''une concurrence déloyale qui pourra ruiner une partie si le trouble n’est pas suspendu, risque de l’organisation de l’insolvabilité du débiteur durant le délai d’appel). Le recours "défense à exécution provisoire" est stricte.

2°- L’analyse de la situation.

Le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 du NCPC lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.

Les cas de suspension sont donc les suivants :

*   une exécution provisoire interdite par la loi ;

* une exécution qui risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives avec des garanties.

Le magistrat n’examinera que les conséquences manifestement excessives, lesquelles sont rarement démontrées. Il ne se penchera pas sur le fond du dossier qui sera ultérieurement examiné par la cour d’appel.

Ce magistrat est souverain dans sa décision pour apprécier les situations ( voire III-)

*  une violation de l’article 12 du NCPC:

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.   Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.  Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.   Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé »

III- L'aléa et le risque de la procédure

A) Une procédure dont la recevabilité peut être conditionnée à  une exécution de l'appelant malgré tout: la consignation

L'article 526 du NCPC  "permet à une partie intimée ( défendeur devant la cour d'appel) de saisir le Premier Président de la Cour d’Appel, ou, dès qu’il est désigné, le Conseiller de la mise en état, d’une demande de radiation du rôle de l’affaire en appel, lorsque la partie appelante ne s’est pas exécutée spontanément de la décision contestée, lorsque celle-ci est revêtue de l’exécution provisoire, qu’elle soit de droit ou ordonnée par le juge."

Ainsi le magistrat peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, de la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel. De la même façon si l'appelant  n'a pas  consigné.

Ces dispositions pourraient êtres mises en exergue  par le juge, s'il lui apparaît que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision...

Par cette disposition,  l’opportunité de faire appel de la décision pour des raisons purement dilatoires disparaît.

C'est la perte du droit d'appel qui est en jeu ici.

Les délais font aussi courir les intérêts légaux à prendre en compte...

Des garanties pourraient être imposées ( ex consignation...)

B) Une Jurisprudence stricte sur " les conséquences manifestement excessives".

1°- L’erreur d’interprétation d’une règle de droit  par le juge ne doit pas faire obstacle à l’exécution provisoire

Soc  18 décembre 2007, Arrêt n° 2734, N°06-44.548

« Vu les articles 12 et 524, dernier alinéa, du nouveau code de procédure civile ; Attendu que l'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12 du code précité, au sens de l'article 524 du même code ... »

2°- Le caractère manifestement excessif de l'exécution provisoire est une question de fait qui doit être vérifiée au regard des facultés de paiement du débiteur.

-Une question de fait:

2 ème Civ 3 octobre 2002, pourvoi n° 00-22260 "

C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que le premier président motivant sa décision a retenu qu'imposer le paiement immédiat (plusieurs millions d'anciens francs dans la décision) entraîneraient des conséquences manifestement excessives."

En l'éspèce deux débiteurs avaient été condamnés in solidum ( pour le tout) au profit d'une banque.

-... qui doit être vérifiée en tenant compte des seules facultés de paiement du débiteur.

2ème Civ 1 er octobre 2009, n°de Pourvoi  08-18225,  a estimé que:

pour arrêter l’exécution provisoire des dispositions d’un jugement relatives à la réparation d’un préjudice collectif et associatif, le premier président doit se déterminer uniquement avec des considérations qui ne sont pas étrangères aux facultés de paiement du débiteur ou de remboursement du créancier.

 

La procédure en suspension d’une exécution provisoire  n’est pas une procédure à diligenter à la légère. Risquée et onéreuse, elle pourra avoir des conséquences accrues lors de l’exécution finale et inéluctable de la décision (intérêts, frais de procédure y compris de l’huissier...)

C) Une exéxution toujours effectuée aux risques et périls de celui qui exécute en cas de réformation du jugement en appel

Cass. ass. plén. 24 février 2006 - Bull civ Ass Plén n°2

" L’exécution d’une décision de justice provisoire n’a lieu qu’aux risques de celui qui la poursuit, à charge pour lui, si le titre est ultérieurement modifié, d’ en réparer les conséquences dommageables ».

Ainsi la demande doit être prise après une décision mûrie , puisqu’une fois ordonnée par le juge, elle fera courir le risque de devoir réparer ultérieurement ses conséquences dommageables.

La réparation pourra être conséquente puisqu’il s’agira  de restituer le débiteur dans ses droits, et de l’indemniser pour tous les dommages complémentaires, à savoir ceux qui ne seraient pas survenus si la décision n’avait pas été exécutée.

D) Une inexécution du débiteur au risque de supporter les intérêts majorés en cas de confirmation de la décision portant exécution provisoire par la cour.

Certes si le taux de l'intérêt légal a chuté de façon extraordinaire pour passer à 0,65% l'an. sa majoration de 2 points, se poursuivra deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision".

Sur des sommes substantielles,cela peut vite faire cher.

En conclusion, rappelons que dans certains cas, l'exécution provisoire sera naturellement différée pour motifs humanitaires, (ex expulsions des locaux à usage d'habitation pendant la trêve hivernale du 1er novembre au 15 mars).

Parfois une simple demande de délais accordée devant le Juge de l’exécution sera plus propice à des procédures longues, risquées et aléatoires.

Mais retenez bien qu'une décision du JEX est en principe susceptible d'un appel non suspensif, sauf une fois encore à saisir le premier président de la cour d'Appel.

Je me permets de renvoyer le lecteur à l’article : Le Juge de l’exécution Juge de la bonne voie d’exécution référencé sur ce site : http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/juge-bonne-voie-execution-decisions-1207.htm

En cas de doute sur un titre exécutoire, sur un recours y afférent, je reste à votre disposition en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm

Sabine HADDAD

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